Article 10

Frédy Massamba transcende la tradition.

En 2010, Ethnophony résonnait comme une bombe dans la sphère des musiques afro. Treize ans plus tard Frédy Massamba n'a rien perdu de son groove pygmée. Il le prouve avec  son troisième opus Trancestral.  L'autel des artistes de Panam était présent à la release party au Pan Piper à Paris le 13 mai dernier.  Frédy a bien voulu répondre à nos questions devant le Parc floral, près du bois de Vincennes . Magnéto.

Y'a Frédy Massamba (comme on dit au Congo pour désigner les aînés), a cinquante et un ans et ça ne se voit pas! Le chanteur a su garder sa silhouette athlétique d'ancien percussionniste des Tambours de Brazza, quartier Bacongo à Brazzaville, et avant cela de danseur de smurf avec les Strong boyz sous les pseudonymes de Frédy M ou Frédy Master. À cette époque, Frédy se formait en visionnant des cassettes VHS rapportées par des amis fils de dirigeants de la compagnie Air Afrique. Retour au présent. Ce 26 juin 2023 devant le Parc floral donc, il y a du soleil. Frédy garde le sourire malgré la fatigue de son retour d'un voyage en République du Congo où il a présenté Trancestral aux Instituts français de Pointe Noire et Brazzaville.

« Repartir à la maison dans mon pays natal, dans la ville où je suis né à Pointe Noire dans le quartier Mouyondzi. Ressentir les odeurs, revoir la mer et la poussière de là où je jouais au football pieds nus. c'est un kif de malade! » nous dit-il. « À Brazzaville, c'était complet à l'intérieur de l'Institut français. Des écrans ont été mis dehors. Je me sens à la maison et ça fait du bien. Les gens comprennent mes paroles en kikongo, en lingala, en lari, en kitouba. »

Tradition et modernité

Mais au fait qu'y a t-il derrière le mot-valise Trancestral? Une façon de construire un pont entre le passé et le présent, résume Frédy, la musique transcende la tradition et la modernité. J'essaie de me renouveler et de susciter des réactions et des questionnements. »

Le pari est réussi pour ce disque planétaire enregistré entre Bruxelles, Yaoundé Paris et Montréal. Transcestral a été coproduit par RFI Talent et Hangaa music-les productions du soleil le label canadien de Vanessa Kanga et  réalisé par Frédy avec Didier Touch « qui a fait un travail énorme en studio » et Rodriguez Vangama guitariste que l'on entend sur le précédent album Makasi (2013). Comme sur Makasi où l'on pouvait entendre Tumi Molekane d'Afrique du Sud et Muthoni the drummer queen du Kenya on y retrouve des collaborations panafricaines avec Djély Tapa (Mali) ou encore le grand Lokua Kanza (République démocratique du Congo) sur Nsayi, un titre épuré guitare-voix.

https://www.youtube.com/watch?v=-78qJsrWNnY

Djély Tapa est la fille de la grande diva malienne Kandia Kouyaté. Elle est elle-même lauréate du prix Radio Canada 2019-2020. La rencontre avec Frédy a eu lieu à l'occasion du festival les Nuits d'Afrique à Montréal.  « Quand elle montée sur scène je me suis dit « Waah ». Je voulais travailler avec une chanteuse malienne qui a quelque chose de très roots, de très profond. Je l'ai trouvée hyper cool, très sensible aux discussions sur la musique et l'Afrique. Humainement elle a beaucoup de choses à donner.  On est partis en studio à Montréal chez un pote haïtien. Un percussionniste congolais Élie a fait la musique sur laquelle Djély Tapa et moi avons posé nos voix.En tant que chanteur, j'aime les voix comme la sienne qui diffèrent un peu. » En résulte le morceau Bandeko, qui parle d'unité dans un monde de trahisons.

https://www.youtube.com/watch?v=kZ5E5Dpuwh8

Le disque recèle d'autres pépites comme Ngoma pour rendre hommage aux Tambours de Brazza, qui  comme le rappelle Frédy « sont le socle de mon élévation. » sur lequel  Suka Ntima, belge originaire du Rwanda, choriste sur l'album, pose un couplet. Le ngoma, percussion traditionnelle, sert à tramsmettre des messages dans la forêt équatoriale. Sur l'outro de l'album on entend Funkis, un bluesman de la forêt d'un pays voisin du Congo le Cameroun. Une partie du projet a été réalisée à Yaoundé dans le studio Ndabott du rappeur Krotal. Enfin le titre Keriko qui a fait l'objet d'un clip est une histoire malheureusement souvent observée par Frédy sur son continent d'origine, un riche arrogant qui fait faillite: «  Dès qu'il accède à une réussite sociale, il change de comportement, commence à nier les autres, fuit son milieu, son quartier. Il fait rouler ses épaules. Ce type d'attitude déshumanise ceux qui n'ont rien ou qui ont moins. Ce n'est pas parce que tu as un peu plus d'argent que les autres et des voitures qu'il faut être arrogant. La vie est un jeu et on va tous passer. Pendant la pandémie de Covid-19 ces gars ont perdu de leur superbe parce qu'ils étaient bloqués à la maison comme tout le monde, sans pouvoir prendre l'avion. »

