Article 12

Zao, l'éternel combattant

C'était il y a plus de quarante ans. Casimir Zoba alias Zao marquait durablement les esprits avec son titre Ancien combattant . Malgré les vicissitudes de la vie le chanteur congolais, qui a travaillé avec Roga Roga, Mbilia Bel ou Biso na biso, est toujours sur le pont. Il a accordé un entretien à l'Autel des artistes de Panam depuis son quartier général de Bacongo, à Brazzaville. Pendant l'interview on entend les cris des enfants, ce qui ne doit pas être pour déplaire à cet ancien instituteur. Ambiance.

Le 13 juillet 2007, Claudy Siar animait une grande soirée sur la place de la Bastille organisée par Radio France International (RFI), organisée avec Alain Pilot, présentateur de l'émission la Bande passante, Laurence Aloir et le regretté Amobé Mevegue. Sur la grande scène ont défilé des légendes des musiques d'Afrique dont certains nous ont quittés depuis, Johnny Clegg, Mory Kanté, Jacob Desvarieux, mais aussi, pour les vivants, Ismaël Lo (voir l'interview de Lamine Ba sur notre site) Amadou et Mariam, Alpha Blondy, Lokua Kanza ou encore Zao. Ce dernier coiffé de son casque militaire a entonné avec truculence au son du clairon Ancien combattant à la grande joie de ses fans.

Le Zagallo de la musique

Mais au fait pourquoi ce nom d'artiste Zao? « Au collège, je jouais au football, nous explique Casimir Zoba avec son timbre inimitable, ponctué de petits gloussements de rire contagieux. « On me surnommait Zagallo en référence au grand footballeur brésilien Mario Zagallo. Celui-ci a fait partie de l'équipe qui a remporté la coupe du monde en 1958 et en 1962. Donc Zagallo s'est transformé en Zao. Les amis ont dit, « c'est trop long ça, il faut prendre Zao! » À partir de là Zao, le troubadour était né. Casimir Zoba, son alter ego a lui fait son apparition le 24 mars 1953 à Goma Tsé-Tsé dans la région du Pool, au sud de l'Afrique équatoriale française, qui deviendra la République du Congo le 15 août 1960. Déjà boute-en-train Casimir n'est pas très assidu à l'école et il sera envoyé en pension pour cause de « scolarité en perdition ». Son père lui donnera néanmoins le goût de la sanza, ce petit instrument métallophone au son proche du piano. En 1968, Casimir n'a que quinze ans et se forme avec des ballets traditionnels dans son village natal. « On dansait avec des pagnes en raphia multicolores avec les tam tams. » Parallèlement, le jeune homme rode sa voix puissante à travers les chorales religieuses, en particulier pour l'Ėglise des trois martyrs, l'une des très nombreuses églises dans ce pays qui compte plus de 30 millions de fidèles catholiques. Les années 1960-1970 sont aussi une formidable période d'essor des orchestres de rumba congolaise à Kinshasa mais aussi de l'autre côté du fleuve Congo à Brazzaville. « Il y avait toute une pléïade d'orchestres les Bantous de la capitale, les Mando Negro Kwala Kwa, les Negro band, les Sinza Kotoko, les Super Boboto... Ma génération a été formée en contemplant ces orchestres. On escaladait les murs pour aller les regarder jouer en douce. Ça nous a donné le goût de devenir musiciens à notre tour. »

https://www.youtube.com/watch?v=CcufNrhF2PM


https://www.mbokamosika.com/article-il-etait-une-fois-un-grand-orchestre-sinza-kotoko-105943188.html

Zao chante lui-même dans des petits ensembles les Gloria, les Unis ou les Adhérents, un groupe vocal de son village. Mais la chance viendra en 1973 quand il intègre à vingt ans comme percussionniste l'orchestre ballet les Anges créé le 25 décembre 1965: « Vous savez, c'est tout un enchaînement. J'étais un fourre-tout, les orchestres amateurs, les ballets, les groupes vocaux, l'apprentissage qui convient pour devenir un grand musicien, analyse Zao rétrospectivement. «Les Anges c'est d'abord un groupe vocal amateur qui s'est professionnalisé par la suite. » Cette expérience, entre tradition et modernité, apportera à Zao l'expérience de la scène. « L'orchestre ballet les Anges, résume la pochette du disque Congo vision (sorti en 1984 après le départ de Zao), veut remettre à sa place initiale le folklore congolais qui inspire désormais la jeune génération des artistes musiciens de ce pays. Congo vision c'est: la Lékoumou, les Plateaux, la Sangha, la Cuvette, la Likouala, le Kouilou, la Bouenza, le Pool et le Niari chantés par les Anges de Brazzaville. »

