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Article 22

Cette interview est pour le média Web international :

L’autel des artistes de Paname et des arts d’influences intercontinentales.

Le du 29 Juillet 2024 de Cheikh Lo sur L'autel des artistes de Paname (Officiel) et des arts d’influences intercontinentales.

Il s’est confié à nous depuis chez lui à Dakar ( Sénégal 🇸🇳 ).

Une interview exclusive avec le légendaire Cheikh Lô, le baay fall de la musique sénégalaise. Cette interview fleuve promet d'être palpitante et riche en histoires fascinantes, alors que Cheikh Lo se prépare à célébrer ses 50 ans de carrière en 2025.

Un entretien et article réalisés par Lamine Ba.

Nos remerciements à Lamine Ba, Cheikh Lô, à Afrikconsult Culture pour l’invitation au Festival international FIGAS et Cheikh Ndiguel Lo au Pan Piper Paris - Festival International FIGAS#

Dans cet entretien exclusif, Lamine Ba s'entretient avec Cheikh Lo, le Baay Fall de la musique sénégalaise et figure emblématique de la musique africaine. Plongez dans l'univers de ce talentueux artiste sénégalais qui retrace ses débuts en Haute Volta (actuel Burkina Faso), son passage par Dakar et son influence croissante sur la scène musicale internationale. À travers ses anecdotes et réflexions, découvrez comment les rencontres et expériences de Cheikh Lo ont influencé sa carrière et continuent d'inspirer son œuvre aujourd'hui.

J’aimerais vous demander quelles sont les principales influences musicales qui ont façonné votre style ?

Ces influences sont diverses ! J’ai démarré ma carrière musicale au Burkina Faso qui s’appelait la Haute Volta, c'était avant le président feu Thomas Sankara…

Nous avions un groupe qui s'appelait le Volta Jazz qui était composé de musiciens originaires de différents pays africains. Il y avait des chanteurs congolais, burkinabés (voltaïques à l'époque), ghanéens ou encore maliens ; on jouait du hi-life. On reprenait aussi des musiques du Bembeya Jazz, c'était de véritables légendes en Afrique en ce temps-là.

Nous jouions aussi des musiques congolaises et des sons divers de toute l’Afrique de l’Ouest.

Quand tu débutes ton parcours par une formation comme celle-là, tes influences sont évidemment nombreuses et variées. Ce n'est qu'après ce grand chapitre en Haute Volta, que je suis venu au Sénégal où j'ai poursuivi mes études jusqu'en 1978.

J'ai joué pour la première fois au pays de la Teranga avec Ouza, et ses « Ouzettes » ; à l'époque il y avait les 4 femmes dans la section des instruments à vent et moi, j'étais batteur.

Il importe de rappeler que la batterie a été mon premier instrument.

C’est donc ainsi que je me suis initié aux musiques sénégalaises et, parallèlement, tous les soirs, j'étais à l'hôtel Savana de Dakar où je jouais une sélection variée de musiques modernes des 4 coins du monde.

Si tu combines toutes les influences citées dans ce résumé de mon parcours, tu peux constater que j’ai emmagasiné beaucoup de choses importantes. J’ai pu développer une certaine polyvalence artistique qui me permet de créer ma musique avec mes propres références.

En studio, j'enregistre toujours, en premier lieu, ma guitare et ma voix puis, je fais appel aux autres musiciens pour faire leurs partitions. Cela est chose rare, puisqu’il est de coutume que les musiciens démarrent avec la basse et la batterie lorsqu’ils sont en studio, c’est la base rythmique du son ; c’est après seulement, que les instruments mélodiques accessoires comme le clavier ou la guitare viennent s’ajouter.

C’est une démarche qui intrigue bien souvent les artistes que je côtoie et ils se demandent comment je réussis à faire des propositions musicales cohérentes sans même commencer par la base rythmique. Mais tout cela traduit bien la singularité que j’ai développée au long de ce parcours spécial.




Vous avez donc commencé la musique au Burkina Faso, qui était alors la Haute Volta. Qui vous a orienté vers cet art ? Appartenez-vous à une famille musicienne ?

De mes grands-parents à moi, il n’y avait encore eu aucun musicien lorsque j’ai choisi cet art qui m’a passionné.

Dès mon plus jeune âge, mon grand-frère avait déjà un tourne-disque ce qui était un véritable luxe à l’époque. Vous pouvez l’imaginer, dans les années 1968, avoir un vinyle ou même un téléphone fixe chez soi, était un privilège.

Mon grand-frère avait des 33 et 45 tours ; il achetait tous les vinyles de la sous-région et d'autres disques en provenance d'Europe. Tous les soirs, il préparait son thé et écoutait de la musique. À ce moment-là, j’arrêtais tout ce que je faisais pour écouter les morceaux défiler sur son tourne-disque.

Petit à petit, j’ai intégré l’école des artistes et je reprenais tous les morceaux que mon frère jouait. Je n’ai jamais eu de professeur de musique ni de chant, j’ai tout appris en autodidacte.

Il y a certaines œuvres que j’ai écrit et que même des musiciens de formation académique n’arrivent pas à reproduire aisément. Je suis la preuve vivante que le travail en autodidacte peut payer…




Est-ce qu’il a été facile de vous lancer dans une carrière musicale ? La famille a-t-elle accepté facilement ce choix ?

Ma mère était opposée à ce choix, mais mon père, bien plus « démocrate » était ouvert. Pour lui, ce qui comptait, c’était que l’on fasse ce que l’on aime. Mon père était comme un ami et c’est sur lui que je me suis appuyé alors que les avis de la famille étaient partagés au sujet de mon projet de carrière artistique.

Il faut dire qu'à l'époque, les musiciens n'étaient pas très bien vus. Parce qu’ils devaient fréquenter les bars pour se faire des revenus, on les prenait pour des gens vicieux, bandits, pervers ou des coureurs de jupons.

Le paradigme du succès que les colons avaient laissé à nos parents, c’était celui des grandes études et de la bureaucratie ; passer outre ce schéma, c’était tout simplement se perdre…

Mais, très tôt, j’ai compris que j’étais destiné à ne faire que de la musique et rien d’autre. La musique, rien que la musique, c'est ma vie, c'est ma passion !




Quels ont été les moments les plus marquants de votre passage en Haute Volta ? Y-a-t-il des souvenirs forts de ce chapitre qui ne vous quittent pas ?

Évidemment ! Je me souviens encore qu’au moment où, je rejoignais mon groupe, il y avait un batteur déjà bien établi. C'était un bon musicien d'ailleurs, qui ne me laissait jouer que deux petits morceaux, quand il était épuisé.

Mais j’ai tellement révisé notre répertoire que sans même jouer régulièrement, j’avais tous les enchaînements en tête. Je savais exactement comment il fallait accompagner chaque morceau.

À chaque opportunité que l’on m’accordait de prendre les baguettes, les gens s’étonnaient de mes prestations. Ils murmuraient tous que "le jeune sénégalais, le batteur remplaçant, est tout chétif mais il roule les tambours avec puissance comme un costaud…"

À mesure que les gens m’appréciaient, une jalousie s’est installée dans le cœur du batteur titulaire.

Il ne m’accordait plus beaucoup d’occasions de jouer et pire, il est allé confectionner chez des menuisiers voltaïques, des baguettes non-conventionnelles avec du très mauvais bois. Au bout de deux morceaux, elles pouvaient se rompre en pleine scène. C’était pénible mais j’ai supporté tout cela.

Alors que l’équipe m’appréciait de plus en plus, un jour, en pleine réunion, il a courageusement pris la parole et expliqué qu’il ne supportait plus l’idée de partager la batterie avec quelqu’un d’autre et qu’il fallait définitivement que le groupe choisisse entre lui et moi.

Personne n’a vraiment cédé à ce chantage et il a compris au silence de l’assistance que personne ne voulait mon départ.

Le saxophoniste (chef d’orchestre) qui m’estimait particulièrement, lui a dit qu’il n’était pas décent de réagir comme cela. Il lui expliqua que j’avais un profil très polyvalent et utile pour le groupe puisque je battais, je jouais des timbales, des congas et je chantais aussi. Il n’était pas question de me mettre à la porte. Tout cela s’est passé un vendredi.

Le lendemain alors que nous devions animer un show, il s’est expressément absenté pour pénaliser le groupe. Nous l’avons attendu longtemps et en ce temps-là, il n’y avait pas de portable pour le joindre. À l’heure du spectacle, le chef d’orchestre m’a signifié que je devais assurer tout le répertoire.

J’ai fait ce que j’avais à faire et visiblement, notre camarade en rogne avait envoyé un "espion" pour juger de ma performance, en espérant bien sûr qu’elle soit médiocre. Seulement, au sortir du show, tout le monde était heureux, j’avais bien assuré mes partitions.

J’imagine que son "espion" lui a fait entendre raison, lui rappelant qu’il était membre fondateur du groupe et qu’il n’avait pas à jalouser un élément talentueux qui vient apporter sa pierre à l’édifice. Il réintégra le groupe et nous continuâmes à jouer tous ensemble.

En musique, il ne faut jamais être prétentieux et croire que l’on est indispensable. Il y a toujours quelqu’un dans la contrée voisine ou même dans le continent lointain, qui peut venir faire mieux.




Quelle a été la suite de cette belle histoire ? Combien de temps avez-vous joué avec le groupe en Haute Volta ?

J’ai travaillé près de 6 années avec cette formation que j’ai intégrée en 1975. C’est en 1981 que ma famille s’est définitivement installée au Sénégal.

En 1978, j’ai quitté la Haute Volta pour faire mes études à Rufisque au Sénégal, c’est en cette période d’ailleurs que j’ai rencontré Ouza. Mais durant les grandes vacances, je retrouvais toujours mon groupe. On a évolué comme cela jusqu’à ce que je quitte définitivement le groupe.

C'est à partir de 1981, que j’ai rejoint Ouza, et on accompagnait des orchestres de variété dans les hôtels de Dakar.

En 1985, je débarque en France à Paris puis, je rejoints la grande cité phocéenne, Marseille, où je me produis un peu partout avant de retourner sur Paris.

À nouveau dans la capitale française, je fréquentais un établissement dénommé Studio Campus à la place de la Bastille. J’y allais en tant que batteur et chaque jour, des groupes français et d’autres horizons venaient répéter.

Quand ils n’avaient pas de batteur ou de percussionniste, les responsables du studio leur proposaient mes services. En ce temps, il n’y avait pas encore l’euro mais le franc français.

J’étais payé à 50 francs l’heure et au bout des sessions de 4 heures en moyenne, je rentrais à la maison avec 200 francs, l’équivalent de 20 000 Francs CFA d’Afrique de l’Ouest.

J’avais une vie très rangée et je ne quittais ma maison que pour me rendre au studio. De temps en temps, j’allais au Baiser Salé, un lieu de divertissement, pour voir jouer des formations de jazz.

En cette période, j’avais ma guitare dans la chambre et profitant de mes heures creuses, j’ai écrit Doxandem , avec l’espoir de le produire dans l’Hexagone.

Mais au bout de 3 années, précisément en 1988, j’ai décidé de rentrer au Sénégal ; J'ai joué avec un groupe qui s'appelait Gal Gui. Il y avait le grand Cheikh Tidiane Tall, Oumar Sow, excellent guitariste qui jouait du piano à l’époque. Il y avait aussi Thio Mbaye, le percussionniste, Mounir Abdallah, un bon bassiste libanais, ainsi que Robert Lahoud qui tenait le lieu et le matériel ; il jouait de la guitare et de l'harmonica.

Souleymane Faye venait juste de rentrer au Sénégal et avec lui, on reprenait tous les morceaux du groupe Xalam dont il était membre. On le faisait si bien que d’aucuns pouvaient croire que c’était Xalam en live, surtout qu’on avait avec nous le grand Cheikh Tidiane Tall, qui assurait leurs arrangements.

J’avais d’ailleurs omis de le dire plus haut, mais en France, j’ai moi aussi joué pour Xalam, à Paris notamment. J’ai habité avec eux à Villemomble, Gare de l'Est. Prosper était leur batteur titulaire mais aussi leur manager, et du fait de ses nombreuses activités, il arrivait qu’il s’absente.

Un jour alors qu’il devait se déplacer, il m’a demandé de le remplacer en répétition. Koundoul qui était alors le leader de la formation n’a pas apprécié. Pour lui, la cadence et le groove de Xalam ne pouvait pas être confié à « n’importe qui ». Il m’a clairement sous-estimé.

Mais l'un des chanteurs a dit qu’on pouvait essayer et qu’il n’y avait pas grand-chose à y perdre. J’ai fait les décomptes, les breaks et tous les jeux avec une telle confiance que Kundul était impressionné. Je connaissais tout le répertoire et rien ne m’a échappé dans le jeu, pas même une virgule…

À la fin de la répétition, il s’est excusé pour son comportement, mais je lui ai signifié qu’il n’est jamais bon de sous-estimer les gens.

Après cette parenthèse, revenons au Sénégal. Avec Gal Gui, un 31 décembre nous avons été conviés dans la ville de Mboro, pour un show dans la salle du CICES.

Alors que nous étions en train de jouer ce soir-là, un homme est monté sur la piste et il dansait très énergiquement. À un moment, presqu’insolemment, il nous a demandé d’arrêter. Je me demandais quel était ce personnage pour se permettre de stopper l’orchestre avec autant d’audace. C’était le directeur des lieux !

Il nous a demandé de jouer de la salsa et tout de suite c’était la panique au sein de l’orchestre parce que nous ne jouions pas ce style de musique. Cheikh Tidiane Tall nous disait pourtant d’intégrer cette musique dans notre répertoire.

J’ai soufflé à Oumar Sow que je pouvais nous sortir de la situation. Il était étonné, comme tout le monde d’ailleurs. Ils ignoraient tous que je savais chanter. J’ai demandé au pianiste de lancer le morceau « Guantanamo » en Fa majeur. C’était un classique que tous les salseros connaissaient.

Quand j’ai commencé à chanter, les gens ont pris d’assaut la scène et c’était un moment de folie. Le directeur de la salle est venu vers moi et m’a offert une bouteille de gin que j’ai à mon tour, offerte à un des membres de l’orchestre parce que je ne bois pas d’alcool. Il a demandé de rejouer le morceau ; qui était le seul que nous avions répété ce soir-là.

Robert Laoud qui était aussi producteur, était étonné ; il m’a demandé pourquoi je ne m’étais jamais révélé en tant que chanteur. Je lui ai expliqué que le groupe m’avait sollicité en tant que batteur et que je ne voulais pas bouleverser l’ordre des choses, surtout qu’il y avait déjà 4 voix notamment Souleymane Faye, mais aussi Makhou Lebougui, Fallou Dieng à ses débuts, ainsi que Coumba Gawlo.

Il m’a demandé si j’avais des maquettes à lui faire écouter dès notre retour à Dakar. Je lui ai expliqué que je n’avais pas assez de moyens pour enregistrer des maquettes de qualité et que j’avais juste des enregistrements très moyens, faits avec les vieux radiocassettes avec leurs boutons durs (rire), en fond, on pouvait même entendre des aboiements de chiens. Mais il voulait opiniâtrement découvrir mon travail.




C’est donc ainsi qu’a démarré votre grande aventure en tant que chanteur ?

Oui, en 1990, produit par Robert Laoud, j’ai enregistré ma toute première cassette, Dokhandem. C’était une œuvre unique pour le contexte sénégalais, avec sa proposition de styles différents sur chaque piste.

En 1995, j’ai monté un trio (guitare – percussions – saxo), avec dans le groupe, un artiste américain Thomas Vallet, qui était avec les Frères Guissé, chez qui il faisait de la flute peule.

Nous avons été sollicités par feu Mamadou Konté de l’association Tringa, pour animer des soirées sur un espace culturel tous les vendredis. Nous avons accepté le deal et un soir, Youssou N’Dour est venu ; je ne savais pas qu’il était sur les lieux. À la fin du show il s’est approché de moi pour me dire combien il appréciait notre proposition musicale.

Youssou N'Dour et moi, nous nous côtoyions déjà en ce temps-là. Après la sortie de Dokhandem, il m’arrivait d’aller au Kilimandjaro, un night-club dans le vieux quartier de Soumbedioune (Dakar) pour le voir jouer avec le Super Étoile, son orchestre, et bien de fois, il m’invitait à partager la scène avec lui.

Donc, après notre performance, quand il s’est approché, il m’a demandé une maquette du trio qu'il a apprécié au point de me proposer de nous produire.

On a pris rendez-vous au studio Xippi à la rue Parchappe. Le grand studio qu’il a maintenant n'existait pas encore, il était en construction.

C'est donc dans ce studio qu'on a sorti Ne La Thiass (1996) et immédiatement après, beaucoup d’Européens voulaient reproduire l’album sur le plan international. 

J’ai discuté avec Youssou et il m’a dit que la demande était forte du côté de l’Angleterre ; j’ai donc accepté de le reproduire Outre-Manche. Je suis entré en contact avec Nick Gold du label World Circuit, connu pour avoir produit des artistes comme Ali Farka Touré, Toumani Diabaté, Oumou Sangaré, les grosses pointures du Cuba Buenos Vista Social Club.

C’est Nick qui a reproduit le disque et qui va d’ailleurs produire le nouvel album que nous préparons, avec deux labels cette fois-ci : World Circuit et DMG. 




Parlez-nous un peu de votre collaboration avec Youssou N’Dour. Quel a été un des moments les plus marquants de cette aventure pour vous ? 

Le disque sur lequel on a travaillé, a été vendu en Angleterre et à travers le monde. Il était disponible dans toutes les boutiques FNAC en Europe ; en Espagne, en Italie, et même en Asie, au Japon notamment.

Il fallait faire une tournée de plus d’un mois dans toutes les grandes capitales d’Europe pour la promotion. J’ai fait le voyage avec le Super Étoile, l’orchestre de Youssou, car je n’avais pas assez de temps pour former un groupe ; j’ai répété tous les morceaux avec eux.

Il faut rappeler que Youssou a chanté deux titres de l’opus. Il était juste censé me produire, mais en studio, il m’a dit : « Cheikh, j’aime bien cette piste ; tu aimerais que j’y pose ma voix ? »

Et bis repetita pour le second morceau (rire) ! À chaque fois c’était un plaisir de le laisser s’exprimer sur mes compositions.

Je me souviens que nous étions en Allemagne à Cologne, juste avant un voyage à Londres (lieu de siège de mon label), dans le cadre de la tournée.

On était sur scène et le Super étoile avait pour les retours, un Sénégalais assisté par des anglais, et à la façade, il y avait Pape Ndour, le frère de Youssou Ndour.

Je chantais mais le volume de mon retour était très faible ; je suis allé vers un des techniciens européens sur les retours et je lui ai dit de m’augmenter le son, mais il m’a dit que c’était au Sénégalais que cette tâche revenait. Je me suis emporté et j’ai exprimé mon mécontentement sur scène. Youssou n’a vraiment pas apprécié et il a quitté la scène en plein show.