https://www.youtube.com/watch?v=8gd6OQN8OsQ

Les débuts à Bacongo

Pour Frédy, les débuts furent modestes, élevé par sa grand-mère à Bacongo, le quartier général de la SAPE (Société des ambianceurs et des personnes élégantes) congolaise « J'étais moi-même dans une équipe de football appelée Nimbi N'lolo. Dès 6 heures du matin, à Bacongo il y a un brouhaha avec chacun qui vaque à ses occupations. Entre 8 heures et 14h il y a des brochettes qui rôtissent. Il y a le saka saka (ou le pondu côté Kinshasa) On entend jouer de la rumba. Il y a le centre culturel Sony Labou Tansi, des artistes comme Pamelo Moun'ka qui chante L'argent appelle l'argent, le comédien Dieudonné Niangouna, Zao... »

Précisément, les yeux de Frédy brillent quand nous lui tendons le disque vinyle Patron de Casimir Zoba alias Zao. Celui-ci, figure tutélaire de la musique africaine des années 1980, a toujours son espace à Bacongo. Frédy  fredonne « Je vais tomber KO c'est cardiaque! » Respect. Zao c'est mon patron. C'est une légende vivante de la musique africaine. »

Autre madeleine ou plutôt galette de Proust pour Frédy Massamba la pochette du disque de Viva la musica et Papa Wemba Biloko Ya Moto que nous lui montrons.

« C'est une génération extraordinaire qui nous a donné des mélodies de fous. Là, on est vraiment dans le monde de la sape. Si on pouvait citer les marques et le prix exhorbitant des vestes que portent ceux qui figurent sur la pochette de ce disque. Papa Wemba est venu à pied avec cet instrument de son village de Molokaï jusqu'à Kinshasa et il a formé le groupe légendaire Viva la musica. Il a ramené un instrument traditionnel le lokolé, un tambour à fente traditionnel  des baguettes dont je jouais dans les Tambours de Brazza.» 

Grâce à son travail de chorégraphe avec les Tambours de Brazza- qu'il a intégrés avoir été repéré par Émile Biayenda- Frédy parvient à subsister et acheter du maquereau pour son bouillon. Il apprend aussi les nombreuses danses du Royaume Kongo. Mais en 1997, la guerre civile éclate au Congo-Brazzaville et il faut fuir. Le groupe s'expatrie définitivement en Europe en 2000.

Génération hip hop

Biberonné par le hip hop, Frédy forme ensuite à Bruxelles Fresk avec Steve Mavoungou et Kim beatmaker aujourd'hui décédé. « Ce groupe c'est une continuité en Europe de ce que j'ai commencé au Congo, ce chemin entre les pygmées Aka d'Afrique centrale et les temps modernes, le jazz, le hip hop, la nusoul. On a été influencés par Marvin Gaye, Roy C Hammond, qui était un autre vrai chanteur de soul dans un style lover des années 1970, puis dans les années 1980-1990 Bobby Brown, Boys 2 men, MC Hammer en passant par Neneh Cherry. J'ai l'album Power of glory de Jimmy Cliff à la maison mais si je le pose sur la platine il ne tourne même plus tellement je l'ai écouté! Il y avait aussi, Bob Marley, U Roy... » L'autre école bruxelloise de Frédy s'appelle Zap Mama.

« Un jour, raconte t-il, un pote musicien Abel m'a proposé d'assister à une répétition avec la chanteuse Bernadette Aningi qu'il accompagnait aux percussions. Elle m'a dit: « Je ne savais pas que tu chantais, il faut que tu rencontres mes filles. » Avec Anita, Marie Daulne et le groupe Zap Mama. Frédy collaborera sur trois albums. Une tournée aux États-Unis lui permettra de côtoyer les légendes de la nu-soul à l'apogée de leur carrière: Erykah Badu, Jill Scott, Bilal, D'Angelo, Macy Gray The Roots, les Nubians.

