Article 13

Chérif Soumano, le « super » virtuose de la kora

À 42 ans, Chérif Soumano a joué avec de nombreux artistes traditionnels maliens Kabine Kouyaté, Moussa Sissokho, Lansine Kouyaté, Mamani Keita ou de la scène jazz comme Minino Garay, Ira Coleman et Edsel Gomez. L'autel des artistes de Panam a eu le plaisir de rencontrer ce joueur de kora émérite le 8 septembre au studio La Fugitive, dans le 20ème arrondissement de Paris.

Cet après-midi  là Chérif Soumano, habillé à la mode traditionnelle, nous accueille en beauté  dans le studio au son cristallin de la kora. Son extraordinaire dexterité et son aisance à la kora contrastent avec sa personnalité plus timide, presque mutique. La légende dit que Toumani Diabaté surnommait Chérif Soumano « super » tellement son « petit » avait un jeu fluide à la kora. Cette anecdote en dit long sur le niveau d'un musicien surdoué dont le CV de collaborations musicales est long comme le bras. Rien n'est dû au hasard pour Mamadou Chérif Soumano. Il naît le 20 mai 1981 au Mali dans une famille de griots. « Le griot c'est la communication, le partage, l'entente, la paix. La parole d'un griot est toujours positive. » résume ce petit-fils d'un joueur de dum dum, ce fût de bois sur lequel on frappe avec un bâton de bois d'un côté et sur une cloche de l'autre avec une tige métallique. « C'est toujours un plus d'avoir un musicien percussionniste dans sa famille. Mais ça n'a pas eu une influence directe dans le fait que je joue de la kora. » Pour comprendre l'engouement du jeune Chérif pour cet instrument à cordes il faut citer deux grands noms Ballaké Sissoko et Toumani Diabaté. « Je les ai connus tout naturellement. » explique Chérif. « J'étais tout petit et je les entendais déjà jouer de la kora. Leurs deux maisons étaient collées à N’Tomikorobougou, un quartier de Bamako. Nous les enfants, on passait la journée avec eux du matin au soir. Je les observais. Le fait d'avoir ces icônes de la tradition à portée de main c'est un grand plus. Mais il n'y a pas qu'eux qui m'ont donné envie de m'intéresser à la kora.  Il faut avoir envie de l'instrument aussi. J'ai très tôt flashé sur la kora dont le son me parlait. J'ai surtout beaucoup appris auprès d'un grand guitariste burkinabé vivant au Mali qui était surnommé « Jimi Blanc ». En dehors du jeu traditionnel à la kora, feu Jimi Blanc, qui lit la musique donne une ouverture à Chérif sur le monde du jazz.

https://www.youtube.com/watch?v=2VwYMwSstDc

Accordeur de Toumani

Cette ouverture se concrétisera en 2007 par une participation inattendue, presque accidentelle de Chérif à un album de la mythique chanteuse de jazz Dee Dee Bridgewater le bien nommé Red earth, en référence à la terre rouge du Mali. Sur Red earth on retrouve le « who's who » des musiciens maliens Cheick Tidiane Seck, Oumou Sangaré, Moriba Koita, Bassékou Kouyaté, Mamadou Diabaté... « Je suis venu sur le projet grâce à Toumani Diabaté qui a participé à Red earth. Chaque fois qu'il venait en studio il faisait appel à moi pour accorder sa kora. J'ai de bonnes oreilles. Il y a des accordeurs dont c'est le métier mais on faisait plus confiance à nos propres oreilles. Je suis venu donc régler la kora de Toumani pendant les sessions d'enregistrement. Toumani a gravé un thème. Mais le lendemain il partait en voyage. » Pour la suite de l'enregistrement de l'album, la production fait donc appel à « l'accordeur de Toumani » pour le remplacer au pied levé dans ce studio qui n'est autre que Bogolan, l'espace créé en 2002 par Ali Farka Touré et Yves Wernert. « Il y a d'autres studios à Bamako qui ont une bonne qualité de son mais celui-ci est devenu un peu le repaire pour tous les grands musiciens occidentaux ou étrangers qui viennent au Mali. » évoque Chérif Soumano. « Cet album de Dee Dee est basé sur les chansons traditionnelles d'Afrique de l'Ouest mais comme elle vient du jazz, musique qui vient d'Afrique, il y a forcément une fusion avec le jazz. »

Après cette belle expérience Chérif sera à l'affiche la même année d'un autre album devenu un classique L'Africain de Tiken Jah Fakoly, artiste qui a déménagé à Bamako dès 2003 en raison des  tensions politiques en Côte d'Ivoire. Sur L'Africain figurent le reggaeman Beta Simon, les rappeurs Soprano et Akon. Le titre le plus connu est Africain à Paris. « À Bamako, j'avais la réputation d'être ouvert sur toutes sortes de musiques. Le reggae ce n'est pas le style qu'on joue devant chez Ballaké ou Toumani. Tiken Jah m'a fait confiance. » Là encore Chérif est un peu la « doublure » d'un Toumani débordé qui joue sur quelques titres pendant que Chérif participe au reste de l'enregistrement du disque. « C'était différent de la routine de la musique ouest-africaine que je jouais, le répertoire pour les mariages, les sumu pendant lesquels les griots chantent des louanges. La musique reggae c'est aussi une belle ouverture pour ma kora. »