Il a convoqué une petite réunion à la pause du spectacle et le percussionniste de l’orchestre a dit « si c’est comme ça qu’il se comporte Cheikh, moi je ne joue plus avec lui ».

Mais moi, j’ai répliqué que : « si cela était à refaire, je le referais ; si ça vous insupporte, je prends mes affaires et je rentre à Dakar ».

La petite altercation a laissé Youssou sans mot. L’agent tour avait aussi remarqué ce qui s’était passé. Il m’a pris un jour en marge et m’a demandé si j’avais un groupe et je lui ai répondu que j’étais en train d’en former un à Dakar. Il m’a dit de ramener ma propre bande la prochaine fois.

C’est ainsi que depuis 1997, je ne joue plus qu’avec mon propre groupe, jusqu’à ce jour.

Mais Youssou et moi nous sommes séparés dans la paix, sans le moindre problème. Il était présent aux célébrations de mes 40 ans dans la musique, avec bien d’autres artistes comme Omar Pene ou encore Souleyamane Faye.

Je tiens d’ailleurs à rappeler ici que l’an prochain je fêterai mes 50 ans de carrière et je compte inviter des artistes de différents horizons, avec qui nous avons partagé la scène et des moments forts.

Après Ne La Thiass et votre tournée, vous êtes devenu un grand nom ; tout le monde vous connaît et vous jouez partout à travers le monde. Quelle a été la suite de tout cela ? 

Nous avons continué à avancer ! Avec mon groupe je me sens très libre et je peux diriger les choses selon ma convenance.

En 2015, avec mon album Balbalou, j’ai décroché le prix WOMEX, il s’agit du plus grand marché musical dédié aux musiques du monde.

En 14 années d’existence, aucun africain n’avait encore remporté ce prix, mais à la 15e édition du WOMEX, j’ai connu cette consécration qui a été la juste récompense d’un travail de longue haleine.

Il fallut vraiment besogner pour que cette distinction en l’honneur de l’Afrique et du Sénégal, ne souffre d’aucune contestation.

De tout ce parcours, je ne retiens que du positif !




On vous appelle le « Bayefall » de la musique ! Comment votre foi religieuse, influence-t-elle votre travail ?

Naturellement, ma foi musulmane et mon appartenance à la confrérie mouride transparaissent dans mes œuvres et sur ma personne.

C’est comme un artiste chrétien fier de sa foi, qui évoque Jésus dans ses textes sans le moindre complexe.

Je suis fier de ce que je suis et je n’ai jamais voulu ressembler à autre chose. Je veux être comme mon grand-père, c’est ma référence !

Mon appartenance au mouvement bayefall, est remarqué de par mon look vestimentaire et ma musique. Pour moi c’est une grande fierté.




Comment voyez-vous maintenant l'évolution de la scène musicale sénégalaise ? Quelle est votre perception ? 

Pour moi, c’est une question assez embarrassante et vous m’excuserez d’être sincère, mais je trouve que dans cette nouvelle génération, il y a plus de prétention que de créativité.

Beaucoup font perdre à la musique sénégalaise son prestige et tout cela s’explique pour moi, par le fait qu’il y ait de moins en moins de bons arrangeurs.

D'antan, Youssou N’Dour a eu l'immense chance d'être accompagné par feu Habib Faye qui était un arrangeur tel qu’on n’en aura peut-être plus. Depuis son triste départ, on réalise bien un changement dans les productions de Youssou.

Il y a quelques talents de la nouvelle génération qui essaient de faire quelque chose d’appréciable en s’inscrivant dans l’école du son acoustique ; ils sont peu nombreux mais ils méritent d’être encouragés.

Ceux de l’école du « pur mbalakh », je suis désolé de le dire, mais ils ne font que du bruit !


Quel conseil leur donneriez-vous pour améliorer les choses ?

Je les inviterais tout simplement à écouter le travail réalisé par leurs précurseurs, à redécouvrir cette façon admirable que les anciens avaient d’arranger le son et d’y ajouter des couleurs.

Ils ont à leur disposition les œuvres de l’Orchestra Baobab par exemple ; c’est un groupe au parcours immense et inspirant.

Puisqu’on parle de musique africaine, ils peuvent écouter les anciens des 4 coins du continent ! Je vous parlais par exemple de Bembeya Jazz de la Guinée, mais il y a aussi Aboubacar Demba, qui était une légende. Il y avait également des salseros ici comme Labah Sosseh ; il faut les écouter…

Médoune Diallo, Nicolas Menem, le parolier feu Thione Seck, le Super Diamono ou encore Pape Djiby Ba ; il y a tellement d’artistes qu’ils peuvent prendre pour référence pour redonner de la qualité à leurs compositions. Ils devraient explorer ces pistes là…

Aujourd’hui, beaucoup d’artistes qui font une petite réalisation, croient qu’ils sont arrivés ! ils ne vont vers personne pour apprendre. Il y a beaucoup de prétention…




Mr Lo, vous préparez votre 50e anniversaire de carrière, ainsi qu’un tout nouvel album musical. Quel sentiment vous habite en revoyant cet immense parcours que vous avez réalisé et à quoi s’attendre sur votre prochain disque ?

Avant tout, je tiens à remercier le bon Dieu ! Cinquante ans de carrière en tant qu’artiste-chanteur, ce n’est pas donné à tout le monde…

Beaucoup sont morts en chemin, et même ceux qui vivent, finissent parfois par être « démodés ».

Mon premier sentiment est donc celui d’une pleine gratitude à Dieu, qui m’a permis cette longévité.

Aussi c’est un honneur pour moi, avec ce long parcours, d’avoir réussi à assurer une certaine régularité. Je n’ai jamais voulu décevoir mon public et je pense que cela a joué pour beaucoup dans ma réussite.

Même quand il m’est arrivé de m’éclipser, 3 ou 4 années de la scène, c’était toujours pour écrire des œuvres à la hauteur des attentes de mes auditeurs. Ils m’ont toujours attendu avec beaucoup d’impatience et n’ont jamais cessé de s’intéresser à mon travail…

J’ai beaucoup d’espoir sur mon prochain album ! Le dernier à ce jour dans ma discographie reste Balbalou, qui m’a permis cette consécration mondiale au Worldwide Music Expo (WOMEX) en 2015, dont je vous parlais plus haut.

Chacune de mes œuvres a marqué un pas important dans mon ascension ; Ne La Thiass m’a permis de décrocher un prix national en 1996 devant tous les talents que notre scène locale comptait et, en 1997, j’étais en Afrique du Sud pour une reconnaissance continentale du meilleur talent africain aux Cape Town Music Awards.

D’une consécration nationale à une reconnaissance mondiale, en passant par un sacre continental, tout s’est fait progressivement, avec la main de Dieu en appui.

Donc pour le prochain album, je promets une bombe qui célébrera mes 50 ans de carrière, mais aussi mes 70 ans de vie sur terre et toutes ces belles aventures vécues avec mon Ndiguel Band !




Nous sommes à la fin de notre interview, merci pour ce bel entretien, Monsieur Lo !

Je vous en prie, c’est moi qui vous remercie…

Pour la Compagnie Isaac & Jade

Lamine Ba

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Article 21

L’énergie sincère d’Habib Koité

Originaire d’une famille de griots Khassonké de Kayes, Habib Koité est une des dernières légendes de la musique malienne. Depuis Bamako, sa ville de cœur, le guitar hero a accordé une interview emplie de générosité à L’autel des artistes de Paname.

Cher Habib, quelle est votre actualité ?

Avec mon groupe Bamada, nous avons des répétitions régulières. On a des concerts programmés en Allemagne, aux Pays-Bas. Nous sommes un peu freinés par la paperasserie administrative. Plus on voyage et plus on doit fournir des documents pour obtenir des visas. J’ai un carton rempli ! Cela faisait un certain temps que je n’avais pas tourné. L’an dernier, on a décidé d’une année sabbatique avec ma maison de production depuis 1995 et mon premier album Muso ko Contre-jour. C’est une famille pour moi, ce couple formé par Michel de Bock et Geneviève Bruyndonck. Leurs bureaux sont en vis-à-vis. Ils ont signé d’autres artistes (Dobet Gnahoré, Kareyce Fotso, Driss El Maloumi, Omar Pene) https://contrejour.com C’est une maison qui a grandi doucement mais sûrement. Donc 2023 était au « ralenti » pour moi, même si j’ai fait des courts séjours à Bruxelles et en Allemagne. Mais cette année 2024 est un moment de reprise des concerts. C’est mon métier et ça me fait du bien d’être sur scène. Après les prestations avec Bamada, je resterai à Bruxelles avec mon percussionniste Mama Koné et nous devons mener un autre projet parallèle avec Lamine Cissokho, un grand joueur de kora virtuose qui vit en Suède-il fait du jazz, du blues-et Aly Keita, un grand balafoniste malien et ivoirien qui est basé à Berlin. Ce sera une séance de retrouvailles du Mandé, nom donné à l’empire mandingue, et de répétitions pour ce projet intitulé « Mandé sila ». On doit le porter avec des concerts aux États-Unis à l’automne 2024, comme le 30 octobre à Santa Barbara, en Californie. Après avoir beaucoup communiqué de façon indirecte, par whatsapp, on est tous réjouis de se rencontrer et de voir ce qui va en sortir !

Votre opus précédent Kharifa remonte à 2019. Pourquoi ce silence ?

C’est un album qui est sorti fin 2019 à la veille de la crise du Covid-19. https://habibkoite.bandcamp.com/album/kharifa Malheureusement cette pandémie a bloqué sa promotion, de sorte qu’il est passé presque inaperçu. En 2020, le Covid est passé à cent kilomètres à l’heure. Les concerts se sont arrêtés en Europe et les promoteurs de spectacle ont été contraints de rester les bras croisés. Les artistes africains ne pouvaient plus venir puisque les portes des salles étaient closes. Sur cet album, il y a Toumani Diabaté (décédé depuis l’interview, le 19 juillet 2024, note de la rédaction), la chanteuse Amy Sacko, mon fils Cheick Tidiane (CT) Koité et mon neveu M’Bouillé Koité qui a remporté le prix découverte RFI en 2017. A l’époque j’étais en concert à Philadelphie. Et j’ai appris par un journaliste que le trophée que j’ai obtenu en 1993 avec le titre « Cigarette a bana (la cigarette c’est fini) » https://youtu.be/sOWEwk3_x1c?si=RxIBuRzLjRmSgUdL est revenu à la maison Koité. Ce prix a donné un coup de fouet à la carrière de M’Bouillé. Il a eu droit à une tournée organisée pendant un an par RFI qui l’a aidé à se propulser, à se faire connaître dans la sous-région, dans le réseau des alliances et instituts français. Aujourd’hui c’est une des grosses stars de Bamako. Ces gosses, ils sont nombreux, sont venus nous déloger de notre place !

Est-ce que cette filiation familiale et musicale vous rend fier ?

J’étais surpris de voir M’Bouillé chanter et jouer à la guitare alors qu’il était à côté de moi, impassible, tous les jours pendant les répétitions. Il ne touchait pas la guitare devant moi. Il faut repérer les enfants vite et leur mettre la main à la patte le plus tôt possible. Je suis entouré de jeunes musiciens. Je ne dirais pas que je suis le « dernier des Mohicans » mais je fais partie de ces grands frères que les jeunes ont suivi. C’est une carrière de quarante ans pour moi. J’avais ces gosses autour de moi pendant mes répétitions à Bamako ces dernières années. Je ne les sentais pas concentrés mais je me trompais. Ils ont retenu des choses. Ils assistaient à toutes mes répétitions, assis innocemment. Avec les années ils ont grandi. Mon fils CT a fait ses études, il a passé son Bac. Il m’a dit qu’il ne se voyait pas faire autre chose que la musique. On l’a envoyé à la School of audio engineering (SAE) de Bruxelles, une école où il a pu étudier le son et l’audiovisuel pendant quatre ans. Il y avait des amis pour l’encadrer là-bas. Ensuite, il a fait des stages. Et maintenant je me demande s’il n’est pas devenu Belge ! Quand il me parle en français il a un accent belge !

Sur Kharifa, il y a une chanson Yaffa qui prône la tolérance. Pouvez-vous expliquer ce texte ?

Là on rentre dans la philosophie (Rires) C’est un morceau que j’aime beaucoup. Ça signifie : « demander pardon ». C’est une demande adressée à quelqu’un qu’on aurait offensé sans le savoir. C’est la rencontre d’hommes qui essaient de se connaître mieux. Nous sommes tous différents en fonction de nos cultures, de nos identités, de notre éducation. C’est en apprenant à connaître nos différences qu’on apprend la tolérance. Ça ne sert à rien de vouloir transformer quelqu’un. Il faut accepter la personne telle qu’elle est et on peut faire de belles choses ensemble. Je parle aussi de défendre la nature parce que j’ai une conscience écologique.

Votre groupe Bamada, c’est une aventure de trente et un ans. Comment est-ce parti en 1988 ?

A l’origine du groupe il y a moi, jeune passionné. J’avais une énergie débordante que je n’ai plus aujourd’hui pour courir derrière un ampli, une guitare, appeler des jeunes frères mélomanes que j’avais repérés dans le quartier et leur dire : « Venez et amenez vos instruments. » J’avais le courage et la patience d’organiser des répétitions interminables. Je ne sais rien faire d’autre qu’écouter de la musique, étudier les accords à l’oreille ; écouter les harmonies pour trouver les arrangements pour les autres instruments. Je ne sais pas jouer aux cartes ou aux dames. Je disais au bassiste : « Joue cette note.». On a réussi à composer beaucoup de morceaux comme ça qui n’étaient pas forcément sophistiqués mais qui étaient variés. Ça nous a donné beaucoup d’expérience et d’ouverture sur les autres musiques. On a joué dans des clubs pendant plusieurs années, avec une clientèle mélangée, un auditoire très divers, avec des Maliens, des occidentaux qui travaillaient dans le pays, des Italiens, des volontaires états-uniens au service national. J’ai gardé des contacts de cette époque jusqu’à aujourd’hui, des petits jeunes qui sont devenus adultes entretemps et se sont mariés dans leur ville natale. Ce sont des gens qui font tout pour être là si je joue à proximité de chez eux. Dans notre jeunesse à Bamako, on a eu des souvenirs mémorables. A cette époque, on ne se fatiguait pas, on fonçait, on faisait la fête jusqu’à cinq heures du matin !

Quelle influence ont eu pour vous des guitaristes comme Djélimady Tounkara ou Sekou « Diamond fingers » Bembeya du Bembeya jazz ?

Ce ne sont pas des guitaristes qui m’ont influencé mais je les ai connus. J’ai suivi ce qu’ils faisaient. J’essayais d’aller dans les endroits où ils jouaient, où je pouvais les observer en toute discrétion depuis ma place. Je me faisais tout petit parce que je n’avais pas l’âge requis pour fréquenter ces lieux. Je suis allé plusieurs fois voir Mory Kanté en concert rien que pour regarder son guitariste, qui n’est plus lui non plus, Kanté Manfila. Pour moi c’était un mentor, même si on ne se parlait pas et qu’il ne me connaissait pas. Je n’avais pas un rond mais j’étais prêt à braver la police pour rentrer dans la salle et le voir jouer. J’étais fasciné par ses grimaces quand il montait sur un solo de guitare. J’ai profité de toutes ces expériences pour venir à la guitare à ma façon. Je ne les ai pas imités mais je les ai profondément admirés.

Votre professeur à l’Institut national des arts (INA) de Bamako s’appelle Kalilou Traoré. Il a aussi été l’un de vos mentors.

Il était professeur de guitare classique. J’étudiais dans la section musique de l’INA. J’ai choisi la guitare. Kalilou, grand frère de Boubacar Traoré, était expérimenté parce qu’il s’était formé à Cuba avec Las Maravillas du Mali. Je jouais la guitare dans la rue avec les copains. Kalilou m’a apporté la discipline de la guitare classique dont je manquais, le dos droit, avec une position des mains, de la gauche vers la droite. Il m’a donné des exercices à n’en plus finir qui ont habitué mes doigts au contact des cordes. Il faut être courageux, vraiment aimer cet instrument pour passer ce cap. Pour réaliser ce rêve de devenir guitariste, j’ai dû passer des mois à faire ces exercices de doigté. Il y en a qui abandonnent en cours de route. Petit à petit je suis rentré dans la structure de morceaux comme Jeux interdits de Narciso Yepes, Vivaldi… Quand tu vois la complexité de cet instrument et les notes qu’un bon guitariste peut produire avec une seule corde ça relève un peu de la sorcellerie. Cette formation m’a beaucoup aidé à trouver une façon d’utiliser mes doigts qui est très personnelle. J’ai transformé cette technique de Kalilou et je l’ai adaptée en jouant avec les instruments traditionnels, la kora, le ngoni dans lesquels, comme pour un clavier de piano, chaque corde a une note fixe.

Qu’est-ce qui vous lie avec le bluesman Eric Bibb ?

Notre aventure est loin d’être finie ! Avec Eric, on s’appelle des frères. On a connu des moments très forts avec l’album Brothers in Bamako. https://habibkoite.bandcamp.com/album/brothers-in-bamako Je l’ai connu en me produisant dans une salle à Calgary, au Canada. Ce soir-là il jouait en solo. Je l’ai regardé dans les coulisses, sa voix et son placement de cordes étaient nets. Je l’ai salué dans sa loge. Il était charmant, il rigolait facilement. De ce soir-là c’était parti entre nous. C’est comme ça qu’à travers nos maisons de production respectives, Eric est venu pour la première fois à Bamako. Il était venu auparavant en Afrique, mais au Ghana. Toutes mes sœurs, du même père et de la même mère, sont venues le saluer, selon la tradition malienne. Elles l’ont chahuté à l’hôtel. La chaleur de cet accueil, c’est quelque chose qui l’a marqué. On a fait venir un ingénieur du son du Canada, le Québécois Daniel Boivin (celui-ci a notamment travaillé avec Richard Bona NDLR) qui est venu avec son matériel, son ordinateur Mac. On a fait une séance d’enregistrement simple et rapide en huit jours. Mais c’est tombé en même temps qu’une situation d’instabilité au Mali avec un coup d’état et, au Nord du pays, avec l’insurrection touarègue qui a déclaré l’indépendance de l’Azawad. Une chanson du disque s’appelle Tombouctou J’ai été invité à jouer dans le Nord, mais en raison du contexte politique Eric a préféré rester à l’hôtel. Deux jours après il a pris l’avion du retour. Brothers in Bamako est un album charmant, qui n’a pas coûté cher et s’est très bien vendu. On a fait de nombreux concerts. On criait dans le bus du retour tellement l’ambiance ne s’arrêtait pas. La dernière fois qu’on a joué ensemble c’était le 23 avril 2023 à la Philharmonie de Paris avec, entre autres, Cedric Watson et Lamine Cissokho. C’était un concert très honorable.