En 2010, Frédy Massamba est fin prêt pour se lancer en solo. Ce sera Ethnophony, savant mélange entre sa culture hip hop nusoul et ses racines pygmées. Le musicologue Francis Bebey « qui a ramené sa forêt d'Afrique centrale sur les scènes du monde entier. » aura une influence déterminante sur l'art musical de Frédy. « Il m'a donné l'inspiration pour travailler avec les pygmées Aka à Bangui en République centrafricaine. J'essaie à son exemple de garder cette saveur de nos instruments traditionnels et de leur donner leur place, conjugués avec des instruments modernes. Il ne faut pas oublier qu'avant le piano il y avait le likembe, la sanza, l'arc. Sur Ethnophony je ramène la flûte pygmée sur le morceau Ntoto. Sur Destiny ce qui tient le morceau, si on enlève le reste, c'est le balafon. »

https://www.youtube.com/watch?v=LsowLHE6f0Y&embeds_referring_euri=https%3A%2F%2Fhangaamusic.com%2F&source_ve_path=MjM4NTE&feature=emb_title

Papa Ray

En 2014, sous l'égide de Ray Lema, l'une des figures de la sono mondiale dans les années 1980, Frédy, Ballou Canta, accompagnés à la guitare par Rodrigo Viana forment le Nzimbu project, une oeuvre racine et acoustique qui se perd dans les méandres du fleuve Congo. « Ray Lema c'est mon père. » s'enthousiasme Frédy. « C'est une figure importante pour la nouvelle génération. C'est une bibliothèque vivante de la musique africaine et mondiale. Il est parti de son pays natal, l'ex Zaïre jusqu'aux États-Unis, au Canada, en Europe, et n'a jamais lâché prise. Il a fait des albums mythiques, a fait des rencontres avec les gnawas, le batteur de Police Stewart Copeland... C'est quelqu'un de très exigeant et de rigoureux avec la musique. Il me dit: « Hey Massamba, la musique c'est un métier qu'il faut prendre au sérieux et apprendre, se donner les moyens. Ce n'est pas un jeu d'enfant. » En 2020, Frédy est aussi de la partie pour un disque de Papa Ray autour du chanteur de rumba Franco intitulé Hommage à Franco Luambo, on entre KO on sort Ok  «Franco n'était pas chanteur lyrique comme King Kester Emeneya ou Papa Wemba. Franco a apporté une touche de slam dans la rumba. »

Quant à Frédy et son nouveau projet Trancestral, vous en entendrez parler prochainement. « Afrik consult, la structure de Lat Ndiaye s'occupe du management et du booking. On va faire en sorte de  montrer ce travail partout. » conclut Frédy avec ce sourire aux lèvres qui ne le quitte jamais.

https://www.youtube.com/watch?v=d_cWncESM2c

Thé ou café

Trois questions à Frédy Massamba

Savais-tu que tu es très apprécié au Mali?

J'ai beaucoup d'amis au Mali qui est un pays incontournable sur le plan musical, le blues mandingue etc. J'ai travaillé avec Tata Pound, un des groupes de hip hop pionniers au Mali. J'ai aussi partagé une scène à Bruxelles avec Rokia Traoré. Je l'ai rencontrée grâce au guitariste Rodriguez Vangama qui a travaillé sur cet album, Makasi et celui de Papa Ray Lema Hommage à Franco Luambo. Il était avec elle sur la tournée de la création Coup fatal et je suis venu en guest.

Je suis aussi attaché au Sénégal, au studio Sankara à Dakar, où j'ai passé beaucoup de temps avec le kôrô Didier Awadi, Saf Niang, Bay Sooley, Bruno, le joueur de kora Noumoucounda Cissoko avec lequel j'ai eu la chance de travailler sur Ethnophony. Noumoucounda m'a permis de rencontrer Fred Hirschy, qui a été mon directeur artistique.

Te considères-tu comme un griot?

En quelque sorte, je suis un griot des temps modernes. Je parle beaucoup du quotidien, de ce qui se passe à Brazzaville, à Kinshasa, en Afrique en général. Je me tiens informé de l'actualité avec les alertes sur mon smartphone ou par les journaux. Le griot transmet. Transmettre c'est laisser des marques. Là où mon intelligence s'arrête c'est là où celle de l'autre commence. Quand ça ne va pas je dis à mon fils: « Voilà ce que j'ai laissé, à toi d'accomplir. » Je me suis emparé du patrimoine de mes parents et je dois le léguer à la nouvelle génération. C'est la continuité de la vie

Si tu n'avais pas été cet artiste pluridisciplinaire que ferais-tu?

Je pense que j'aurai été animateur éducatif pour encadrer les sorties scolaires.  Quand j'ai joué en Australie des aborigènes m'ont dit que dans leur langue Massamba c'est celui qui montre le chemin. Le sourire des enfants me fait fondre. C'est la première chose à laquelle je prête attention quand je voyage quelque part...

Pour aller plus loin

https://hangaamusic.com/138-2/

https://afrikconsultculture.com/

https://www.facebook.com/FredyMassambaOfficiel/

Julien Le Gros 

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