Article 11

Malan, la voix d'or du Super Mama Djombo

Le 26 juin, Antonio « Malan » Mané nous faisait l'honneur de nous recevoir chez lui à Montreuil. Chanteur du mythique orchestre bissau-guinéen Super Mama Djombo Malan , qui sort un nouvel opus Fidju di lion, a bien voulu ouvrir sa malle à souvenirs. Rencontre avec une figure emblématique des Indépendances africaines.

À Montreuil, où il vit depuis des années, Malan Mané passe inaperçu dans le flot de passants d'origine subsaharienne, sauf pour quelques mélomanes très avertis qui connaissent le Super Mama Djombo. On peut parfois le croiser dans un taxiphone près de la mairie où il a l'habitude d'envoyer des mandats financiers vers son pays natal la Guinée-Bissau. En décembre 2021, pourtant, Malan est sorti fugacement de l'ombre avec un beau coup de projecteur lors du festival Africolor « à domicile » au Nouveau théâtre de Montreuil. Il y était accompagné de certains membres du Super Mama Djombo. Plus près de nous, en mars 2023, Malan s'est produit au 360 music factory à Paris en acoustique avec son acolyte Sadjo pour présenter quelques titres de son dernier disque Fidju di lion sorti sur le label d'Archie Shepp Archie Ball. Sur cet album de belle facture de onze chansons réalisé par Fabien Girard on retrouve les vieux complices Tundu vivant à Londres, Armando et Sadjo à Lisbonne. La diva malienne Mamani Keita et le chanteur congolais Jupiter Bokondji sont aussi venus prêter main-forte en invités.

https://www.youtube.com/watch?v=W2tKIgMrJW0

https://www.youtube.com/watch?v=ISIKF0dHVOE

Le 11 mars 2023, au 360 music factory donc, le discret et humble Malan a aussi dévoilé en avant-première le documentaire boulevesant de 52 minutes dont il est le protagoniste Bissau le retour d'une idole, réalisé par Philippe Béziat, produit par Oléo films et visionnable sur le site internet d'Arte jusqu'au 28 décembre 2023. On y voit Malan revenir au pays et chanter l'hymne à Amilcar Cabral (assassiné le 20 janvier 1973) qu'il a popularisé Sol mayor por commandante lors d'un concert au stade en soutien au parti pro-Cabral. Celui-ci sera perdant aux élections législatives. Le narrateur-à la voix tremblante d'émotion, et initiateur de ce projet initiatique aux sources du fleuve Cacheu est Sylvain Prudhomme.

https://www.arte.tv/fr/videos/101898-000-A/bissau-le-retour-d-une-idole/

Celui-ci, présent lors de la projection, a consacré au Super Mama Djombo un roman Les Grands (Gallimard, 2014) à travers le personnage fictif du guitariste Couto (le vrai guitariste solo du groupe s'appelait Adriano « Tundu » Fonseca) et de sa romance imaginaire avec Dulce-inspirée de la chanteuse historique du groupe Dulce Neves. Sylvain est tombé amoureux de cet orchestre alors qu'il travaillait à l'Alliance française de Ziguinchor, au Sénégal, non loin de la frontière bissau-guinéenne. Il a d'abord rencontré l'un des musiciens le guitariste Serifo Dju. C'est lui qui a mis en relation Sylvain et Malan. Malan a été marqué à vie par sa rencontre avec Sylvain Prudhomme devant la mairie de Montreuil: « C'est quelqu'un qu'on ne peut pas oublier. Quand tu es dans une situation difficile et que quelqu'un t'aide c'est comme une famille pour moi. C'est lui qui m'a fait découvrir le lieu sacré du Mama Djombo, dans ce petit village qui donne son nom au groupe. » Dans le livre de Sylvain Prudhomme, on croise les musiciens authentiques du groupe Adriano Gomes Ferreira dit « Atchutchi », le chef d'orchestre, Miguelinho, guitariste rythmique et bien sûr Malan Mané dont les déboires d'exilé en France sont évoqués en creux. Page 161: « L'attaché présidentiel avait demandé si Malan jouait souvent, si les gens le connaissaient en France. Malan avait répété c'est dur ici tu sais, no ta dubria, on se débrouille. À quoi l'autre avait répond en s'insurgeant, faisant presque de son succès une affaire personnelle à présent, comment ça no ta dubria, comment ça un trésor national comme vous se débrouille, comment a t-on pu laisser faire ça. »