Vous avez aussi participé à Acoustic africa avec Oliver Mtukudzi du Zimbabwe, Afel Bocoum…

C’est un projet panafricain, c’est une expression qu’on entend beaucoup maintenant. Mtukudzi jouait du mbira, ce petit instrument qui sonne comme une sanza. C’est un extraordinaire guitariste et chanteur. C’était un gars très calme, qui parlait peu. Il a une discographie impressionnante. On a fait une grosse tournée avec lui et des musiciens dans le sillage d’Ali Farka Touré, Afel Bocoum au chant, Mamadou Kelly à la guitare, mais aussi mon percussionniste Mama Koné à la calebasse, un joueur de congas… On était dans « tour bus » avec une douzaine de lits. C’était une expérience spéciale. Le fond du bus était animé comme dans une boîte de nuit. On avait un écran géant de télévision et on pouvait capter six cents chaînes. On rigolait et on causait dans le bus jusqu’au « KO technique » où chacun s’endormait dans sa cabine. https://acousticafrica2.bandcamp.com/album/acoustic-africa-in-concert Avec Mtukudzi on a aussi tourné en Afrique australe, l’Afrique du Sud, Johannesbourg, le Botswana, Gaborone, le Swaziland. C’était formidable pour nous autres Maliens de découvrir ces endroits du continent. Au Swaziland, aujourd’hui appelé Estwatini, on a appris ce qu’est l’Umlhanga, la cérémonie de la danse des roseaux, pendant laquelle les femmes célibataires sans enfants voyagent dans les chefferies. C’est à cette occasion que le roi Mwasti III choisit des femmes vierges. Le climat là-bas n’a rien à voir avec notre Harmattan sahélien. L’Afrique c’est extraordinaire. J’aimerai qu’on puisse échanger, être plus proches les uns des autres. Nous avons été séparés par les distances, les langues, les découpages coloniaux entre la France, les Pays-Bas, le Royaume-Uni... Quand on a la chance de voyager on se rend compte à quel point ce continent est riche culturellement. On devrait prendre le temps de se mettre ensemble entre Africains pour se connaître mieux. Donc, avec Oliver Mtukudzi, on devait se retrouver en 2019 au festival Mizizi sounds of the Nile en Ouganda. Mais Oliver avait des problèmes de santé et il n’a pas pu venir. J’ai joué deux soirées là-bas. Et puis l’année suivante Oliver Mtukudzi est décédé. Qu’il repose en paix.

Question thé ou café. Si vous n’aviez pas été musicien qu’auriez-vous fait ?

Figurez-vous qu’au début j’ai été orienté vers une école technique pour travailler dans le bâtiment. Un de mes oncles était directeur de l’école. J’avais un oncle maternel à l’inspection académique. Ils étaient amis. J’ignorais qu’il se connaissaient. On m’a envoyé passer un examen. Mais en fait je me cachais pour jouer la guitare. Voyant cela, mon oncle inspecteur académique, au lieu de m’envoyer à l’école technique m’a transféré à l’Institut national des artis. Il m’a dit qu’il était au courant de mes activités. Il avait compris que j’excellais et que je passerais le cycle d’études facilement. Il a bien fait parce que je n’aurai pas duré à l’école technique. J’avais déjà cette passion incroyable pour la guitare et cette aptitude à comprendre la musique. J’ai toujours été premier pendant mes quatre ans de formation à l’INA. On n’échappe pas à son destin.

Propos recueillis par Julien Le Gros


Pour suivre l’actualité de l’artiste  :

https://habibkoite.com/

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Article 20

Des Murs à pêches à Zanzibar

Le 28 mars 2024, l'Autel des artistes de Paname a rendu visite à Johnny Montreuil dans son QG, une caravane du quartier montreuillois des Murs à pêches. Zanzibar  est son troisième album, sorti chez Les facéties de Lulusam-L'Autre distribution. Rencontre entre bitume et nature avec un poète banlieusard attachant, adoubé par Didier Wampas et Sanseverino. Johnny sera en concert à la Cigale le 29 octobre 2024.

Comment as-tu posé tes bagages aux Murs à pêches?

De la même manière que j'ai fait de la musique, c'est-à-dire sans demander, sans être invité! Colette travaillait avec des Roms à Montreuil. Elle m'a présenté à Philippe qui s'occupait du cirque Aliboro, ce vieux cirque abandonné coincé entre deux murs à pêches. J'y ai vécu un certain temps. De fil en aiguille, à l'invitation de la mairie qui est bienveillante, j'ai atterri au Jardin Pouplier. Ça reste encore une zone libre, de « non-droit », ou encore de droit qu'on prend sans marcher sur les pieds de personne. Ça correspondait vraiment à comment j'avais envie d'être, de vivre ma musique, ma vie comme j'en ai envie avec les peuples de la Terre de cette proche banlieue sans se faire suer avec ces histoires de Grand Paris, de prix du logement qui explose, de gentrification.

https://senshumus.wordpress.com/le-jardin-pouplier/

Ma caravane est branchée sur une maison derrière. C'est un peu la vie de Tom Sawyer dont je rêvais adolescent quand je voulais vivre dans une cabane. C'est un site protégé donc on y est tranquille.

Pourquoi ce titre de ton troisième album Zanzibar?

C'est un souvenir d'enfance que j'ai avec mon frère. On a grandi dans une cité HLM la Plaine à Clamart. Zanzibar, c'est presque un titre de film. Ça évoque loin, la mer, l'Océan Indien. Le mot « Zanzibar » claque. Si je disais « Bab El Oued » ça n'aurait pas le même pouvoir d'évocation. Zanzibar nous invite à prendre un bateau. Sur le morceau Zanzibar, dont le clip est sorti le 15 avril « Zanzibar » c'est ce qu'il y a dans nos têtes, dans notre imaginaire. Quelqu'un qui est enfermé entre quatre murs a besoin d'images fortes pour faire passer la pilule, sortir de son quotidien le temps de trouver les moyens de partir...

Fils de deux ouvriers d'Issy-les-Moulineaux, tu as composé un titre sur un album précédent Devant l'usine.  Ricky banlieue, les BD de Franck Margerin ont aussi porté ton imaginaire.

Ça correspondait sur ce que je trouvais de drôle et de chouette en banlieue. Dans mon quartier à Clamart il n'y avait pas beaucoup d'humour. Il y avait ceux qui étaient dans le « business » de drogue. Il fallait faire du pèze. Les gens devaient gagner leur vie. Le quotidien n'était pas rigolo pour certaines personnes. Enfant, je vivais dehors avec mes copains on ne se posait pas de questions sur nos origines. On rigolais, on faisait des conneries. Et puis en grandissant je me suis rendu compte que la vie devenait sérieuse et dure. Dans l'univers de Margerin, sur l'album Place de ma mob (ou Laisse béton, 1977) de Renaud, il y a beaucoup d'humour dans les situations. Malgré la galère il y avait quelque chose de très léger. Je trouvais ça cool. Je me suis dit que je n'étais pas né au bon moment en banlieue. J'aurai aimé connaître cette période là. Après, ce qui m'a fait voyager c'est surtout la littérature états-unienne de Kerouac, John Fante, Charles Bukowski... Ces histoires de mecs qui ont un quotidien assez misérable et qui arrivent à se l'embellir, à se projeter à travers l'écriture. J'en ai retenu que j'étais maître de mon destin. C'est moi qui décide et personne à ma place.

https://www.youtube.com/watch?v=SnFJ-gNczZI

Sur l'album Visions de Manu sonne comme un hommage au Renaud des années 1980.

C'est ce que j'écoutais adolescent dans ma chambre, à l'époque des premières histoires de coeur. J'écoutais aussi beaucoup de musique populaire à la radio. C'est un texte qui m'est venu un matin après une rêverie. Ça aurait pu être sur le précédent. Mais ce titre s'est bien positionné dans la construction de cet album, est arrivé à maturité. On l'a composé avec le guitariste Ronan Drougard. L'album Place de ma mob a beaucoup d'humour et est très mélancolique en même temps, avec des personnages très forts. Ça a influencé mon écriture. À titre personnel je trouve que c'est le seul album de Renaud où les arrangements signés par un contrebassiste Patrice Caratini sont vraiment au niveau de sa plume.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Manu_(chanson)

Au fait, ton vrai nom c’est Benoît Dantec. D’où vient l’alias Johnny Montreuil ?

Au tout départ l'association des deux mots c'est une grosse référence à Johnny Cash pour le « Johnny » et le « Montreuil » pour que ce que j'ai adapté de lui dans mon univers localement dans cette ville de Seine-Saint-Denis. J'y ai croisé plein de personnalités qui, pour moi, renvoyaient à ses chansons. Il avait un univers original, très proche de ce que j'étais à ce moment-là. J’aime les chansons de Johnny Cash des années 1950 mais je ne me revendique pas spécialement du rockabilly. Lors de mon premier concert avec cet alias « Johnny Montreuil » des anciens sont venus de voir et m'ont dit: « Tu l'as connu le vrai « Johnny de Montreuil? » J'ignorais son existence. Ce personnage a été photographié par Yan Morvan dans un bouquin qui s'appelle « Gangs story », dans lequel on retrouve plus de 200 malfrats de banlieue (Ducky boys, Requins vicieux...) jusqu'aux années 1990-2000. Le livre s'ouvre par la période des Blousons noirs dans les années 1970 avec ce Johnny de Montreuil qui a introduit le photographe dans le milieu des Hells Angels. C'était un personnage pas très recommandable, le prototype du loubard de banlieue. Ça me faisait rire d'être une sorte de « réincarnation cool » parce que je fais de la musique et que je ne me prends pas pour un bandit. Mais j'aime bien être dans les endroits un peu chauds, en bordure, en marge qui restent à Montreuil. Je me suis construit en tant qu'artiste avec cette énergie. Je ne me produis pas que dans ces contextes-là mais mon inspiration vient beaucoup de ce qu'on appelait avant la « zone ».

Comment tout a démarré pour Johnny Montreuil en 2012 ?

À la base, j'étais seul à la contrebasse. Il y a eu Emilio Castiello au violon tsigane quelques temps qui était aussi sur un autre projet musical tourné vers les Balkans Aälma Diili. https://www.youtube.com/watch?v=cA-gAXR_35A Kik Liard est rapidement arrivé dans l’histoire. J’ai toujours aimé le son de l’harmonica. Ça a marché tout de suite avec Kik. C’est quelqu’un qui chante. Il a un passif, il dessine… C’est un personnage attachant. On le croirait sorti d’une BD de Margerin. Il traîne beaucoup de choses avec lui, positives ou négatives. C’est une personnalité très forte plus qu’un simple joueur d’harmonica. Il a ce côté vieux blues, punk dans son énergie. Chacun a amené ses influences, Ronan Drougard à la guitare vient de la surf music, Steven Goron à la batterie, qui vient plus du groove, du funk, Marceau Portron, nouveau guitariste est issu du rock psychédélique. Pour moi le rock, plus qu'un style de musique c'est une manière de vivre la musique.

https://www.youtube.com/watch?v=Dsyg6oZYPOI

Le producteur de l'album c'est Jean Lamoot. Il a travaillé avec Salif Keita, Noir Désir... Qu'a t-il amené dans ce projet?

Il a amené un son très propre dont on est très fier. Il a d'abord écouté nos maquettes qui étaient volontairement très disparates. Il s'est dit que sa mission c'était d'obtenir un son qui corresponde à ce qu'il a entendu sur les maquettes, assez sauvage, pur et authentique. On l'a vu à l'oeuvre plonger les mains dans notre tambouille. Il ne nous a pas détourné. Il s'est servi de ce qu'on faisait pour le sublimer. On est très contents de son travail et de la manière dont l'album a été reçu. Souvent quand on a la tête dedans on n'a pas le recul pour savoir si ce qu'on a fait est bien ou pas. Les premiers retours très positifs nous ont conforté dans l'idée qu'on a fait un bon boulot avec Jean.Pour la suite, on ne fera plus de pré-production avec lui. On travaillera ensemble de A à Z pour lui laisser plus de temps. Ce sera une nouvelle expérience.

Comment sont venus les featuring Rosemary Standley de Moriarty, Fixi et Camille Bazbaz?

Ça s'est fait au studio de Jean, aux studios Ferber à Paris. Avec les membres du groupe on a eu la volonté de construire le disque ensemble, avec un rendu qui nous plaise. On n'avait pas forcément envie d'inviter des personnes. Pour Fixi j'ai un autre projet en parallèle et je suis très fan de son toucher d'accordéon très world music, aux antipodes du musette. Bazbaz a son studio à côté de celui de Jean. Ils travaillent ensemble sur des projets de Camille. Jean lui a proposé de jouer des claviers sur notre album quand ça s'y prêtait. C'était plus des arrangements que le fait d'inviter d'avoir des invités. Sauf pour « Vers les îles », le duo avec Rosemary qui était un choix délibéré de cette voix et de cette personnalité que Jean connaissait aussi. https://www.youtube.com/watch?v=dDhO1a5CimE Ça nous a permis de travailler artistiquement dans des conditions correctes d'enregistrement, avec des belles relations simples et naturelles. Il y a aussi Guimba Kouyaté qui joue du tama sur deux titres. On n'a jamais forcé quoi que ce soit et on récupère ce signal dans notre collaboration avec Jean.

Puisqu'on parle de rencontre, qu'a représenté pour toi celle avec Rachid Taha sur ton premier disque Narvalo city rockers (2015)

Il y avait quelque chose de l'ordre de la transmission dans nos rapports, de grand frère à petit frère. Je l'ai connu sur les dernières années de sa vie. C'était très sincère à chaque fois. Je l'ai un peu connu grâce à Thomas de la Caravane passe à l'époque où on jouait avec Aalma Dili à la Maroquinerie. En terrasse il voyait ma gueule et me chambrait: « ça va Johnny? » Il habitait aux Lilas. On se croisait au café le matin pas loin de l'école de ma fille. Je l'ai amené en studio, je lui ai fait écouter un morceau que j'ai composé sur la condition des femmes en Algérie. On s'est baladé dans Paris à écouter du Elvis, à prendre une chorba à Strasbourg-Saint-Denis. Il y a eu quelques nuits comme ça très riches en discussions. On peut raconter ce qu'on veut sur lui, sur sa maladie qui l'a affaibli à la fin de sa vie, sur son noctambulisme invétéré qui lui collait aux pompes. Il avait des moments de lucidité, de simplicité, de tendresse incroyables. J'étais content d'avoir sa voix sur un morceau. C'est une figure de grand frère. Il y avait une filiation entre nous, avec les origines algériennes de mes enfants, nos origines sociales, il a été avec ses parents aux Minguettes, j'étais à la cité de la plaine à Clamart...

https://www.youtube.com/watch?v=q_PMsubkYKA

Y aura t-il d'autres projets avec Aälma Dili?

On a commencé en 2012 en même temps que Johnny Montreuil. Avec la sortie de mon deuxième album Narvalo forever  en 2019 j'ai dû quitter le groupe et me faire remplacer sur Aälma Dili. Mais on a quand même réussi à réunir les deux groupes sur un projet qui s'appelle Narvalo Dili rockerz. Benny, guitariste a quitté Aälma Dili et on l'a fêté lors d'un concert au Cirque électrique le 13 avril. Les pages se tournent mais le livre reste ouvert! Il y a le concert à la Marbrerie à Montreuil avec Narvalo Dili Rockerz le 10 mai 2024. On est quand même parvenus à mettre ensemble toutes ces personnes qui se tournaient autour sur scène et à monter un show avec ça. Je vais me replonger avec grand plaisir dans ce répertoire tsigane de Serbie, de Roumanie, de rebetiko.. Aälma Dili m'a permis de m'accomplir avec la contrebasse, d'y ramener un côté punkoïde et ça a aussi nourri Johnny Montreuil. Tous ensemble, on a réussi à vivre notre vie alors qu'encore une fois on n'y était pas invités!

Questions bonus, l'instant thé ou café:

As-tu des livres et des films de chevet?

Enfant, je faisais semblant d'être malade pour ne pas aller à l'école et je bouquinais dans mon lit des livres d'ATD Quart-monde. Ce regard d'enfants sur d'autres enfants m'a fait comprendre rapidement que quand tu as été aimé par tes parents, que tu as eu un cadre, une éducation, il faut le partager avec d'autres qui n'ont pas reçu tout ça. Bien plus tard j'ai été projeté dans un autre univers avec Sur la route de Jack Kerouac. Il y a eu un avant et un après pour moi quand j'ai découvert Oro de Cisia Zykë. Ce que je retiens de l'histoire de cet aventurier au Costa Rica c'est que c'est lui qui décide, qui met ses propres règles dans sa vie. Au cinéma, j'ai été marqué par Le bon la brute et le truand de Sergio Leone, et encore plus fortement par un autre de ses films Il était une fois la révolution. Ces deux personnages joués par Rod Steiger et James Coburn ont besoin l'un de l'autre. Ils ne se battent pas pour la même cause mais le facteur humain est plus fort. Au départ ils ne peuvent pas se blairer et se font des crasses et ils deviennent les meilleurs amis du monde.

https://www.youtube.com/watch?v=VgTNKHoo0zo

Si tu n'étais pas musicien qu'aurais-tu fait? Ferrailleur?

Non, c'est trop dur! Ma chanson Chiner la ferraille faisait référence à mes anciens voisins roms du cirque Aliboro. Je décrivais leur journée de labeur avec le camion. Il y avait de l'amitié exprimée sur ce morceau, même si au départ on défendait chacun notre pré-carré. On n'avait pas la même culture, donc il y avait aussi des a priori entre les Roms et moi. Cette chanson est venue d'eux. Donc, si je n'avais pas été musicien j'aurai aimé tenir un restaurant-guinguette au bord de l'eau. Je le ferai peut-être un jour..

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Article 19

Initiales D.D

Elle a 73 ans mais les années ne semblent pas avoir de prise sur son charme et sur son incroyable énergie brute. Le 28 juin 2023, sur la scène du théâtre antique de Jazz à Vienne, Dee Dee Bridgewater -puisqu'il s'agit d'elle- rendait un nouvel hommage à sa devancière Ella Fitzgerald . L'occasion de revenir sur les plus de cinquante ans de carrière de la phénoménale Dee Dee, d'Horace Silver à Ray Charles en passant par Oumou Sangaré. Portrait d'une femme sensible.