L'aventure World kora trio

Trois ans plus tard, Chérif qui posera ses valises en France, se produit à Rochefort-sur-mer à l'occasion du festival Rochefort en accords qui met à l'honneur des musiciens des cinq continents. Chérif joue avec Petit Adama Diarra au balafon et le remarquable chanteur haïtien James Germain, qui vivait au Mali. C'est alors que le violoncelliste américain Eric Longsworth est épaté par le jeu de Chérif: « Il a aimé ce que je faisais à la kora, on a fait plusieurs morceaux ensemble. »  De cette alchimie est né le désormais célèbre World kora trio avec le percussionniste Jean-Luc Di Fraya. Deux disques sur le label Passe minuit immortalisent cette complicité musicale Korazon en 2012, un jeu de mots avec corazon, le coeur en espagnol et le mot kora « la kora ça part de l'amour » et Un poisson dans le désert en 2015. « C'est toujours un plus pour un musicien de rencontrer d'autres cultures. Il n'y a pas que la musique, pour moi vous  rencontrer en tant que journaliste c'est aussi une expérience.» Autre expérience marquante, la tournée internationale de deux ans avec  Roberto Fonseca.

Auréolé du succès de son album Yo, devant le public comble du Parc floral de Paris le 7 juillet 2013 le pianiste cubain invite sur scène un certain Chérif Soumano. Ce dernier est comme un poisson dans l'eau au milieu des musiciens cubains. Fonseca rééditera plus tard cette énergie naturelle Mali-Cuba avec Fatoumata Diawara sur un album au titre révélateur At home (à la maison) « Pour moi la musique cubaine c'est l'Afrique. Quand Robert joue, je sens l'Afrique dedans. » insiste Chérif. « On revient toujours à la case départ, la source de tout c'est l'Afrique. »

https://www.facebook.com/worldtrio.kora/

https://www.youtube.com/watch?v=iXH-HGaiK1o

https://www.facebook.com/korajazz/

Musique sans frontières

Le feeling a été le même avec l'homme au chapeau, le bassiste Marcus Miller, états-unien originaire de Trinidad et Tobago, porte-parole du projet de l'UNESCO « La route de l'esclave ». En 2015, Marcus sort l'album Afrodeezia qui rend hommage à l'Afrique et aux diasporas noires. Le 5 avril 2016 à l'Olympia il réunit plusieurs musiciens africains sur scène dont le guitariste Hervé Samb, le bassiste Alune Wade, le percussioniste Adama Bilorou ou encore... Chérif Soumano « Je dis merci au bon dieu d'avoir joué avec tous ces grands musiciens. C'est un parcours énorme. Ça a commencé parce que je jouais avec Roberto Fonseca dans une ville. Après, j'ai regardé le concert de Marcus Miller qui partageait la même affiche. Au moment où j'allais partir à l'hôtel Marcus m'a invité à les rejoindre à la kora sur le dernier morceau.  Marcus a pris mon contact et un ou deux ans après j'ai reçu un email m'invitant à participer à l'album. Ensuite il y a eu une tournée.» Ancien chef de l'orchestre national du Sénégal  le pianiste Abdoulaye Diabaté le repère pour son Kora jazz trio sur l'album Kora IV en 2018. Chérif succède à la kora au guinéen Djéli Moussa Diawara, au regretté Soriba Kouyaté décédé en 2010,  et à Yakhouba Sissokho. Le projet avec Adama Diarra aux percussions en remplacement de Moussa Sissokho est toujours en cours et le trio se produira le 14 octobre à l'Entrepôt au Haillan, près de Bordeaux.

En parallèle, Chérif a un duo avec des compositions originales mené à quatre mains avec le guitariste et violoncelliste français Sébastien Giniaux, qu'il a rencontré à Bamako il y a vingt et un ans. Le fruit de leur travail s'appelle African variations. Sur le premier disque La ronde des oiseaux, ils ont convié la chanteuse espagnole Paloma Pradal pour une touche flamenco et sur le second la flûtiste d'origine syrienne Naïssam Jalal. Les deux musiciens peuvent aussi reprendre allègrement du Léo Ferré ou du Phil Collins. « La musique n'a pas de frontières. Quand on pense à la kora on pense seulement à la tradition ouest-africaine. Mais cet instrument a beaucoup d'ouvertures. Ça dépend du joueur de kora et de son état d'esprit. »

https://africanvariations.com/

https://www.youtube.com/watch?v=TobjOeeu-eQ

Récemment, dans son home studio à Draveil dans l'Essonne Chérif Soumano a fait un autre duo Allah ko avec le guitariste sénégalais Cheick Niang. « C'est un petit frère, je l'ai vu grandir. On a profité du passage à Paris de Wally Ballago Seck qu'il accompagne pour tourner un clip à la maison. » Après avoir joué avec tant de monde il est temps maintenant pour Chérif Soumano de voler de ses propres ailes. Le musicien a son propre quartet et un disque de kora devrait voir le jour. Et ce n'est pas tout! Chérif Soumano a un secret, il chante d'une bien belle voix mais refuse de la dévoiler publiquement:« Je ne suis pas chanteur, je vais sauter sur ça. » élude t-il. Bon prince il nous fait néanmoins écouter en studio un titre vocal inédit de son cru. Enfin, last but not least, Chérif Soumano jouera avec Estelle Jacques le 12 novembre au Café de la Danse pour le lancement du label Isaac et Jade records. Nous y reviendrons.

Question thé ou café

Si vous n'étiez pas musicien qu'auriez-vous fait?

Je serais peut-être devenu acteur.

Julien Le Gros

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