De footballeur à chanteur

Issu d'une famille musulmane, Malan a «hérité » du patronyme Antonio de l'administration portugaise qui attribuait à chaque enfant scolarisé un prénom catholique. Il nous avoue même avoir gardé au cas où ses papiers d'identité de l'époque coloniale. Malan naît le 20 janvier 1956 à Buba au sud de la Guinée-Bissau. Ce comptoir a été créé par les Portugais au XVème siècle a été à partir de 1625 une plaque tournante du commerce triangulaire d'où partirent des milliers d'esclaves. « J'ai grandi comme tous les enfants de village. », nous raconte t-il d'une voix posée, mon père était cultivateur et pêcheur. La pêche a été ma première activité. » Malan n'a que quatre ans le 3 août 1959 quand a lieu le massacre de Pidjiguiti cette revendication salariale dont il entendra parler par ses parents des dockers du port de Bissau. Elle sera écrasée dans le sang par la PIDE, la police d'État portugaise, faisant plus de vingt morts. Cette répression sera déterminante dans la militarisation du Parti africain pour l'indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap Vert (PAIGC), créé en 1956, sous l'égide du Cap Verdien Amilcar Cabral, qui mènera une guerre contre le colon portugais à partir de 1963. Après avoir tenté en vain d'obtenir le soutien de Senghor, les maquisards trouveront une base dans la Guinée-Conakry de Sékou Touré.

Le père de Malan ne se contente pas de suivre l'actualité politique. «Il était un grand supporter du club de football du Benfica à Lisbonne. » explique Malan. « Je rêvais d'un jour jouer au Portugal avec le Benfica. » Mais le père de Malan ne verra jamais jouer le Benfica. Il décède en 1968 et un an plus tard la famille de Malan s'installe à Bissau, la capitale. Dans son quartier à Bissau se forme une association. À la base, Malan, qui ne se voit pas en faire son métier envisage de jouer des percussions. Mais un de ses amis lui dit: « Non tu vas chanter parce que tu aimes trop chanter. » Malan a dix-huit ans et ne prend pas la musique au sérieux. L'aventure tourne court au bout d'un ou deux ans. Il décide de retourner au ballon rond avec le Benfica de Bissau. En 1973, Césario « Miguelinho » Hoffer, constatant que Malan est disponible le recrute au sein du Super Mama Djombo. Malan commence par décliner l'offre et va visiter sa mère à Buba qu'il n'a pas revue depuis plusieurs années. Mais on n'échappe pas à son destin de chanteur. À son retour à Bissau, Malan reprend l'entraînement avec le Benfica Bissau mais au loin il entend jouer le son d'une guitare lors de séances de répétition. « C'est là que j'ai compris que mon rêve d'être footballeur va disparaître et que j'ai rejoint le Mama Djombo. »

Le Super Mama Djombo

Le groupe est formé dès les années 1960 par un noyau de cinq jeunes scouts, dont Herculano Pina Araujo au chant, Zé Manel à la batterie, Francisco Martens « Chico » Karuka, le guitariste Jorge Medina, ces deux derniers sont aujourd'hui décédés. Atchutchi, qui deviendra le chef d'orchestre du groupe, étudiait alors au Portugal. Il est réquisitionné par l'armée portugaise alors sous le joug du régime de Salazar pour partir à la guerre coloniale au Mozambique. Atchutchi reviendra au pays après la révolution des Oeillets qui installera la démocratie au Portugal le 25 avril 1974. Plus aguerri que ses camarades musiciens sur la lutte d'indépendance Atchutchi a côtoyé à Lisbonne les membres du Cobiana Djazz, le premier orchestre de la Guinée-Bissau. Son leader José Carlos Schwarz meurt tragiquement à 27 ans dans un accident d'avion près de La Havane le 27 mai 1977.

https://pan-african-music.com/jose-carlos-schwarz-lua-ki-di-nos/

« Ils étaient plus âgés que nous. Moi je ne savais rien sur la politique. Mais j'ai apprécié ce qu'Atchutchi écrivait sur la lutte de libération nationale. Avec le temps je me suis formé politiquement. J'ai vu comment nos leaders fonctionnaient à l'indépendance de la Guinée-Bissau. » Une chanson dans lequel Atchutchi dit: « le mari d'Abili est parti », porte sur ceux « qui quittaient leurs femmes pour en épouser une autre plus éduquée et qui mange avec une fourchette et non plus avec les mains .» La particularité du Mama Djombo dans ce pays qui compte plus d’une trentaine d'ethnies, est de ne pas utiliser que le créole portugais dans ses chansons mais aussi un « mandingue un peu déformé » de l'aveu de Malan, issu du Mali.

Dans son appartement, le jour de l'interview Malan Mané consent à exhumer ses disques vinyles du Super Mama Djombo contenus dans un sac Leader Price.