Ce soir-là, peu avant son entrée, Dee Dee Bridgewater sort de sa loge. Elle est aisément reconnaissable à son crâne rasé, les yeux cernés de lunettes loupes « so fashion ». De temps en temps, on la voit fébrile arpenter le couloir, en train de faire ses gammes comme la grande cantatrice qu'elle est. Dee Dee, toute de blanc vêtue ne se sépare que sur scène d'un petit chien d'un blanc immaculé, lui aussi, comme neige en été. Dehors, en « backstage », un jeune homme est en train de compulser les partitions du programme de la soirée. C'est le pianiste Frédéric « Fred » Nardin, codirecteur avec le saxophoniste Jon Boutellier, le tromboniste Bastien Ballaz-celui-ci a accompagné l'une des filles de Dee Dee China Moses- et le trompettiste David Enhco de l'Amazing Keystone big band. Cet orchestre basé à Lyon rassemble dix-sept musiciens autour d'un répertoire qui va de Count Basie à Thad Jones en passant par Pierre et le loup ou la comédie musicale West side story. Ce 28 juin à Vienne, l'oeil scrutateur du critique de jazz pour le Monde Francis Marmande observe le spectacle depuis les coulisses. Celui-ci considère, dithyrambique dans ses écrits que ces jeunes musiciens sont « la meilleure nouvelle du jazz depuis dix ans. » Il faut dire que le « tableau de chasse » des collaborations de ce grand orchestre est assez impressionnant, Quincy Jones, rien que ça, James Carter, le regretté Didier Lockwood, Rhoda Scott, Cécile McLorin Salvant, Thomas Dutronc, ZAZ, Madeleine Peyroux, Ibrahim Maalouf, Stochelo Rosenberg sur Djangology au festival Django Reinhardt à Samois-sur-Seine ... L'idée du projet commun avec Dee Dee est venue de Denis Le Bas, directeur artistique du festival Jazz sous les pommiers au nez creux qui propose une réactualisation du programme We love Ella. Entre Dee Dee et Ella c'est une vieille histoire teintée de respect. En 1997 sort sur le label Verve Dear Ella, l'hommage de Dee Dee Dee à son aînée, un an après la disparition de cette dernière le 15 juin 1996. Parmi les cadors réunis dont le batteur niçois André Ceccarelli, le guitariste Kenny Burrell-compositeur du titre éponyme-ou le vibraphoniste Milt Jackson figure le contrebassiste Ray Brown qui fut le mari d'Ella Fitzgerald. L'album Dear Ella qui reprend les classiques de cette reine du scat A tisket a tasket Mac the knife ou Oh lady be good recevra le grammy award de la meilleure performance vocale pour Dee Dee.

Mais revenons au présent et au projet avec l'Amazing Keystone big band. En quelques mois de travail, le répertoire est construit et tout s'enchaîne, Jazz sous les pommiers bien sûr, le Wolfi jazz festival en Allemagne, l'Olympia, Jazz à Juan... Sur scène, l'Amazing Keystone big band swingue sévère avec un appareil orchestral comme on en voit de moins en moins (contraintes budgétaires obligent). À Vienne, le vibrato puissant de Dee Dee remue la foule du théâtre antique même s'il manque un peu à l'ensemble le grain de folie des improvisations d'Ella. Comme en 1979 lorsqu'accompagnée par l'orchestre de Count Basie sur le titre Basella , celle-ci se lançait dans un improbable et anthologique dialogue avec le tromboniste « Booty » Brown.

Undecided

Pour autant, ne boudons pas notre plaisir. Le véhicule sonore de l'Amazing Keystone big band est élégant et les arrangements sont soignés. Au micro, Dee Dee explique dans un français parfait-elle s'est installée en France dès 1986 dans le sillage de la revue musicale Sophisticated ladies-« qu'il faut toujours de bons arrangements. » Celui de l'adaptation d'Undecided qu'elle reprend ici a été écrit par son premier mari, le trompettiste Cecil Bridgewater. Le propre père de Dee Dee Matthew Garrett était également trompettiste. Cecil Bridgewater lui a donné en plus de son patronyme une fille Tulani, vice-présidente du label DDB records. Le deuxième, Gilbert Moses est le père de sa fille la chanteuse de jazz et animatrice de radio China Moses et le troisième Jean-Marie Durand, promoteur de spectacles, est le père de son fils Gabriel. Ce dernier qui la suit de près est devenu bassiste sous le pseudonyme de Gabe Zinq. Comme un clin d'oeil à sa propre vie sentimentale trépidante, Dee Dee nous raconte que le titre Undecided-composé par Sid Robins et Charlie Shavers en 1938 et immortalisé un an plus tard par Ella Fitzgerald avec l'orchestre de Chick Webb- porte... sur l'indécision des hommes. Le premier couplet dit: « D'abord, tu dis que tu fais, et ensuite tu ne fais pas. Et ensuite tu dis que tu le feras et ensuite tu ne le fais pas. Tu es indécis maintenant, alors que vas tu faire. (« First you say you do, and then you don't And then you say you will, and then you won't You're undecided now So what are you gonna do? »)

https://www.youtube.com/watch?v=Eupj-S7LApM

Afro blue

Après la performance de haute volée le public viennois applaudit à tout rompre. Au sortir de scène, Dee Dee descend les escaliers. Subrepticement, notre cadreur, originaire du Mali, parvient à héler la chanteuse. Un court instant, il évoque la relation forte de celle-ci avec ce pays d'Afrique de l'Ouest. Ils s'étreignent brièvement. L'émotion de la chanteuse est palpable avant qu'elle ne regagne sa loge.

Ce moment de grâce à Vienne fait écho à une séquence très particulière dans la vie et dans la discographie de Dee Dee Bridgewater. En 2006, la chanteuse a enregistré au mythique studio Bogolan de Bamako (et au studio parisien Davout) un album très personnel produit par Jean-Marie Durand Red earth a malian journey qui sortira un an plus tard.

https://www.youtube.com/watch?v=2VwYMwSstDc

Red earth, c'est l'hommage à la « terre-mère » rouge de ses ancêtres rendu par cette afro-descendante née Denise Eileen Garrett, le 27 mai 1950 à Memphis, Tennessee. Le disque coordonné par le directeur artistique et bassiste Ira Coleman est salué par John Walters du Guardian. Tout le gratin de la musique malienne de l'époque est réuni, feue Ramata Diakité, Mamani Keita, Oumou Sangaré, Mamadou Diabaté, Cheick Tidiane Seck, Baba Sissoko, Lansiné Kouyaté, Djelimady Tounkara, Bassekou Kouyaté... Cette quête de ses origines de Dee Dee ne date pas d'hier. Retour en arrière. En 1974 au Japon, sort le premier disque sous son nom de la chanteuse intitulé Afro blue, une composition de Mongo Santamaria qui annonce la couleur sur son penchant africaniste dans le giron du mouvement black power des années 1960-1970. Sur la pochette, on voit une jeune femme noire de 23 ans aux cheveux courts avec de longues boucles d'oreille et un collier de perles. Après des premières armes avec un trio rnb dans le Michigan qui l'amène en 1969 jusqu'en Union soviétique, Dee Dee intègre en 1971 le prestigieux Thad Jones et Mel Lewis orchestra. Elle côtoiera les plus grands, Sonny Rollins, Max Roach, Dizzy Gillespie, Dexter Gordon... Deux ans plus tard, on l'entend chanter sur la bande-originale signée par Roy Ayers du film Blaxploitation Coffy. Mais le déclic viendra avec Afro blue.

https://www.youtube.com/watch?v=rcNZMiDXCD4

Sur l'introduction de ce titre Cecil Bridgewater instille une ambiance « africaine » en pianotant sur un kalimba (ou sanza) et son frère Ron joue des clochettes africaines. Le charme capiteux de cette pépite est tel que le label britannique Mr Bongo la réédite en 2020. Quant à la carrière de Dee Dee après des expériences comme sa participation à la comédie musicale The Wiz elle sera dès les années 1980 associée à la France, son pays d'adoption à travers notamment son travail avec le metteur en scène Jérôme Savary sur Cabaret. Ce n'est pas par hasard que l'un de ses disques de reprises de chanson française s'intitule J'ai deux amours.  Pour sa contribution au patrimoine hexagonal, Dee Dee sera faite chevalière de l'Ordre national du mérite et aussi la première Américaine membre du Haut Conseil de la francophonie. Ce n'est que justice. Chapeau bas lady Dee Dee!

Julien Le Gros

Pour aller plus loin:

https://www.keystonebigband.com/

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Article 18

Les 80 ans du lion du piano jamaïquain

Le 6 juin 2024 a marqué les 80 ans du débarquement allié en Normandie. C'est aussi la date aniversaire de Monty Alexander. Avec Wynton Kelly, Monty est le pianiste jamaïquain le plus célèbre. Ce dernier a accompagné les plus grands, Dizzy Gillespie, Milt Jackson, ou encore Sly and Robbie. Malgré des soucis de santé le jazzman a su remonter la pente et nous revient avec ce bel opus « D Day » sur le label français Pee wee! L'Autel des artistes de Paname l'a rencontré au studio Sextan à Malakoff.

Monty Alexander, ressentez-vous une connexion avec l'Afrique?

Absolument! le continent africain est la racine pour tout le jazz. Si vous allez en Jamaique, à Trinidad ou au Brésil l'esprit de l'Afrique, à travers la diaspora issue de l'esclavage, règne dans les musiques locales et la rend belle. Si vous faites un tour à la Nouvelle-Orléans on ressent comme une évidence qu'il y a ce lien avec la Mère Afrique, « Mother Africa »

Dans votre nouvel album « D day » vous reprenez le célèbre discours d'Haile Selassie 1er.

Bob Marley a eu l'idée d'une chanson appelée « War » dans laquelle il reprend des citations de l'empereur éthiopien Haile Selassie 1er avec sa propre voix. Je les ai reprises à mon tour sur mon album « D day » et aussi avec les voix des leaders politiques et militaires qui ont été associés à cette bataille de libération de la France par la Normandie le 6 juin 1944. C'est aussi le jour de ma naissance. On entend Charles de Gaulle qui représente (avec les 177 du commando Kieffer qui ont débarqué) les soldats français et la voix de la France émancipatrice, le commandant britannique Bernard Montgomery-comme vous le savez, Montgomery c'est mon prénom et Monty en est un diminutif. Enfin, il y a Dwight Eisenhower pour le commandement militaire étatsunien. De son côté, Hailé Selassie 1er s'st adressé lors d'un discours marquant aux Nations unies le 4 octobre 1963 au peuple africain. Ce sont ces voix qui sont compilées sur mon titre « D-day voices ».

https://www.youtube.com/watch?v=Fa19SdkGgJs

Vous reprenez aussi la chanson Day-O (the banana boat song) d'Harry Belafonte sur un album précédent « Harlem Kingston express (2011) . Quels étaient vos rapports avec lui?

Je l'ai très bien connu. C'était un ami très proche. Récemment j'ai participé à un concert mémoriel donné à New York en son honneur en présence de sa famille. Il faut toujours se rappeler qu'avec son album « Calypso en 1956, Harry, qui était un grand militant pour les droits civiques, a été le premier à rendre la Jamaïque populaire dans le monde entier.

https://www.youtube.com/watch?v=v-ooZyfPokk

Comment se sont déroulés vos débuts à la Jamaïque?

J'ai eu la chance avec mon père de voir à l'adolescence jouer Louis Armstrong et Nat King Cole. Ma mère m'a fait étudier Bach et Beethoven mais ça ne me parlait pas! J'ai commencé à jouer du piano avec des groupes de mento, la musique jamaiquaine locale, ou de calypso. J'ai joué de l'accordéon. J''étudiais au Jamaica college et j'ai créé ma propre formation Monty and the cyclones qui reprenait des standards de l'époque. J'ai aussi rejoint comme pianiste Clue Jay and the blues blasters. On jouait du ska. Mais après le divorce de mes parents je suis parti à Miami en Floride, en 1961. Aux Etats-Unis, je me suis retrouvé à collaborer au cours des décennies à venir avec les plus grands jazzmen états-uniens, du blues, du jazz. Aujourd'hui, je joue aussi du reggae roots. Ma musique c'est un patchwork de toutes ces influences.

https://www.youtube.com/watch?v=wHoqNIFWXJg

Qu'ont apporté vos expériences avec des joueurs de steeldrum?

C'était super et ça m'a fait passer de bons moments. Les grands joueurs de steeldrum de Trinidad comme Othello Molineaux qui a accompagné Ahmad Jamal et avec qui j'ai tourné dès 1976, jouent du jazz. Trinidad et Tobago est cet archipel d'où vient le steeldrum et j'ai eu la chance de faire plusieurs albums de fusion avec le steeldrum comme « Jambooree » (1988) ou « To the ends of the earth » (1996). Et puis j'ai arrêté, j'ai voulu faire quelque chose de différent.

https://www.youtube.com/watch?v=NvqXWv28dx0

Votre premier disque « Alexander the great » date de 1964. C'est un disque live comme celui que nous vous montrons enregistré à Montreux en 1976.

La grande différence c'est qu'à Montreux il n'y avait pas d'alcool! Alors que quand j'ai enregistré ce premier disque en 1964 c'était dans un théâtre l'Esquire theatre, vers le quartier du Watts à Los Angeles. J'avais vingt ans. Le concert a été introduit par le grand pianiste de jazz Les McCann récemment disparu, le 29 décembre 2023. Ce soir de 1964 donc, le public est venu. Les gens m'ont invité à boire des verres avec eux. Je me suis donc retrouvé avec mon trio Victor Gaskin à la contrebasse et Paul Humphries à la batterie à jouer à deux heures du matin. C'était une expérience mémorable et une belle époque, celle pendant laquelle j'ai rencontré Frank Sinatra, Milt Jackson ou encore Ray Brown...

Avez-vous conscience d'avoir ouvert avec le guitariste Ernest Ranglin une voie entre le jazz et le reggae de la Jamaïque?

Ernie est un très grand musicien. Nous avons tous les deux beaucoup écouté les grands jazzmen des Etats-Unis. Ernest Ranglin s'est nourri de la musique des guitaristes Django Reinhardt, Charlie Christian et Wes Montgomery. Lui-même est aussi incroyable et il n'a rien à envier à ces virtuoses. Avec Ernie on a fait plein de disques ensemble comme « Rass » (1974) sous mon nom ou « Ranglypso » (1976) sous le sien.

https://www.youtube.com/watch?v=v9cVOpOO-Zw

Qu'est-ce qui vous unit au New Morning où vous avez joué avec votre trio, Luke Sellick à la basse et Jason Brown à la batterie ce 3 juillet 2024 ?

J'y ai joué dès les années 1980. Il y avait une atmosphère bien particulière. Les gens venaient apprécier la musique, s'asseoir et vous jouiez. Ce club a toujours eu l'esprit du jazz. C'est un peu comme le Village Vanguard à New York ou le Ronnie Scott's à Londres. Le New Morning continue. Je me souviens de madame Eglal Farhi; la belle personne qui s'occupait de la gestion de cet endroit et qui est décédée en 2019. Sa fille Catherine a pris le relais. J'ai joué à de nombreuses reprises au New Morning. Ce 3 juillet c'est la première fois que j'y suis revenu depuis des années. Je suis content de ce retour aux sources!

Question thé ou café:

Si vous n'étiez pas pianiste que seriez-vous devenu?

Je ne sais pas. Je n'y ai jamas réfléchi. Pilote d'avion ou escroc? Rires

Propos recueillis par Julien Le Gros

Pour aller plus loin:

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Article 17

La grand-mère courage d'André Manoukian

Le 28 juin 2023, André Manoukian et son groupe ont livré une prestation  émouvante, drôle et très personnelle, le même soir que Dee Dee Bridgewater, dans le cadre exceptionnel du théâtre antique de Jazz à Vienne. L'autel des artistes de Panam l'a rencontré backstage peu avant son entrée sur scène. Reportage

Avec André Manoukian, la journée du 28 juin a commencé de façon singulière. « Nous n'avons pas de réponse du management pour une interview. » nous dit laconiquement le service de presse. Benjamin Tanguy-qui a marqué durablement de son empreinte de défricheur des nouvelles tendances le festival comme programmateur et qui passe la main pour 2024 à Guillaume Anger-ne nous laisse guère plus d'espoir: « Il fallait s'y prendre plus tôt. L'agenda d'André est surbooké d'interview. En ce moment, il est en rendez-vous avec le Dauphiné libéré. »  C'était sans compter sans le coup de pouce du destin. Le matin, sur le quai de la gare de Lyon, je tombe nez à nez avec un homme très brun, lunettes de soleil, avec un lourd sac à dos sur les épaules qui ressemble à s'y méprendre au pianiste de jazz. Au culot, je sollicite un entretien. Grand bosseur, André Manoukian a l'air fatigué: « Mon temps est calculé à la minute, m'explique t-il, mais je ne refuse aucune interview. Retrouvons-nous dans le wagon bar. » Une demi heure plus tard, dans le wagon bar du Paris-Lyon, des clients boivent un café ou mangent les mauvais sandwichs de la SNCF mais pas de traces d'André Manoukian dit « Dédé ». En attendant Godot...  À défaut de connaître son compartiment, j'attends l'arrivée à Lyon Part-Dieu. Là, André est reçu par le comité d'accueil du festival et le staff partenaire de la SNCF. « C'est Manoukian! » s'exclament quelques groupies au passage. Le musicien a déjà participé gare Montparnasse à une performance pour les dix ans de l'opération « Piano en gare ». Il réédite l'exercice à la gare de la Part-Dieu d'abord en piano solo, puis avec son trio Guillaume Latil au violoncelle, Mosin Kawa aux tablas, Rostom Khachikian au duduk, un instrument traditionnel arménien proches du hautbois, et trois choristes Milena Jeliazkova, Diana Barzeva, Martine Sarazin. Cet instant de grâce a été applaudi par les spectateurs improvisés de la gare. L'interview, ce ne sera pas non plus pour cette fois. C'est une consoeur de BFM TV Lyon qui en aura la primeur. Aussitôt fait, Dédé est vite happé vers la sortie. Caramba encore raté! Qu'à cela ne tienne quelques heures plus tard, le duo Sarah Lenka au chant, et Macha Gharibian, une habituée du festival, pianiste d'origine arménienne comme « Dédé » et nourrie aussi par ses racines, se produit sur la scène du théâtre antique. Dans  le public, j'avise un visage souriant celui du violoncelliste d'André Manoukian Guillaume Latil. « Dédé est en coulisses, nous dit-il, à mon acolyte cameraman et moi, et il est disponible. » Ni une ni deux nous fonçons en backstage. Planté devant le maestro, je lui rappelle l'épisode du wagon bar. Amusé par ce petit oubli et ayant à coeur de tenir sa parole, l'artiste consent à nous dire quelques mots. La suite c'est André Manoukian qui nous la raconte...

Entre Orient et Occident

Aux antipodes de son image médiatique parfois un peu caricaturale d'ancien juré de l'émission  “La Nouvelle Star" entre 2003 et 2016 le pianiste nous livre avec Anouch, sorti sur son label Va savoir et Pias, une introspection au coeur de ses racines arméniennes. Il signe ici peut-être son oeuvre la plus intime à ce jour. La genèse de chacun des douze titres de cet opus est savamment décortiquée par Manoukian à travers une web-série intitulée “Sur les pas d'Anouch” en ligne sur sa chaîne Youtube qui totalise des milliers de vues.

https://www.youtube.com/watch?v=gc3hef3yxOU&list=PLxnDljAfgLI9aE4wWHfIXul2N53SP61EU

C'est un album de musique arménienne inspiré d'une recherche musicologique que je mène depuis douze ans. C'est mon quatrième album inspiré de mes racines arméniennes, après  Inkala, Melanchology et Apatride. C'est une musique que j'ai découverte presque par hasard. Je joue avec ces gammes et il faut du temps pour  les assimiler. Il ne suffit pas de les apprendre. Pour les utiliser il faut les digérer, les entrer en soi. C'est un travail continuel qui me renvoie à toutes les musiques classiques, et en définitive aux musiques du monde entier. Je me suis amusé à mélanger ces gammes à mon jazz et ça m'a fait tracer une route différente.", explique l'artiste au micro de l'Autel des artistes de Panam. Le documentaire Arménie, l'autre visage de la diaspora de Marie-Claire Margossian est pour beaucoup dans cette quête musicale et identitaire “De l'Arménie, je ne connaissais pas grand chose à part les feuilles de vignes.”, reconnaît-il..

Sur Anouch, André Manoukian a su opérer un croisement habile entre l'Orient et l'Occident, avec une référence à Corto Maltese, le marin voyageur de la bande dessinée, avec le titre L'ange à la fenêtre d'Orient, des choeurs bulgares, le violoncelle, instrument européen, un univers où Schubert croise le flamenco, la Marche turque adoptée par Mozart en pastiche de la musique turque-et qui fait allusion dans l'album à la marche forcée de la grand-mère du pianiste, (nous y reviendrons), les tablas venues d'Inde. Sur scène, avec Mosin Kawa qui qui se lance dans des improvisations percussion-chant, la conversation se teinte de petites touches d'humour comme le jazz sait si bien en créer “Quand un musicien entend des sonorités qui viennent d'ailleurs il a envie de jouer avec. Quand j'ai entendu les tablas de Mosin Kawa j'ai eu envie de dialoguer avec. C'est peut-être un lien plus facile à tisser qu'avec une batterie. Et puis il y a le violoncelle de Guillaume, le duduk magique de Rostom et le trio Balkanes, les voix formidables de ces magnifiques chanteuses, deux bulgares et une grecque.” Pendant l'interview, André prend cette dernière gentiment par le bras: “C'est l'une de mes chanteuses préférées. Elle chante, en grec, en arménien, en turc, en tout ce que vous voulez. Sa voix peut faire pleurer les pierres. Ici il y a des gradins ça va chialer!” Ce n'est un secret pour personne, André Manoukian est un amoureux de toujours des voix féminines, Liane Foly bien sûr qu'il a longtemps accompagnée, mais aussi la diva britannique originaire du Malawi Malia.  Pour le final du spectacle du 28 juin au théâtre antique, des chanteuses issues du conservatoire de musique et de danse de Vienne  (Isère) ont été invitées sur scène, le choeur Livi'zz, dirigé par Frédérique Brun. Quant à Jazz à Vienne André Manoukian estime avec son sens de la formule que “c'est la plus belle scène de jazz au sens propre comme au sens figuré.

Anouch

La protagoniste de cet album s'appelait Haïganouch, "Anouch", le diminutif de ce prénom qui donne son titre à l'album signifie douceur en Arménien. Pourtant la vie de la grand-mère d'André Manoukian n'a pas toujours eu le goût sucré du miel. Loin s'en faut. Celle-ci est une rescapée du génocide arménien de 1915 mené par le gouvernement turc de l'époque. Le génocide, qui n'est toujours pas reconnu par les autorités turques jusqu'à nos jours, a fait des dizaines de milliers de victimes répartis sur plus de trois cent convois. Anouch fut l'une de ces personnes contraintes “dans des conditions épouvantables” de faire une marche de la mort harassante de mille kilomètres d'Amasya, au nord de la Turquie, jusqu'au désert syrien de Deir-es-Zor. "J'ai composé une ballade un peu lente The walk. Et je me suis dit: "Et si c'était la marche de ma grand-mère dans le désert syrien dont elle a survécu? C'est comme ça que j'ai décidé que cet album soit dédié à sa mémoire" explique André Manoukian. Avec ce titre, aérien, le pianiste a refusé l'écueil de l'évocation mélodramatique “L'avantage de la musique c'est qu'on peut transformer la mélancolie en quelque chose  d'heureux. On n'est pas triste quand on écoute un blues ou une morna du Cap-Vert empreinte de saudade (nostalgie). C'est la même chose.” L'histoire de sa grand-mère, le pianiste de jazz l'a apprise tardivement par son père, qui de guerre lasse a répondu aux interrogations de son fils. Il lui a tendu pudiquement une feuille de papier en lui disant: “Si tu veux savoir, lis!".  “Ces mots, nous explique André, étaient écris par ma tante, comme si ce sont les femmes qui transmettent les histoires des femmes.” Comme souvent dans les histoires arméniennes, pleines de rebondissements, la survie d'Anouch peut sembler sortie d'un film de fiction. “Ma grand-mère a remarqué que le commandant du convoi était très pieu et qu'il faisait ses prières cinq fois par jour, ce qui n'était pas si courant à l'époque. Elle lui a fait la morale: “Au nom de ta foi comment peux-tu laisser se dérouler de telles horreurs.” Sans doute pris d'un remord, celui-ci lui aurait dit: “Écoute, tant que je commanderai ce convoi tu seras sous ma protection.” André Manoukian ne peut s'empêcher de tourner en dérision le vécu atroce de sa grand-mère avec l'humour grinçant qui le caractérise. Sur la scène de Vienne, André Manoukian joue un extrait de Blue rondo a la turk de Dave Brubeck en ironisant sur le fait qu'un Arménien comme lui utilise une gamme... turque.  L'humour, c'est aussi une façon de refuser la résignation: “Ma grand-mère a sû parler le langage de son bourreau. D'une certaine manière, si je suis là aujourd'hui c'est parce que ma grand-mère avait la tchatche! Son périple explique sans doute pourquoi il y a tant de randonneurs dans la famille! Quand je lis ce récit je me dit que ma grand-mère était une héroïne et non une victime. Ça me donne le courage aujourd'hui pour affronter les difficultés de la vie. Je pense de temps en temps à ma grand-mère et à mon grand-père aussi et je me dis qu'ils nous ont laissé un bel héritage.”

https://www.youtube.com/watch?v=fO70xFlqVkg

Le jazz, musique des exilés

L'héritage qu' André Manoukian lèguera à la postérité c'est la musique, une voie qu'il a empruntée contre le gré de ce papa né à Smyrne (aujourd'hui Izmir en Turquie), commerçant de prêt-à-porter à Lyon, qui aurait aimé que son fils devienne médecin. Mais las André abandonne ses études au bout d'un an: « Cela ne lui a pas fait plaisir quand je lui ai dit que je voulais être musicien. Mais quelques temps plus tard quand je suis parvenu à en vivre il m'a avoué que j'ai accompli tout ce qu'il a lui-même rêvé de faire. » D'abord démonstrateur de synthétiseurs dans des supermarchés, Dédé intègre le prestigieux Berklee College of music, l'école de jazz prestigieuse de Boston en 1977. De retour à Lyon, il fonde le big band Hot stuff avec Pierre Drevet. La suite est connue, les succès avec Liane Foly dans les années 1980 (Doucement), le travail dans la variété française pour Nicole Croisille, Charles Aznavour, Gilbert Bécaud... mais aussi le jazz (Michel Petrucianni, Richard Galliano) Son attrait pour le jazz, il l'analyse a posteriori par son propre déracinement en tant qu'Arménien: « Le jazz est une musique qui est née de l'exil des Afro-Américains. J'aime beaucoup le concept de Gilles Deleuze de la déterritorialité. Un territoire ne vaut que s'il est quitté. Les Arméniens de la diaspora sont présents partout dans le monde à Paris, Lyon, Los Angeles, Buenos Aires, en Australie... ou même à Vienne en Isère! Ce qui fait que la notion de pays perdu est énorme dans leur coeur.» André Manoukian a été particulièrement sensible à l'officialisation de la panthéonisation en février 2024 de Missak Manouchian, chef du réseau de résistance Francs-tireurs et partisans et Main d'oeuvre immigrée (FTP-MOI) fusillé au mont-Valérien durant la Seconde Guerre mondiale. « C'est émouvant, ça scelle de façon durable l'histoire d'amour entre la France et l'Arménie. Ces résistants d'origine étrangère étaient considérés comme une bande d'apatrides et de terroristes. Ma mère avait onze ans quand elle est arrivée à Paris et qu'elle a vue la célèbre Affiche rouge de propagande nazie. Elle avait honte de voir ce nom arménien présenté comme celui du chef d'une bande de truands. Et enfin, aujourd'hui ce « chef de bande » va entrer au Panthéon. » André Manoukian n'oublie pas non plus l'actualité et l'annexion en 2020 par l'armée azerbaïdjanaise appuyée par le régime turc d'Erdogan de la province du Haut-Karabagh. Le pianiste a fait partie de ces voix qui se sont élevées contre cette agression impérialiste « Dans ce combat, la France a été aux avant-postes, mais seule. J'aimerai m'engager encore plus en faveur de la paix. Il y a un moment où tout ceci va cesser. Un pays comme l'Arménie ne peut pas vivre enclavé entouré de pays ennemis avec toutes ses frontières fermées. »

En écho à ces tensions géopolitiques, le titre Soufi dance sonne d'ailleurs comme un appel au dialogue interculturel et au refus de la haine de l'autre. Le clip officiel de l'album a été tourné dans un théâtre antique qui rappelle un peu Vienne, celui d'Arles. « J'aime ce cadre antique pour jouer une musique qui vient de si loin. » 

https://www.youtube.com/watch?time_continue=2&v=IUxB7CgTYE0

https://www.youtube.com/watch?v=gc3hef3yxOU

Des concerts d'Anouch ont eu lieu tout l'été, notamment au festival Crest jazz vocal et au Cosmo jazz festival de Chamonix. D'autres sont prévus dès la rentrée et aussi en 2024. De quoi redonner vie à Anouch, la grand-mère courage d'André Manoukian. Les dates sont à suivre sur les réseaux du pianiste.

L'instant thé ou café, question à André Manoukian.

Si vous n'aviez pas été musicien qu'auriez-vous fait?

J'aurai aimé être architecte. C'est un peu comme la musique où on joue avec des mélodies. L'architecte, lui, joue avec des lignes de force, des contrepoints. Ça m'aurait plu! 

https://www.andremanoukian.com/

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Le site de Jazz à Vienne

https://www.jazzavienne.com/fr

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ARTICLE 16

Togoville jazz, une fenêtre sur le monde

Le 29 juin Mawuto Dick, programmateur du Togoville jazz festival (Vaudou Game, Benjamin Flao, Nana Benz...) était invité par le festival Jazz à Vienne dans le cadre d'un partenariat. L'autel des artistes de Panam l'a interviewé à l'occasion d'une table ronde consacrée au leadership féminin dans l'industrie musicale. Présentation.

Élancé, le visage cerclé de lunettes, l'air réservé, Mawuto Dick, jeune homme issu du quartier populaire de Kodjoviakopé à Lomé, ne colle pas avec les clichés sur les entrepreneurs culturels bedonnants et trop sûrs d'eux voire arrogants. Derrière cette attitude empreinte d'humilité, on devine un mélomane résolu et déterminé. Le Togoville jazz festival, petit frère du Saint-Louis Jazz (voir notre article) ou de Jazz à Ouaga, a vu le jour en 2015. En amont, trois ans plus tôt, un espace culturel a été lancé à Lomé par ce noyau dur de passionnés et des artistes ont été programmés de façon ponctuelle. « Le festival est né de la nécessité de mettre en avant sur scène des artistes togolais qui font autre chose que de la variété.  Nous avons la chance au Togo d'avoir des musiciens qui jouent du blues, du jazz. Mais ces dernières années la variété a accaparé la plupart des scènes du pays. On ne retrouvait plus cette frange d'artistes qui font ce qu'on appelle de la musique de recherche. » Forts de ce constat Mawuto et ses amis décident de remonter à la source et de « créer une plateforme pour ces artistes. Aujourd'hui ce festival fait son petit bonhomme de chemin et nous sommes ravis qu'il soit plébiscité par des artistes du continent mais aussi des artistes occidentaux. » En 2017, une structure Level production, agence de management, de production de booking et de régie événementielle, est créée pour porter le projet, gérer les tâches administratives et les contrats avec les artistes. « Nous avons eu la chance d'être rejoints par un certain nombre de personnes compétentes qui ont trouvé notre démarche essentielle. Cette équipe de techniciens porte aussi d'autres projets. Togoville jazz est devenu une référence au Togo. » Sur le festival, certaines scènes sont gratuites, d'autres spectacles sont payants mais abordables, l'équivalent de quelques euros. Enfin, une dernière catégorie, comme le duo Vincent Peirani-Emile Parisien ou Rokia Traoré demande un droit d'entrée plus élevé. « On essaie que personne ne soit lésé et de démocratiser le jazz.», assume Mawuto. Par l'effet du bouche à oreille, comme le sérieux et le professionnalisme paient, d'autres organisations confient leurs événements à Level production: « On s'occupe soit de la régie ou même parfois de produire pour leur compte leurs festivals. »

Une ouverture sur le monde

Pour l'équipe de ce petit pays enclavé entre le Ghana et le Bénin, il n'est pas question de fonctionner en vase clos. « Dès la deuxième édition en 2017, nous nous sommes ouverts sur l'international. Nous avons reçu pratiquement tous les artistes de la sous-région qui officient dans ce domaine, du Niger, du Burkina Faso, du Mali, du Bénin... »

Pour la neuvième édition du festival cette année, qui a eue lieu du 12 au 23 avril, le Mali était représenté à travers la diva Rokia Traoré, le Bénin, avec la fanfare Harmony brass band invitée aussi à Jazz à Vienne dans une déambulation dans la ville jusqu'au théâtre antique, Achille Ouattara, bassiste issu du gospel, Moïse Ouattara, du Burkina Faso, Victor Dey Jr, surnommé le « Herbie Hancock du Ghana ». Celui-ci a joué avec des figures du high life comme Ebo Taylor, le regretté Guy Warren ou Gyedu Blay Ambolley et avec des jazzmen renommés comme feu le trompettiste sud-africain Hugh Masekela ou le saxophoniste britannique Courtney Pine. Il a même partagé la scène aux États-Unis avec l'immense Stevie Wonder.

https://www.facebook.com/harmonysbrassband/

https://www.nordkeyboards.com/artist/victor-dey-jr

http://www.mamakao.org/achille-ouattara.html

https://www.facebook.com/moise.ouattara.3/?locale=fr_FR

La coopération avec Jazz à Vienne

Animé par la volonté de « voir ailleurs ce qui se passe je suis allé découvrir le fonctionnement de Jazz à Vienne. La collaboration a démarré timidement mais s'est installée dans le temps.» En 2017-2018 Mawuto réalise un stage de production au sein du festival isérois. « Depuis nous avons établi des échanges, une coproduction et une co-programmation entre nos deux festivals. Celle de Togoville jazz festival cette année s'est faite en étroite collaboration avec Jazz à Vienne, avec le soutien du Togo créative et de l'Institut français. » Ainsi Benjamin Tanguy, qui était directeur artistique de Jazz à Vienne jusqu'à cette année avant de laisser sa place à Guillaume Anger, a proposé de faire venir l'accordéoniste Vincent Peirani et le saxophoniste Ėmile Parisien à Lomé. « D'autres artistes français sont venus au Togoville, comme le Skokiaan brass band l'an dernier. De notre côté, à Level production, depuis 2021 nous proposons à Jazz à Vienne notre catalogue d'artistes qui sont volontiers acceptés dans la mesure du possible en fontion de la programmation. » précise Mawuto. Ainsi l'an dernier le spectacle Atakora a été présenté au théâtre antique, constitué de cinq musiciens africains d'Angola, du Togo, du Bénin et du Burkina Faso. « Ce projet panafricain reflètait chacune de leur culture. Par ailleurs, cette année Jazz à Vienne accueilli dans le cadre de ce partenariat Laura Prince, artiste franco-togolaise qui évolue sur la scène jazz parisienne, le Zangbeto trio, le prometteur Joackim Amoudzou au piano, Honoré Dafo à la basse et Henock Fafadji à la batterie qui a fait sensation l'an dernier dans le cadre du programme Jazz up est revenu cette année avec la chanteuse Sabrine Kouli sur la scène Cybèle de Vienne. »

http://www.skokiaanbrassband.fr/skokiaan.html

https://lauraprincemusic.com/en/

Vivre de son art en particulier sur le continent africain n'est pas chose facile: « Ce ne sont pas les artistes qui manquent en Afrique mais les scènes d'expression. On a aussi un manque criant d'écoles de musique, de conservatoire. » analyse Mawuto Dick. « C'est aussi difficile de faire voyager les artistes africains vers l'Occident ou ailleurs sur le continent. La mobilité interne est un vrai problème. Ça peut faire rire ou pleurer mais le billet d'avion Lomé-Paris est moins coûteux qu'un Lomé-Dakar.  Ce type de facteurs empêche les artistes issus du continent d'émerger comme il se doit.» Le jeune homme refuse pour autant de se décourager: « Je suis heureux quà travers la plateforme du Togoville on mette un coup de projecteur sur les artistes africains et sur le fait qu'il y a des projets qui méritent d'être découverts à travers le monde. »

Pour la suite l'ambitieux Mawuto Dick entend « ouvrir une fenêtre sur le monde pour que les artistes du continent puissent voir ce qui se passe ailleurs mais aussi faire venir des artistes du monde entier au Togo et créer un vrai brassage artistique, une émulation. On tend la main à tout lemonde et on invite des artistes qui sont prêts à partager leur expérience pour outiller les jeunes artistes africains. » Le message est passé.

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Article 15

L'oeil éveillé de Dennis Morris,

Boy on tricycle, Hackney London 1974, copyright Dennis Morris

Dennis Morris était le 2 novembre à la galerie Agnès B à Paris pour le vernissage de son exposition « Colored black » avec sa curatrice Isabelle Chalard. L'Autel des artistes de Panam a tendu le micro au célèbre photographe londonien d'origine jamaïquaine.