Malan apparaît au premier plan de l'album de 1978 Na cambaça gravé sur le label Cobiana records. « Je suis sur la photo à la plage Giron à Cuba avec Cesario « Ntchoba » Morgado, qui est décédé, Baba Kanouté, qui vit au Portugal et est issu d'une famille de griots. Il vient de cette tradition » se souvient-il. Le groupe a joué à l'occasion du XIème festival international de la jeunesse et des étudiants de Cuba. Nous sommes alors en pleine guerre froide et la Guinée-Bissau fait partie des États socialistes invités européens, asiatiques, africains ou sud-américains. « À l'époque de la lutte de la libération, l'URSS nous a fourni des armes. Les indépendantistes bissau-guinéens ont commencé avec de simples machettes. » rappelle Malan. Au moment de ce disque, la plupart des pays d'Afrique sont indépendants. Après la Guinée Bissau, il y eut le Mozambique le 25 juin 1975 et l'Angola le 11 novembre 1975.

Sur le deuxième disque orné d'écritures en cyrillique-car pressé à Moscou en ex-URSS, ça ne s'invente pas!- Festival d'où se dégage la ballade Julia on voit en photo l'ouverture de cet événement et sur la pochette intérieure aux studios Valentim de Carvalho à Lisbonne où il fut gravé et où des années plus tard en 2022 Malan enregistrera son album solo Fidju di lion (le fils du lion), dédié à Amilcar Cabral. Un album de l'orchestre daté de 1983 est dédié à la mémoire du griot N'Famara Mané et un autre Mandjuana à celle d'un combattant de la libération bissau-guinéenne que l'on voit sur une photo en noir et blanc revêtu d'un treillis kaki.

https://www.youtube.com/watch?v=NHruGglNLH4

L’exil

Mais cette période faste pour l’orchestre fera long feu dans les années 1980. Le 14 novembre 1980 Nino Vieira prend le pouvoir à la suite d’un coup d’état, renversant Luis Cabral, et l'ambiance de durcit dans le pays. « En France on a le droit de manifester contre la politique d’Emmanuel Macron. C’est un pays démocratique. Mais en Guinée-Bissau on ne nous laissait pas manifester. Et nous critiquions le régime dans nos chansons. » décrypte Malan Mané. Celui-ci fera une demande de droit d'asile en France, un pays dont il ne parle pas alors la langue, en 1990: « Personne n'était là pour m'aider et je suis resté huit ans sans papiers.  Ça a fait remonter plein de souvenirs, après avoir été en Angola, à Cuba, au Mozambique, au Cap Vert, au Portugal je me retrouvais dans cette situation.» avoue t-il pudiquement. Arrêté lors d'un contrôle d'identité à Paris Malan subit une obligation de quitter le territoire français et ira se faire oublier à Elbeuf en Normandie. Son camarade du Mama Djombo le guitariste Djon Mota a vécu avant lui à Vernon dans l'Eure et a accompagné Manu Dibango, Sam Mangwana ou encore le Cabo Verde show. En difficulté administrative en France, Malan laisse aussi une épouse et une fille de cinq mois en Guinée-Bissau qu'il ne reverra que des années plus tard à Bissau, mariée avec deux enfants. Ce moment déchirant est capté dans le documentaire de 2019 Bissau le retour d'une idole. Sur son album solo Fidju di lion Malan raconte sa solitude d'immigré balloté de foyers en foyers sur le titre Tubabudu sio. « Me voilà assis au pays des Blancs parmi tous ceux comme moi qui se sont perdus. » C'est aussi en France à partir de 1990 que Malan apprend à jouer la guitare en autodidacte. Malan a été régularisé en 1999 et a pris attache à Montreuil. De sa guitare, sont sorties de nombreuses compositions restées trop longtemps dans les tiroirs parmi lesquelles Nelson Mandela, à la mémoire du leader panafricain décédé en 2013. « Il a voulu dépasser la question raciale et militer pour l'unité africaine. La chanson m'a été inspirée par le film Sarafina (1992) qui parle de l'Apartheid en Afrique du Sud dans lequel joue Miriam Makeba. Ma fille s'appelle Miriam en son honneur. » Une chose est certaine, Malan qui fait son grand retour avec Fidju di lion n'a pas fini de porter sa voix. On espère bientôt l'entendre en live pour notre plus grand plaisir.

Question thé ou café

Si vous n’étiez pas musicien que seriez-vous devenu ?

Si la musique ne m’avait pas happé comme elle l’a fait je serais peut-être devenu joueur professionnel et j’aurais évolué au club du Benfica à Lisbonne.

Précédent
Précédent

Article 12

Suivant
Suivant

Article 10