Avec ses lunettes « trendy » et son élégant costume mauve Dennis Morris a le look d'un dandy des beaux quartiers londoniens. Il a exposé à la Tate Britain, à Sidney, Arles, Los Angeles, Pékin, Tokyo...  Pourtant l'homme, né en 1960 en Jamaïque- pays qu'il a quitté à l'âge de quatre ans-a grandi dans un environnement très dur, à Dalston dans le nord-est de Londres. Il ne connaîtra jamais son père et sa mère vit de confection. « Je ne me rappelle pas vraiment de la Jamaïque mais j'ai un souvenir de l'arrivée en Angleterre et à quel point il faisait froid. Ça a été un choc!» nous explique Dennis Morris avec un frisson dans la voix. « Plus tard, en travaillant avec Bob Marley j'ai eu l'occasion d'y aller et d'en savoir plus sur mon pays natal » Le reggaeman anglo-jamaïquain Tippa Irie exprime bien ce choc thermique qu'a ressenti Dennis Morris dans la chanson Rebel on the roots corner (1994): « Je ne sais pas pourquoi on a quitté la Jamaïque pour aller en Angleterre travailler dans un congélateur. »

https://www.youtube.com/watch?v=n8J6CEqqoQ4

Enfant du Windrush

Les parents de Dennis font partie de la première génération d'immigrants carribéens, la génération dite « Windrush », du nom de l'Empire Windrush ce bateau qui, en 1948 a débarqué à Tillbury, en Angleterre, près de cinq cent immigrés originaires de Jamaïque et de Trinidad et Tobago, en quête d'un avenir meilleur. « Il y avait deux communautés carribéennes à Londres dans cette génération Windrush » rapporte Dennis Morris, l'une à Brixton et à l'autre à Hackney dans l'East End. C'est d'ailleurs dans ce quartier qu'il fait une de ses plus belles compositions photographiques, celle d'un petit garçon noir  sur un tricycle. « Malgré les conditions très précaires il y avait une grande solidarité parce qu'il nous fallait être unis pour faire face à ces difficultés. », se souvient-il.  Le Royaume-Uni de l'après-guerre en pleine reconstruction a largement bénéficié de cet afflux d'immigrés carribéens sur le plan économique bien sûr mais aussi culturel avec notamment l'apport musical du rocksteady, du ska, du dub, du reggae.

George Jackson is dead, Grosvenor square, 1971, copyright Dennis Morris

Le titre de l'exposition de Dennis Morris « Colored black », déjà présentée à Kyoto, au Japon en avril 2023, se réfère à la fois au noir et blanc des tirages photographiques mais aussi aux « sujets » photographiés, des Anglo-Jamaiquains montrés dans leur quotidien, le Londres des années 1970: « Cela donne un aperçu au public de comment ces personnes vivaient à l'époque », relate Dennis Morris. « Quand vous regardez mes photographies vous pouvez ressentir comment étaient leurs conditions de vie.  Comment les gens s'habillaient, mais aussi les sound systems, les fêtes, la vibe.»  Ces fêtes, selon Dennis Morris, étaient très artisanales, dans des caves, avec un ampli installé « à l'arrache » et un droit d'entrée à cinquante pences. Les « parties » pouvaient parfois finir en bagarre, par exemple si on invitait à danser une jeune fille déjà prise. Dans le parcours de l'exposition on trouve aussi un énorme ampli, objet iconique des sound systems et un poster d'un samedi soir d'août 1978. On aurait aimé y être. Il y avait à l'affiche le sound system de Battersea (au sud de Londres), Moa Anbessa et Jah Shaka, le « zulu warrior », le roi des nuits de East London, décédé en avril dernier.   

https://www.youtube.com/watch?v=3QNWpnwWgc4

https://www.liberation.fr/culture/musique/jah-shaka-mort-dun-roi-secret-du-reggae-anglais-20230413_B22262TPWFAIFHJNTNBXYO76XU/ 

Une photo de l'exposition intitulée « Count shelly sound system » datée de 1973 restitue bien cette ambiance dans laquelle on croise des figures du reggae comme le poète Linton Kwesi Johnson, Dennis Bovell mais aussi les groupes britanniques Aswad et Steel Pulse. Le contexte politique est aussi très présent dans « Colored black ». Un cliché du jeune Dennis Morris montre une manifestation à Grosvenor square, à Londres, pour protester après la mort en prison de l'activiste afro-américain George Jackson à la prison de San Quentin le 21 août 1971. Sa mort déclenche la mutinerie dans une autre prison Attica et inspirera le chef d'oeuvre d'Archie Shepp Attica blues (1972) Mais c'est une autre histoire.

De choriste à photographe

Pour le jeune Dennis tout commence avec la chorale. Il n'a que neuf ans quand il intègre le club de photographie de sa chorale: «  Quand j'ai vu des garçons faire un tirage dans la salle des épreuves j'ai trouvé ça magique. La personne qui s'occupait du club Donald Paterson a vu mon enthousiasme, m'a pris sous son aile et m'a guidé. Il m'a donné des livres, des magazines à lire, m'a emmené au musée. Et me voici aujourd'hui! » Dennis Morris revendique l'influence de Robert Capa, de Dan Mc Cullin, Henri Cartier-Bresson, Jacques-Henri Lartigue, David Bailey ou encore Richard Avedon. « Ils étaient mes héros mais il ne faut pas oublier Gordon Parks parce que c'était le premier photographe noir à avoir du succès. Il travaillait pour Life magazine et a réalisé le film blaxploitation Shaft. » Naturellement, Dennis Morris commence par photographier son environnement immédiat, ses amis et sa communauté. « M. Paterson m'a appris l'importance de se documenter et c'est aussi cela qui m'a incité à approfondir mon travail. »  Dennis, mordu de musique, est naturellement fan de Bob Marley et les Wailers à l'adolescence. En 1973, il apprend que Bob fait sa première tournée en Angleterre à l'époque de l'album Catch a fire. « J'ai décidé de sécher les cours ce jour-là et je suis allé au club qui était le premier sur la liste de tournée le Speakeasy. J'ai attendu pendant un temps interminable jusqu'à ce qu'il fasse son apparition. » La suite fait partie de la légende. « Puis-je te prendre en photo? » s'enhardit Dennis -Yeah man, vas-y! »À la fin des balances, Bob Marley demande à l'adolescent comment c'est d'être Noir en Angleterre. Il s'entiche de lui au point de lui proposer de les suivre en tournée. Le lendemain, Dennis part de chez lui avec un sac et fait semblant d'aller en cours de sport. En réalité, il monte dans le van de la tournée. Une célèbre photo sur laquelle Bob aurait dit « Es-tu prêt Dennis? » immortalise ce moment. Clic clac, le  résultat est figé dans la boîte à images avec le Leica de M. Morris. Mais la tournée censée durée trois semaines tourne en eau de boudin au bout de cinq jours par un matin enneigé. « Les Wailers voulaient jouer au football. Devant cet amas de neige Peter Tosh et Bunny Wailer y ont vu un signe de Babylon et sont repartis en Jamaïque. ». Qu'à cela ne tienne, à leur retour au Royaume-Unis deux ans plus tard, à l'époque du fameux live de Bob Marley and the Wailers at the Lyceum de Londres, Dennis Morris est accrédité comme photographe officiel. La consécration viendra quand ses photos de Marley apparaissent en une des magazines Time out et Melody maker. L'amitié entre les deux hommes ne s'interrompra qu'au décès du leader des Wailers en 1981: « On avait une relation très proche. Il a cru en moi comme j'ai cru en lui. Pour moi c'était extrêmement simple de le photographier. C'était quelqu'un de très spécial. Pour lui la musique était une façon de délivrer un message. C'était un messager. On avait une connexion spirituelle très forte. Pour Bob, il n'y avait pas besoin d'être un rasta, d'être Noir ou Blanc pour être son ami mais seulement d'avoir un coeur et un esprit nets. » Dennis réalise aussi des clichés de Judy Mowatt, l'une des choristes des I threes, le trio féminin qui accompagne Bob, de  Lee « Scratch » Perry ou encore des Mighty Diamonds.

C'est aussi par l'intermédiaire du reggae que John Lydon alias Johnny Rotten, le leader des Sex Pistols, qui est un passionné de cette musique, le contacte. Le groupe de punk a le vent en poupe et vient alors de signer chez Virgin records « Il a découvert mes photos et il a voulu que je travaille avec eux. » L'immersion dure un an à partir de mai 1977. Dennis passe « d'une expérience spirituelle avec Bob » à un univers beaucoup plus sauvage et rude: « Avec eux, j'ai appris à faire tomber les portes pour obtenir ce que je voulais. » Deux ans plus tard, Dennis s'essaie à son tour à chanter avec Basement 5, un projet entre punk et reggae qui décrit avec noirceur les années Thatcher, celles du chômage et de la montée du racisme en Angleterre avec le British national party (BNP). Don Letts, disc-jokey proche des Clash, en a été le premier chanteur mais selon Dennis Morris c'est avec lui que le groupe a vraiment décollé: « Je  voulais m'exprimer différemment. La musique était une extension de mon art. Mes textes avec Basement 5,  ça été un journal de ce que moi je vivais en tant que jeune garçon noir.  Mon expérience d'enfant d'immigré ayant grandi en Angleterre.» Le groupe est produit par Martin Hannett et Dennis, en plus du chant, assure la partie graphique, les visuels et le logo. Dans cette veine, Dennis a aussi  été  directeur artistique pour le label de Chris Blackwell Island records, faisant des pochettes pour Bob Marley, Marianne Faithfull ou LKJ. « C'est un travail que j'ai apprécié par certains aspects mais ce n'était pas pour moi alors je suis parti. » En 2013, l'artiste a aussi une collaboration en demi-teinte « Superman is dead » avec Shepard Fairey, connu comme le portraitiste de Barack Obama: « C'est un artiste très talenteux que je respecte beaucoup mais il est aussi une machine à faire de l'argent. On a des approches très différentes. »

Bob Marley par Dennis Morris en 1973 copyright Dennis Morris

https://www.youtube.com/watch?v=Y_gAVZBKoMI

En revanche, l'oeil de Dennis Morris pétille quand il évoque le continent africain, dont il est originaire via l'esclavage et la diaspora afro-carribéenne. « Chaque personne noire est connectée à l'Afrique peu importe d'où vous venez. Peter Tosh disait: « Peu importe ce que vous parlez et d'où vous venez vous êtes Africain. » Vous avez jusqu'au 24 janvier 2024 pour profiter de la belle exposition de Dennis Morris à la galerie Agnès B...

Question thé ou café:

Si vous n'étiez pas photographe que feriez-vous?

C'est une bonne question. Depuis l'âge de neuf ans je ne fais que ça. Chaque chose que je fais est liée à la photographie, ma musique, etc. Je ne sais pas.

Pour aller plus loin:

le site de la galerie Agnès B:

https://la-fab.com/en/la_galerie/dennis-morris-colored-black/

Crédit photo Isaac Jade

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Article 14

Le piano libéré d'Estelle Jacques

Estelle Jacques était l'invitée de l'Autel des artistes de Paname le lundi 9 octobre. Nous l'avons interviewée dans un décor familier pour elle, le magasin Pianos Grath à Clermont-Ferrand, ouvert spécialement pour nous. Rencontre.

«Le piano, nous précise l'artiste d'entrée, je ne l'ai pas choisi personnellement. Ce sont nos parents qui nous ont donné des cours de piano à ma soeur et à moi. » Nous sommes alors à Aubusson en Creuse d'où est originaire la musicienne. Estelle a de qui tenir puisque ses parents sont mélomanes, portés en particulier sur la musique classique et la chanson française. Elle est bercée dès l'enfance par Jacques Brel, Georges Brassens, Serge Reggiani ou encore Serge Gainsbourg. « On écoutait aussi Julos Beaucarne, un conteur belge, poète et multi-instrumentiste qui a un univers très riche. » Nul doute que l'influence de ce musicien éclectique, décédé récemment le 18 septembre 2021, a contribué à forger le monde musical d'Estelle Jacques dans lequel on retrouve aussi Janis Joplin, Érik Satie ou encore Maurice Ravel. Pour elle, le piano n'a pas toujours été un long fleuve tranquille:  « Les premières années ont été difficiles pour moi, évoque t-elle pudiquement, ça a mis du temps à démarrer, probablement une question de maturité. »

À 13 ans, l'adolescente s'y met sérieusement, apprivoise le piano. C'est sa professeure de piano, « une personne absolument extraordinaire » qui lui donnera véritablement l'amour de la musique. Elle suit des cours en sa compagnie jusqu'à l'âge de 18 ans. Après une année passée au Conservatoire de Lyon, Estelle étudie ensuite à celui de Clermont-Ferrand, dont l'école de musique est plus proche de sa Creuse natale. A vingt ans, elle est mûre pour enseigner. C'est au milieu des volcans d'Auvergne, qu'Estelle décide de poser ses bagages. Touche à tout, la jeune femme ressent le besoin de « s'ouvrir à une autre manière de faire la musique, à d'autres pratiques et à d'autres styles. Le piano c'est bien mais je jouais beaucoup seule. J'ai eu envie de passer à autre chose pour m'aérer un peu la tête. » Elle se met alors à la contrebasse, qui lui permet de jouer avec d'autres musiciens comme le groupe de chanson engagée Sabayo, avec des musiques et textes originales. Mais ce n'est pas tout.

Estelle découvre aussi la vielle à roue, un instrument méconnu, qui se joue notamment en Auvergne. Son origine remonte au Moyen-Âge, avec des cordes frottées par une roue en bois. « Il a un grain particulier. C'est à la  fois rustique, rudimentaire et en même temps sophistiqué. J'aime son côté brut.» La vielle à roue servira à Estelle de porte d'entrée pour s'ouvrir aux musiques traditionnelles, particulièrement riches en Auvergne et aux musiques du monde. « Ces musiques m'ont décoincé dans un sens. Je ne passais plus par la partition mais par l'oreille, l'improvisation. » Les musiques évoluent avec le temps et avec les musiciens. Estelle fusionne ainsi sa vieille à roue avec des sonorités beaucoup plus actuelles: « À l'aide de pédale d'effets et de pédale de boucle je confrontais ma vielle électro-acoustique au rock n' roll et même au punk. »  Elle joue pendant plusieurs années avec le Pönk trio autour du joueur de cornemuse Yvan Bultez et du percussionniste Arnaud Claveret. Celui-ci lui fait découvrir beaucoup d'artistes africains comme Bonga et Salif Keita: « J'aime le côté répétitif des musiques africaines. Arnaud s'était constitué son set, comme pour une batterie.  Notre groupe était très rythmé et dynamique sur des reprises de thèmes traditionnels. La vieille à roue se prête bien aux musiques tribales parce qu'elle produit un son continu. La roue est comme un archet infini. Il y a quelque chose d'assez envoûtant et de lancinant qui se prêt bien à ces musiques »  Le mélange est décoiffant à n'en pas douter! En parallèle, elle travaille avec la compagnie les Damoizelles de Mylène Carreau alias « la baronne perchée » qui habite son village Champeix, sur les hauteurs. Estelle Jacques accompagne des lectures musicales et des spectacles pour jeune public pour lesquels elle a eu recours à toutes sortes d'instruments comme le mélodica, la sanza ou une boîte à musique en carton fabriquée par l'artiste elle-même. Des cartons poinçonnés ont été mis dans cette boîte, qui marche avec une manivelle à la manière d'un orgue de barbarie . «Mylène est passionnée par la nature et par le format des correspondances que j'arrangeais en direct avec la vielle à roue ou le nickelharpa, un instrument scandinave, proche de la vielle, à la différence que ça se joue avec un archet. Elle a imaginé un personnage qui aurait vécu à la fin du XIXème siècle et qui parle beaucoup des jardins, des plantes, de façon poétique. »

https://www.youtube.com/watch?v=lgnF8zWPY1A

https://www.youtube.com/watch?v=DK8TdPsaY1k

Une auvergnate à New York

La poésie n'est pas exempte de l'univers d'Estelle Jacques qui en cette belle après-midi du 9 octobre nous a joué Une auvergnate à New York aux sonorités chaloupées et afro-cubaines à la Gonzalo Rubalcaba. Ce morceau en clin d'oeil au Englishman in New York de Sting semble avoir été inspiré d'une virée de la pianiste dans Spanish Harlem, le quartier hispanique de la grosse pomme. Mais Estelle n'a jamais été à New York ni sur l'île de la Réunion ou même sur le continent africain qu'elle aimerait fouler au pied un jour. Le pouvoir d'évocation de la musique est ici total: « Je voyage beaucoup dans ma tête. J'aime la musique cubaine. On se nourrit tous de ce que l'on écoute et de ce que l'on voit. J'ai imaginé ce voyage d'une auvergnate. »

Estelle, qui aime décidément brouiller les pistes a sorti son premier album Liberpiano en avril 2021, gravé au studio Polyphone,  en partenariat avec L'Autre distribution. Si le titre peut faire penser au Libertango d'Astor Piazzolla l'album n'a rien à voir avec le tango. Plutôt avec la musique tribale ou la musique répétitive, style avec lequel Estelle a composé plusieurs des morceaux du disque: « Après avoir délaissé le piano pendant quelques années je suis revenu au piano. J'ai ressenti une envie vitale de composer et de jouer. J'avais plein de choses à dire. C'était une manière de me libérer de toutes ces choses que j'avais sur le coeur.» Estelle Jacques garde son parfum de mystère sur la sphère intime exprimée par sa musique, comme sur Vulcain et Aphrodite. À charge ensuite à l'auditeur d'interpréter : « Ce sont des pièces musicales évocatrices, qui créent des images pour le public. » Le clip dessin animé de ce morceau Vulcain et aphrodite par Nikodio a d'ailleurs reçu le premier prix du festival d'animation de Brighton en 2022.  

Dans la continuité, elle enregistre un autre opus PiaNo format:

« Il y a forcément une progression. Je pense que c'est encore un peu plus profond. J'insiste sur le No de piano format pour marquer le fait que je ne m'inscris pas dans un style particulier. Ce qui m'intéresse c'est qu'il n'y ait pas de barrière entre les styles. Je revendique de ne pas être formatée. » L'originalité d'Estelle a séduit l'association Isaac et Jade qui l'a conviée, ainsi que Chérif Soumano (voir notre article) au lancement de son label Isaac et Jade records le 12 novembre au Café de la Danse à Paris: « J'en suis ravie, c'est une nouvelle aventure. » Estelle a l'expérience de la scène: « J'aime jouer dans des petites salles où le public est très proche. Ça m'aide à être à l'aise et à créer une connivence. » 

Nul doute qu'Estelle Jacques saura établir une connivence avec les spectateurs du Café de la Danse.

https://www.youtube.com/watch?v=wlZWV6_o8A8

https://www.youtube.com/watch?v=2I4m1k9ZMPQ

Le site d'Estelle Jacques: https://www.estellejacques.com/

Question thé ou café:

Si vous n'étiez pas musicienne que feriez-vous?

Je pense que je serais cuisinière, j'aime beaucoup cuisiner. Je vois une similarité entre la musique et la cuisine, les formes, les couleurs, les épices, les nuances, le plaisir, la convivialité et le partage.

Julien Le Gros

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Article 13

Chérif Soumano, le « super » virtuose de la kora

À 42 ans, Chérif Soumano a joué avec de nombreux artistes traditionnels maliens Kabine Kouyaté, Moussa Sissokho, Lansine Kouyaté, Mamani Keita ou de la scène jazz comme Minino Garay, Ira Coleman et Edsel Gomez. L'autel des artistes de Panam a eu le plaisir de rencontrer ce joueur de kora émérite le 8 septembre au studio La Fugitive, dans le 20ème arrondissement de Paris.

Cet après-midi  là Chérif Soumano, habillé à la mode traditionnelle, nous accueille en beauté  dans le studio au son cristallin de la kora. Son extraordinaire dexterité et son aisance à la kora contrastent avec sa personnalité plus timide, presque mutique. La légende dit que Toumani Diabaté surnommait Chérif Soumano « super » tellement son « petit » avait un jeu fluide à la kora. Cette anecdote en dit long sur le niveau d'un musicien surdoué dont le CV de collaborations musicales est long comme le bras. Rien n'est dû au hasard pour Mamadou Chérif Soumano. Il naît le 20 mai 1981 au Mali dans une famille de griots. « Le griot c'est la communication, le partage, l'entente, la paix. La parole d'un griot est toujours positive. » résume ce petit-fils d'un joueur de dum dum, ce fût de bois sur lequel on frappe avec un bâton de bois d'un côté et sur une cloche de l'autre avec une tige métallique. « C'est toujours un plus d'avoir un musicien percussionniste dans sa famille. Mais ça n'a pas eu une influence directe dans le fait que je joue de la kora. » Pour comprendre l'engouement du jeune Chérif pour cet instrument à cordes il faut citer deux grands noms Ballaké Sissoko et Toumani Diabaté. « Je les ai connus tout naturellement. » explique Chérif. « J'étais tout petit et je les entendais déjà jouer de la kora. Leurs deux maisons étaient collées à N’Tomikorobougou, un quartier de Bamako. Nous les enfants, on passait la journée avec eux du matin au soir. Je les observais. Le fait d'avoir ces icônes de la tradition à portée de main c'est un grand plus. Mais il n'y a pas qu'eux qui m'ont donné envie de m'intéresser à la kora.  Il faut avoir envie de l'instrument aussi. J'ai très tôt flashé sur la kora dont le son me parlait. J'ai surtout beaucoup appris auprès d'un grand guitariste burkinabé vivant au Mali qui était surnommé « Jimi Blanc ». En dehors du jeu traditionnel à la kora, feu Jimi Blanc, qui lit la musique donne une ouverture à Chérif sur le monde du jazz.

https://www.youtube.com/watch?v=2VwYMwSstDc

Accordeur de Toumani

Cette ouverture se concrétisera en 2007 par une participation inattendue, presque accidentelle de Chérif à un album de la mythique chanteuse de jazz Dee Dee Bridgewater le bien nommé Red earth, en référence à la terre rouge du Mali. Sur Red earth on retrouve le « who's who » des musiciens maliens Cheick Tidiane Seck, Oumou Sangaré, Moriba Koita, Bassékou Kouyaté, Mamadou Diabaté... « Je suis venu sur le projet grâce à Toumani Diabaté qui a participé à Red earth. Chaque fois qu'il venait en studio il faisait appel à moi pour accorder sa kora. J'ai de bonnes oreilles. Il y a des accordeurs dont c'est le métier mais on faisait plus confiance à nos propres oreilles. Je suis venu donc régler la kora de Toumani pendant les sessions d'enregistrement. Toumani a gravé un thème. Mais le lendemain il partait en voyage. » Pour la suite de l'enregistrement de l'album, la production fait donc appel à « l'accordeur de Toumani » pour le remplacer au pied levé dans ce studio qui n'est autre que Bogolan, l'espace créé en 2002 par Ali Farka Touré et Yves Wernert. « Il y a d'autres studios à Bamako qui ont une bonne qualité de son mais celui-ci est devenu un peu le repaire pour tous les grands musiciens occidentaux ou étrangers qui viennent au Mali. » évoque Chérif Soumano. « Cet album de Dee Dee est basé sur les chansons traditionnelles d'Afrique de l'Ouest mais comme elle vient du jazz, musique qui vient d'Afrique, il y a forcément une fusion avec le jazz. »

Après cette belle expérience Chérif sera à l'affiche la même année d'un autre album devenu un classique L'Africain de Tiken Jah Fakoly, artiste qui a déménagé à Bamako dès 2003 en raison des  tensions politiques en Côte d'Ivoire. Sur L'Africain figurent le reggaeman Beta Simon, les rappeurs Soprano et Akon. Le titre le plus connu est Africain à Paris. « À Bamako, j'avais la réputation d'être ouvert sur toutes sortes de musiques. Le reggae ce n'est pas le style qu'on joue devant chez Ballaké ou Toumani. Tiken Jah m'a fait confiance. » Là encore Chérif est un peu la « doublure » d'un Toumani débordé qui joue sur quelques titres pendant que Chérif participe au reste de l'enregistrement du disque. « C'était différent de la routine de la musique ouest-africaine que je jouais, le répertoire pour les mariages, les sumu pendant lesquels les griots chantent des louanges. La musique reggae c'est aussi une belle ouverture pour ma kora. »

L'aventure World kora trio

Trois ans plus tard, Chérif qui posera ses valises en France, se produit à Rochefort-sur-mer à l'occasion du festival Rochefort en accords qui met à l'honneur des musiciens des cinq continents. Chérif joue avec Petit Adama Diarra au balafon et le remarquable chanteur haïtien James Germain, qui vivait au Mali. C'est alors que le violoncelliste américain Eric Longsworth est épaté par le jeu de Chérif: « Il a aimé ce que je faisais à la kora, on a fait plusieurs morceaux ensemble. »  De cette alchimie est né le désormais célèbre World kora trio avec le percussionniste Jean-Luc Di Fraya. Deux disques sur le label Passe minuit immortalisent cette complicité musicale Korazon en 2012, un jeu de mots avec corazon, le coeur en espagnol et le mot kora « la kora ça part de l'amour » et Un poisson dans le désert en 2015. « C'est toujours un plus pour un musicien de rencontrer d'autres cultures. Il n'y a pas que la musique, pour moi vous  rencontrer en tant que journaliste c'est aussi une expérience.» Autre expérience marquante, la tournée internationale de deux ans avec  Roberto Fonseca.

Auréolé du succès de son album Yo, devant le public comble du Parc floral de Paris le 7 juillet 2013 le pianiste cubain invite sur scène un certain Chérif Soumano. Ce dernier est comme un poisson dans l'eau au milieu des musiciens cubains. Fonseca rééditera plus tard cette énergie naturelle Mali-Cuba avec Fatoumata Diawara sur un album au titre révélateur At home (à la maison) « Pour moi la musique cubaine c'est l'Afrique. Quand Robert joue, je sens l'Afrique dedans. » insiste Chérif. « On revient toujours à la case départ, la source de tout c'est l'Afrique. »

https://www.facebook.com/worldtrio.kora/

https://www.youtube.com/watch?v=iXH-HGaiK1o

https://www.facebook.com/korajazz/

Musique sans frontières

Le feeling a été le même avec l'homme au chapeau, le bassiste Marcus Miller, états-unien originaire de Trinidad et Tobago, porte-parole du projet de l'UNESCO « La route de l'esclave ». En 2015, Marcus sort l'album Afrodeezia qui rend hommage à l'Afrique et aux diasporas noires. Le 5 avril 2016 à l'Olympia il réunit plusieurs musiciens africains sur scène dont le guitariste Hervé Samb, le bassiste Alune Wade, le percussioniste Adama Bilorou ou encore... Chérif Soumano « Je dis merci au bon dieu d'avoir joué avec tous ces grands musiciens. C'est un parcours énorme. Ça a commencé parce que je jouais avec Roberto Fonseca dans une ville. Après, j'ai regardé le concert de Marcus Miller qui partageait la même affiche. Au moment où j'allais partir à l'hôtel Marcus m'a invité à les rejoindre à la kora sur le dernier morceau.  Marcus a pris mon contact et un ou deux ans après j'ai reçu un email m'invitant à participer à l'album. Ensuite il y a eu une tournée.» Ancien chef de l'orchestre national du Sénégal  le pianiste Abdoulaye Diabaté le repère pour son Kora jazz trio sur l'album Kora IV en 2018. Chérif succède à la kora au guinéen Djéli Moussa Diawara, au regretté Soriba Kouyaté décédé en 2010,  et à Yakhouba Sissokho. Le projet avec Adama Diarra aux percussions en remplacement de Moussa Sissokho est toujours en cours et le trio se produira le 14 octobre à l'Entrepôt au Haillan, près de Bordeaux.

En parallèle, Chérif a un duo avec des compositions originales mené à quatre mains avec le guitariste et violoncelliste français Sébastien Giniaux, qu'il a rencontré à Bamako il y a vingt et un ans. Le fruit de leur travail s'appelle African variations. Sur le premier disque La ronde des oiseaux, ils ont convié la chanteuse espagnole Paloma Pradal pour une touche flamenco et sur le second la flûtiste d'origine syrienne Naïssam Jalal. Les deux musiciens peuvent aussi reprendre allègrement du Léo Ferré ou du Phil Collins. « La musique n'a pas de frontières. Quand on pense à la kora on pense seulement à la tradition ouest-africaine. Mais cet instrument a beaucoup d'ouvertures. Ça dépend du joueur de kora et de son état d'esprit. »

https://africanvariations.com/

https://www.youtube.com/watch?v=TobjOeeu-eQ

Récemment, dans son home studio à Draveil dans l'Essonne Chérif Soumano a fait un autre duo Allah ko avec le guitariste sénégalais Cheick Niang. « C'est un petit frère, je l'ai vu grandir. On a profité du passage à Paris de Wally Ballago Seck qu'il accompagne pour tourner un clip à la maison. » Après avoir joué avec tant de monde il est temps maintenant pour Chérif Soumano de voler de ses propres ailes. Le musicien a son propre quartet et un disque de kora devrait voir le jour. Et ce n'est pas tout! Chérif Soumano a un secret, il chante d'une bien belle voix mais refuse de la dévoiler publiquement:« Je ne suis pas chanteur, je vais sauter sur ça. » élude t-il. Bon prince il nous fait néanmoins écouter en studio un titre vocal inédit de son cru. Enfin, last but not least, Chérif Soumano jouera avec Estelle Jacques le 12 novembre au Café de la Danse pour le lancement du label Isaac et Jade records. Nous y reviendrons.

Question thé ou café

Si vous n'étiez pas musicien qu'auriez-vous fait?

Je serais peut-être devenu acteur.

Julien Le Gros

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Article 12

Zao, l'éternel combattant

C'était il y a plus de quarante ans. Casimir Zoba alias Zao marquait durablement les esprits avec son titre Ancien combattant . Malgré les vicissitudes de la vie le chanteur congolais, qui a travaillé avec Roga Roga, Mbilia Bel ou Biso na biso, est toujours sur le pont. Il a accordé un entretien à l'Autel des artistes de Panam depuis son quartier général de Bacongo, à Brazzaville. Pendant l'interview on entend les cris des enfants, ce qui ne doit pas être pour déplaire à cet ancien instituteur. Ambiance.

Le 13 juillet 2007, Claudy Siar animait une grande soirée sur la place de la Bastille organisée par Radio France International (RFI), organisée avec Alain Pilot, présentateur de l'émission la Bande passante, Laurence Aloir et le regretté Amobé Mevegue. Sur la grande scène ont défilé des légendes des musiques d'Afrique dont certains nous ont quittés depuis, Johnny Clegg, Mory Kanté, Jacob Desvarieux, mais aussi, pour les vivants, Ismaël Lo (voir l'interview de Lamine Ba sur notre site) Amadou et Mariam, Alpha Blondy, Lokua Kanza ou encore Zao. Ce dernier coiffé de son casque militaire a entonné avec truculence au son du clairon Ancien combattant à la grande joie de ses fans.

Le Zagallo de la musique

Mais au fait pourquoi ce nom d'artiste Zao? « Au collège, je jouais au football, nous explique Casimir Zoba avec son timbre inimitable, ponctué de petits gloussements de rire contagieux. « On me surnommait Zagallo en référence au grand footballeur brésilien Mario Zagallo. Celui-ci a fait partie de l'équipe qui a remporté la coupe du monde en 1958 et en 1962. Donc Zagallo s'est transformé en Zao. Les amis ont dit, « c'est trop long ça, il faut prendre Zao! » À partir de là Zao, le troubadour était né. Casimir Zoba, son alter ego a lui fait son apparition le 24 mars 1953 à Goma Tsé-Tsé dans la région du Pool, au sud de l'Afrique équatoriale française, qui deviendra la République du Congo le 15 août 1960. Déjà boute-en-train Casimir n'est pas très assidu à l'école et il sera envoyé en pension pour cause de « scolarité en perdition ». Son père lui donnera néanmoins le goût de la sanza, ce petit instrument métallophone au son proche du piano. En 1968, Casimir n'a que quinze ans et se forme avec des ballets traditionnels dans son village natal. « On dansait avec des pagnes en raphia multicolores avec les tam tams. » Parallèlement, le jeune homme rode sa voix puissante à travers les chorales religieuses, en particulier pour l'Ėglise des trois martyrs, l'une des très nombreuses églises dans ce pays qui compte plus de 30 millions de fidèles catholiques. Les années 1960-1970 sont aussi une formidable période d'essor des orchestres de rumba congolaise à Kinshasa mais aussi de l'autre côté du fleuve Congo à Brazzaville. « Il y avait toute une pléïade d'orchestres les Bantous de la capitale, les Mando Negro Kwala Kwa, les Negro band, les Sinza Kotoko, les Super Boboto... Ma génération a été formée en contemplant ces orchestres. On escaladait les murs pour aller les regarder jouer en douce. Ça nous a donné le goût de devenir musiciens à notre tour. »

https://www.youtube.com/watch?v=CcufNrhF2PM


https://www.mbokamosika.com/article-il-etait-une-fois-un-grand-orchestre-sinza-kotoko-105943188.html

Zao chante lui-même dans des petits ensembles les Gloria, les Unis ou les Adhérents, un groupe vocal de son village. Mais la chance viendra en 1973 quand il intègre à vingt ans comme percussionniste l'orchestre ballet les Anges créé le 25 décembre 1965: « Vous savez, c'est tout un enchaînement. J'étais un fourre-tout, les orchestres amateurs, les ballets, les groupes vocaux, l'apprentissage qui convient pour devenir un grand musicien, analyse Zao rétrospectivement. «Les Anges c'est d'abord un groupe vocal amateur qui s'est professionnalisé par la suite. » Cette expérience, entre tradition et modernité, apportera à Zao l'expérience de la scène. « L'orchestre ballet les Anges, résume la pochette du disque Congo vision (sorti en 1984 après le départ de Zao), veut remettre à sa place initiale le folklore congolais qui inspire désormais la jeune génération des artistes musiciens de ce pays. Congo vision c'est: la Lékoumou, les Plateaux, la Sangha, la Cuvette, la Likouala, le Kouilou, la Bouenza, le Pool et le Niari chantés par les Anges de Brazzaville. »

Les Anges permettront aussi à Zao de voyager car l'orchestre sert de vitrine au régime socialiste de Marien Ngouabi -leader du Parti congolais du travail (PCT) qui sera assassiné le 18 mars 1977-dans les pays satellites du bloc soviétique. Les Anges participent ainsi au festival de la chanson politique en Bulgarie en 1977 et un an plus tard au festival mondial de la jeunesse à Cuba. Parmi les autres groupes présents lors cette dernière initiative citons le Super Mama Djombo de Guinée Bissau (voir notre article sur Malan Mané) La même année, en parallèle de sa carrière avec les Anges et malgré ses propres déboires scolaires passés, Zao intègre l'École normale des instituteurs. « Après avoir fréquenté le lycée Lumumba de Brazzaville j'ai décroché le concours de l'école et j'ai pu enseigner. » Cette voie sera déterminante dans la fibre créatrice du futur chanteur Zao: « Cela m'a poussé à beaucoup lire, à m'instruire davantage. Le savoir est une arme qui m'a beaucoup aidée dans mon écriture. Les fables de la Fontaine, les poèmes de Victor Hugo m'ont inspiré. J'avais envie de ressembler un peu à ces poètes, à ces grands hommes.  » L'aîné de Zao le poète gabonais Pierre Claver Akendengue, qu'il ira voir lors de ses concerts à Libreville, fera aussi partie de cette matrice artistique.

En 1980, avec les Anges, Zao sera à l'affiche du festival Mondovision à Florence. Après le tremplin des Anges Zao décide de son propre aveu de « faire cavalier seul » La chanson Sorcier ensorcelé qui lui permet de remporter son premier trophéé le prix de l'Agence de coopération culturelle et technique (ACCT)-celle-ci sera aborbée dans l'Organisation internationale de la francophonie-n'est paradoxalement pas celle que l'histoire a retenu. Le refrain dit: « Sorcier ensorcelé, douze manières trente-six malins, tel est pris qui croyait prendre. Et pourtant il avait pu manger son père. Il avait pu manger son frère. Il avait pu manger sa soeur. Il rentrait dans les verres de bière. Personne ne lui fait la guerre. » Sorcier ensorcelé pose néanmoins les bases du style Zao, un récit qui mélange les langues, le lari, avec un français « congolisé ». Les paroles laissent libre court aux interprétations, dans la grande tradition des conteurs et des fabulistes. « Mes textes c'est du quotidien, du vécu. C'est la société congolaise que je décris mais aussi les autres sociétés africaines, on a tous les mêmes problèmes le mauvais accès à l'eau, à l'électricité, les hôpitaux qui dysfonctionnent, le manque de médicaments. Ces réalités nous amènent tout droit dans un corbillard!. » Le morceau Corbillard de Zao gravé sur son album Soulard sera d'ailleurs tristement prémonitoire puisque celui-ci perdra un fils de quatre ans. L'enfant meurt de déshydratation pendant la guerre civile de 1997. Durant neuf mois, Zao, traqué par des miliciens les Cobras de Denis Sassou Nguesso car considéré à tort comme faisant partie du camp adverse, est obligé de se réfugier dans la forêt du Pool. Il sera même donné pour mort.

Monsieur cadavéré

Pour la carrière de Zao le carton plein viendra en 1982 avec Ancien combattant, chanson lauréate du festival des musiques d'Afrique centrale (FEMAC). « Le directeur de la société d'État Musiclub m'a alors repéré et m'a proposé de l'enregistrer au studio de l'Industrie africaine du disque (IAD). » Des albums du « prince » Youlou Mabiala et des Kinois Zaïko Langa Langa y seront même enregistrés selon un article publié par François Bensignor dans la revue Hommes et migrations de mai-juin 2006. La méthode de travail de Zao est toujours la même: « Je suis le premier arrangeur de mes chansons, avec ma guitare et mes percussions, ensuite viennent les amis, je suis entouré de bons musiciens qui mettent la main à la pâte pour donner une idée, une inspiration, un accord, participer à l'arrangement. » Sur ce classique de la musique africaine dans lequel un Zao filiforme apparaît sur la pochette avec sa guitare on retrouve Jeff Louna à la guitare solo, Barnabé Matsiona à la flûte ou Bruno Houla au saxophone. Mais la mauvaise gestion du studio IAD, équipé d'un 24 pistes moderne, est telle que ce premier album de Zao ne sortira qu'en 1984, soit deux ans après sa réalisation! Qu'à cela ne tienne, Ancien combattant obtiendra un succès phénoménal dans toute l'Afrique francophone mais aussi en Chine, en URSS... « Cela a été une grande surprise pour moi et je suis allé de surprises en surprises jusqu'à maintenant. » Le morceau à l'humour grinçant et féroce lui vaudra même le surnom de « Monsieur cadavéré »: « Tes chéries cadavéré, ton premier bureau cadavéré, ton deuxième bureau cadavéré, la bière cadavéré, le whisky cadavéré le vin rouge cadavéré le vin de palme cadavéré, les soulards cadavéré, Musiclub cadavéré, tout le monde cadavéré, moi-même cadavéré. »

https://www.youtube.com/watch?v=JXCJfTkUQJ0

Sur l'album suivant Moustique sorti en 1988 Zao dénonce l'Apartheid en Afrique du sud alors toujours en vigueur. Il s'insurge dans le titre phare contre un moustique « qui pique monsieur le président, oh tu es un putschiste. » D'aucuns veulent y voir une dénonciation de la corruption politique qui sévit notamment au Congo. « On peut interprèter mes paroles au premier, au deuxième voire au troisième degré. Pourquoi pas? Je ne suis pas forcément conscient de la portée de mes paroles quand j'écris. Ce sont les auditeurs qui doivent faire leurs commentaires.» ricane Zao.

Sur Patron issu de son troisième disque, avec une belle photographie signée par Pierre-René Worms, Zao évoque les relations conflictuelles entre salariés et employeurs sur fond de lutte syndicale.

https://www.youtube.com/watch?v=_gaQwMi31qo

Entretemps, Zao aura une expérience cinématographique majeure avec Camp de Thiaroye d'Ousmane Sembene, qui évoque le massacre de Thiaroye sur des tirailleurs perpétré par l'armée française le1er décembre 1944. Dans ce film, censuré pendant dix ans en France, Zao partage l'affiche avec Sidiki Bakaba, le chanteur Ismaël Lo ou encore Marthe Mercadier. « Je suis parti comme un aventurier, je ne connaissais rien au cinéma. J'ai beaucoup appris d'Ousmane Sembene, ce grand réalisateur qui m'a fait découvrir ce métier. Je ne savais pas non plus qu'il y avait cette discrimination au niveau salarial entre les soldats blancs et les soldats noirs. »

Transmettre aux nouvelles générations

Animé comme Ousmane Sembene de la volonté de partager et de transmettre Zao créera après la guerre civile, pendant laquelle il a tout perdu, son propre espace en 2000 à Bacongo, quartier de la société des ambianceurs et personnes élégantes (SAPE) mais aussi de la contre-culture. «Mon espace est devenu un lieu un peu mythique où tous les jeunes se réunissent pour répéter car des instruments, guitare, batterie, amplificateurs sont mis à disposition. Si un jeune sait jouer la guitare c'est difficile et coûteux de se procurer une guitare électrique. L'espace Zao est un passage obligé pour tous les musiciens qui se produisent à l'Institut français ou sur d'autres scènes. » Ce lieu dédié aux nouvelles générations de musiciens a été notamment filmé par Jean-Jacques Lion pour son documentaire de 2007 M'bongui bantu, la case commune.

https://www.dailymotion.com/video/x1717dj

C'est à la même période en 2006 que Zao sort L'aiguille sur le label Lusafrica, pour raccommoder les déchirures de son pays meurtri.

https://www.youtube.com/watch?v=AUYbIi5ikXc

En 2014, trente ans après son Ancien combattant Zao fait son grand retour avec Nouveau combattant, sorti sur le label Rue Stendhal. C'est une version actualisée sur les conflits contemporains, comme l'Afghanistan, l'Irak ou la Libye, dans laquelle Zao évoque le nucléaire « qui va faire taire toute la Terre », les armes chimiques et les missiles qui vont « missiler toutes les miss »: « Je voulais pousser mes idées toujours dans le sens d'alerter le monde sur les méfaits de la guerre.  On n'aura pas le blé, on n'aura rien.» Le chanteur se produira à cette occasion au festival Africolor en Seine-Saint-Denis.

https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=pGvB_THR88o

En 2021, Zao revient timidement avec Kwiti Kwiti sur lequel il reprend son classique Pierre de Paris et enregistre un titre sur la pandémie de Covid-19 avec Laila and the groove Stop Covid-19.

https://www.youtube.com/watch?v=AUYbIi5ikXc

https://www.youtube.com/watch?v=-IXltchbhFI

Mais une nouvelle épreuve a failli terrasser le poète. En juillet 2022, il a effleuré un accident vasculaire cérébral (AVC) le laissant handicapé du bras et de la jambe droite. « Cela m'a donné envie d'écrire sur l'AVC parce qu'il y a des gens qui souffrent de cette maladie plus que moi. » Derrière le masque burlesque de Zao se cache une école d'humilité et de courage. Longue vie à Papa Zao!

Julien Le Gros

La page de Zao

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Article 11

Malan, la voix d'or du Super Mama Djombo

Le 26 juin, Antonio « Malan » Mané nous faisait l'honneur de nous recevoir chez lui à Montreuil. Chanteur du mythique orchestre bissau-guinéen Super Mama Djombo Malan , qui sort un nouvel opus Fidju di lion, a bien voulu ouvrir sa malle à souvenirs. Rencontre avec une figure emblématique des Indépendances africaines.

À Montreuil, où il vit depuis des années, Malan Mané passe inaperçu dans le flot de passants d'origine subsaharienne, sauf pour quelques mélomanes très avertis qui connaissent le Super Mama Djombo. On peut parfois le croiser dans un taxiphone près de la mairie où il a l'habitude d'envoyer des mandats financiers vers son pays natal la Guinée-Bissau. En décembre 2021, pourtant, Malan est sorti fugacement de l'ombre avec un beau coup de projecteur lors du festival Africolor « à domicile » au Nouveau théâtre de Montreuil. Il y était accompagné de certains membres du Super Mama Djombo. Plus près de nous, en mars 2023, Malan s'est produit au 360 music factory à Paris en acoustique avec son acolyte Sadjo pour présenter quelques titres de son dernier disque Fidju di lion sorti sur le label d'Archie Shepp Archie Ball. Sur cet album de belle facture de onze chansons réalisé par Fabien Girard on retrouve les vieux complices Tundu vivant à Londres, Armando et Sadjo à Lisbonne. La diva malienne Mamani Keita et le chanteur congolais Jupiter Bokondji sont aussi venus prêter main-forte en invités.

https://www.youtube.com/watch?v=W2tKIgMrJW0

https://www.youtube.com/watch?v=ISIKF0dHVOE

Le 11 mars 2023, au 360 music factory donc, le discret et humble Malan a aussi dévoilé en avant-première le documentaire boulevesant de 52 minutes dont il est le protagoniste Bissau le retour d'une idole, réalisé par Philippe Béziat, produit par Oléo films et visionnable sur le site internet d'Arte jusqu'au 28 décembre 2023. On y voit Malan revenir au pays et chanter l'hymne à Amilcar Cabral (assassiné le 20 janvier 1973) qu'il a popularisé Sol mayor por commandante lors d'un concert au stade en soutien au parti pro-Cabral. Celui-ci sera perdant aux élections législatives. Le narrateur-à la voix tremblante d'émotion, et initiateur de ce projet initiatique aux sources du fleuve Cacheu est Sylvain Prudhomme.

https://www.arte.tv/fr/videos/101898-000-A/bissau-le-retour-d-une-idole/

Celui-ci, présent lors de la projection, a consacré au Super Mama Djombo un roman Les Grands (Gallimard, 2014) à travers le personnage fictif du guitariste Couto (le vrai guitariste solo du groupe s'appelait Adriano « Tundu » Fonseca) et de sa romance imaginaire avec Dulce-inspirée de la chanteuse historique du groupe Dulce Neves. Sylvain est tombé amoureux de cet orchestre alors qu'il travaillait à l'Alliance française de Ziguinchor, au Sénégal, non loin de la frontière bissau-guinéenne. Il a d'abord rencontré l'un des musiciens le guitariste Serifo Dju. C'est lui qui a mis en relation Sylvain et Malan. Malan a été marqué à vie par sa rencontre avec Sylvain Prudhomme devant la mairie de Montreuil: « C'est quelqu'un qu'on ne peut pas oublier. Quand tu es dans une situation difficile et que quelqu'un t'aide c'est comme une famille pour moi. C'est lui qui m'a fait découvrir le lieu sacré du Mama Djombo, dans ce petit village qui donne son nom au groupe. » Dans le livre de Sylvain Prudhomme, on croise les musiciens authentiques du groupe Adriano Gomes Ferreira dit « Atchutchi », le chef d'orchestre, Miguelinho, guitariste rythmique et bien sûr Malan Mané dont les déboires d'exilé en France sont évoqués en creux. Page 161: « L'attaché présidentiel avait demandé si Malan jouait souvent, si les gens le connaissaient en France. Malan avait répété c'est dur ici tu sais, no ta dubria, on se débrouille. À quoi l'autre avait répond en s'insurgeant, faisant presque de son succès une affaire personnelle à présent, comment ça no ta dubria, comment ça un trésor national comme vous se débrouille, comment a t-on pu laisser faire ça. »

De footballeur à chanteur

Issu d'une famille musulmane, Malan a «hérité » du patronyme Antonio de l'administration portugaise qui attribuait à chaque enfant scolarisé un prénom catholique. Il nous avoue même avoir gardé au cas où ses papiers d'identité de l'époque coloniale. Malan naît le 20 janvier 1956 à Buba au sud de la Guinée-Bissau. Ce comptoir a été créé par les Portugais au XVème siècle a été à partir de 1625 une plaque tournante du commerce triangulaire d'où partirent des milliers d'esclaves. « J'ai grandi comme tous les enfants de village. », nous raconte t-il d'une voix posée, mon père était cultivateur et pêcheur. La pêche a été ma première activité. » Malan n'a que quatre ans le 3 août 1959 quand a lieu le massacre de Pidjiguiti cette revendication salariale dont il entendra parler par ses parents des dockers du port de Bissau. Elle sera écrasée dans le sang par la PIDE, la police d'État portugaise, faisant plus de vingt morts. Cette répression sera déterminante dans la militarisation du Parti africain pour l'indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap Vert (PAIGC), créé en 1956, sous l'égide du Cap Verdien Amilcar Cabral, qui mènera une guerre contre le colon portugais à partir de 1963. Après avoir tenté en vain d'obtenir le soutien de Senghor, les maquisards trouveront une base dans la Guinée-Conakry de Sékou Touré.

Le père de Malan ne se contente pas de suivre l'actualité politique. «Il était un grand supporter du club de football du Benfica à Lisbonne. » explique Malan. « Je rêvais d'un jour jouer au Portugal avec le Benfica. » Mais le père de Malan ne verra jamais jouer le Benfica. Il décède en 1968 et un an plus tard la famille de Malan s'installe à Bissau, la capitale. Dans son quartier à Bissau se forme une association. À la base, Malan, qui ne se voit pas en faire son métier envisage de jouer des percussions. Mais un de ses amis lui dit: « Non tu vas chanter parce que tu aimes trop chanter. » Malan a dix-huit ans et ne prend pas la musique au sérieux. L'aventure tourne court au bout d'un ou deux ans. Il décide de retourner au ballon rond avec le Benfica de Bissau. En 1973, Césario « Miguelinho » Hoffer, constatant que Malan est disponible le recrute au sein du Super Mama Djombo. Malan commence par décliner l'offre et va visiter sa mère à Buba qu'il n'a pas revue depuis plusieurs années. Mais on n'échappe pas à son destin de chanteur. À son retour à Bissau, Malan reprend l'entraînement avec le Benfica Bissau mais au loin il entend jouer le son d'une guitare lors de séances de répétition. « C'est là que j'ai compris que mon rêve d'être footballeur va disparaître et que j'ai rejoint le Mama Djombo. »

Le Super Mama Djombo

Le groupe est formé dès les années 1960 par un noyau de cinq jeunes scouts, dont Herculano Pina Araujo au chant, Zé Manel à la batterie, Francisco Martens « Chico » Karuka, le guitariste Jorge Medina, ces deux derniers sont aujourd'hui décédés. Atchutchi, qui deviendra le chef d'orchestre du groupe, étudiait alors au Portugal. Il est réquisitionné par l'armée portugaise alors sous le joug du régime de Salazar pour partir à la guerre coloniale au Mozambique. Atchutchi reviendra au pays après la révolution des Oeillets qui installera la démocratie au Portugal le 25 avril 1974. Plus aguerri que ses camarades musiciens sur la lutte d'indépendance Atchutchi a côtoyé à Lisbonne les membres du Cobiana Djazz, le premier orchestre de la Guinée-Bissau. Son leader José Carlos Schwarz meurt tragiquement à 27 ans dans un accident d'avion près de La Havane le 27 mai 1977.

https://pan-african-music.com/jose-carlos-schwarz-lua-ki-di-nos/

« Ils étaient plus âgés que nous. Moi je ne savais rien sur la politique. Mais j'ai apprécié ce qu'Atchutchi écrivait sur la lutte de libération nationale. Avec le temps je me suis formé politiquement. J'ai vu comment nos leaders fonctionnaient à l'indépendance de la Guinée-Bissau. » Une chanson dans lequel Atchutchi dit: « le mari d'Abili est parti », porte sur ceux « qui quittaient leurs femmes pour en épouser une autre plus éduquée et qui mange avec une fourchette et non plus avec les mains .» La particularité du Mama Djombo dans ce pays qui compte plus d’une trentaine d'ethnies, est de ne pas utiliser que le créole portugais dans ses chansons mais aussi un « mandingue un peu déformé » de l'aveu de Malan, issu du Mali.

Dans son appartement, le jour de l'interview Malan Mané consent à exhumer ses disques vinyles du Super Mama Djombo contenus dans un sac Leader Price.

Malan apparaît au premier plan de l'album de 1978 Na cambaça gravé sur le label Cobiana records. « Je suis sur la photo à la plage Giron à Cuba avec Cesario « Ntchoba » Morgado, qui est décédé, Baba Kanouté, qui vit au Portugal et est issu d'une famille de griots. Il vient de cette tradition » se souvient-il. Le groupe a joué à l'occasion du XIème festival international de la jeunesse et des étudiants de Cuba. Nous sommes alors en pleine guerre froide et la Guinée-Bissau fait partie des États socialistes invités européens, asiatiques, africains ou sud-américains. « À l'époque de la lutte de la libération, l'URSS nous a fourni des armes. Les indépendantistes bissau-guinéens ont commencé avec de simples machettes. » rappelle Malan. Au moment de ce disque, la plupart des pays d'Afrique sont indépendants. Après la Guinée Bissau, il y eut le Mozambique le 25 juin 1975 et l'Angola le 11 novembre 1975.

Sur le deuxième disque orné d'écritures en cyrillique-car pressé à Moscou en ex-URSS, ça ne s'invente pas!- Festival d'où se dégage la ballade Julia on voit en photo l'ouverture de cet événement et sur la pochette intérieure aux studios Valentim de Carvalho à Lisbonne où il fut gravé et où des années plus tard en 2022 Malan enregistrera son album solo Fidju di lion (le fils du lion), dédié à Amilcar Cabral. Un album de l'orchestre daté de 1983 est dédié à la mémoire du griot N'Famara Mané et un autre Mandjuana à celle d'un combattant de la libération bissau-guinéenne que l'on voit sur une photo en noir et blanc revêtu d'un treillis kaki.

https://www.youtube.com/watch?v=NHruGglNLH4

L’exil

Mais cette période faste pour l’orchestre fera long feu dans les années 1980. Le 14 novembre 1980 Nino Vieira prend le pouvoir à la suite d’un coup d’état, renversant Luis Cabral, et l'ambiance de durcit dans le pays. « En France on a le droit de manifester contre la politique d’Emmanuel Macron. C’est un pays démocratique. Mais en Guinée-Bissau on ne nous laissait pas manifester. Et nous critiquions le régime dans nos chansons. » décrypte Malan Mané. Celui-ci fera une demande de droit d'asile en France, un pays dont il ne parle pas alors la langue, en 1990: « Personne n'était là pour m'aider et je suis resté huit ans sans papiers.  Ça a fait remonter plein de souvenirs, après avoir été en Angola, à Cuba, au Mozambique, au Cap Vert, au Portugal je me retrouvais dans cette situation.» avoue t-il pudiquement. Arrêté lors d'un contrôle d'identité à Paris Malan subit une obligation de quitter le territoire français et ira se faire oublier à Elbeuf en Normandie. Son camarade du Mama Djombo le guitariste Djon Mota a vécu avant lui à Vernon dans l'Eure et a accompagné Manu Dibango, Sam Mangwana ou encore le Cabo Verde show. En difficulté administrative en France, Malan laisse aussi une épouse et une fille de cinq mois en Guinée-Bissau qu'il ne reverra que des années plus tard à Bissau, mariée avec deux enfants. Ce moment déchirant est capté dans le documentaire de 2019 Bissau le retour d'une idole. Sur son album solo Fidju di lion Malan raconte sa solitude d'immigré balloté de foyers en foyers sur le titre Tubabudu sio. « Me voilà assis au pays des Blancs parmi tous ceux comme moi qui se sont perdus. » C'est aussi en France à partir de 1990 que Malan apprend à jouer la guitare en autodidacte. Malan a été régularisé en 1999 et a pris attache à Montreuil. De sa guitare, sont sorties de nombreuses compositions restées trop longtemps dans les tiroirs parmi lesquelles Nelson Mandela, à la mémoire du leader panafricain décédé en 2013. « Il a voulu dépasser la question raciale et militer pour l'unité africaine. La chanson m'a été inspirée par le film Sarafina (1992) qui parle de l'Apartheid en Afrique du Sud dans lequel joue Miriam Makeba. Ma fille s'appelle Miriam en son honneur. » Une chose est certaine, Malan qui fait son grand retour avec Fidju di lion n'a pas fini de porter sa voix. On espère bientôt l'entendre en live pour notre plus grand plaisir.

Question thé ou café

Si vous n’étiez pas musicien que seriez-vous devenu ?

Si la musique ne m’avait pas happé comme elle l’a fait je serais peut-être devenu joueur professionnel et j’aurais évolué au club du Benfica à Lisbonne.

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