Les Anges permettront aussi à Zao de voyager car l'orchestre sert de vitrine au régime socialiste de Marien Ngouabi -leader du Parti congolais du travail (PCT) qui sera assassiné le 18 mars 1977-dans les pays satellites du bloc soviétique. Les Anges participent ainsi au festival de la chanson politique en Bulgarie en 1977 et un an plus tard au festival mondial de la jeunesse à Cuba. Parmi les autres groupes présents lors cette dernière initiative citons le Super Mama Djombo de Guinée Bissau (voir notre article sur Malan Mané) La même année, en parallèle de sa carrière avec les Anges et malgré ses propres déboires scolaires passés, Zao intègre l'École normale des instituteurs. « Après avoir fréquenté le lycée Lumumba de Brazzaville j'ai décroché le concours de l'école et j'ai pu enseigner. » Cette voie sera déterminante dans la fibre créatrice du futur chanteur Zao: « Cela m'a poussé à beaucoup lire, à m'instruire davantage. Le savoir est une arme qui m'a beaucoup aidée dans mon écriture. Les fables de la Fontaine, les poèmes de Victor Hugo m'ont inspiré. J'avais envie de ressembler un peu à ces poètes, à ces grands hommes.  » L'aîné de Zao le poète gabonais Pierre Claver Akendengue, qu'il ira voir lors de ses concerts à Libreville, fera aussi partie de cette matrice artistique.

En 1980, avec les Anges, Zao sera à l'affiche du festival Mondovision à Florence. Après le tremplin des Anges Zao décide de son propre aveu de « faire cavalier seul » La chanson Sorcier ensorcelé qui lui permet de remporter son premier trophéé le prix de l'Agence de coopération culturelle et technique (ACCT)-celle-ci sera aborbée dans l'Organisation internationale de la francophonie-n'est paradoxalement pas celle que l'histoire a retenu. Le refrain dit: « Sorcier ensorcelé, douze manières trente-six malins, tel est pris qui croyait prendre. Et pourtant il avait pu manger son père. Il avait pu manger son frère. Il avait pu manger sa soeur. Il rentrait dans les verres de bière. Personne ne lui fait la guerre. » Sorcier ensorcelé pose néanmoins les bases du style Zao, un récit qui mélange les langues, le lari, avec un français « congolisé ». Les paroles laissent libre court aux interprétations, dans la grande tradition des conteurs et des fabulistes. « Mes textes c'est du quotidien, du vécu. C'est la société congolaise que je décris mais aussi les autres sociétés africaines, on a tous les mêmes problèmes le mauvais accès à l'eau, à l'électricité, les hôpitaux qui dysfonctionnent, le manque de médicaments. Ces réalités nous amènent tout droit dans un corbillard!. » Le morceau Corbillard de Zao gravé sur son album Soulard sera d'ailleurs tristement prémonitoire puisque celui-ci perdra un fils de quatre ans. L'enfant meurt de déshydratation pendant la guerre civile de 1997. Durant neuf mois, Zao, traqué par des miliciens les Cobras de Denis Sassou Nguesso car considéré à tort comme faisant partie du camp adverse, est obligé de se réfugier dans la forêt du Pool. Il sera même donné pour mort.

Monsieur cadavéré

Pour la carrière de Zao le carton plein viendra en 1982 avec Ancien combattant, chanson lauréate du festival des musiques d'Afrique centrale (FEMAC). « Le directeur de la société d'État Musiclub m'a alors repéré et m'a proposé de l'enregistrer au studio de l'Industrie africaine du disque (IAD). » Des albums du « prince » Youlou Mabiala et des Kinois Zaïko Langa Langa y seront même enregistrés selon un article publié par François Bensignor dans la revue Hommes et migrations de mai-juin 2006. La méthode de travail de Zao est toujours la même: « Je suis le premier arrangeur de mes chansons, avec ma guitare et mes percussions, ensuite viennent les amis, je suis entouré de bons musiciens qui mettent la main à la pâte pour donner une idée, une inspiration, un accord, participer à l'arrangement. » Sur ce classique de la musique africaine dans lequel un Zao filiforme apparaît sur la pochette avec sa guitare on retrouve Jeff Louna à la guitare solo, Barnabé Matsiona à la flûte ou Bruno Houla au saxophone. Mais la mauvaise gestion du studio IAD, équipé d'un 24 pistes moderne, est telle que ce premier album de Zao ne sortira qu'en 1984, soit deux ans après sa réalisation! Qu'à cela ne tienne, Ancien combattant obtiendra un succès phénoménal dans toute l'Afrique francophone mais aussi en Chine, en URSS... « Cela a été une grande surprise pour moi et je suis allé de surprises en surprises jusqu'à maintenant. » Le morceau à l'humour grinçant et féroce lui vaudra même le surnom de « Monsieur cadavéré »: « Tes chéries cadavéré, ton premier bureau cadavéré, ton deuxième bureau cadavéré, la bière cadavéré, le whisky cadavéré le vin rouge cadavéré le vin de palme cadavéré, les soulards cadavéré, Musiclub cadavéré, tout le monde cadavéré, moi-même cadavéré. »

https://www.youtube.com/watch?v=JXCJfTkUQJ0

Sur l'album suivant Moustique sorti en 1988 Zao dénonce l'Apartheid en Afrique du sud alors toujours en vigueur. Il s'insurge dans le titre phare contre un moustique « qui pique monsieur le président, oh tu es un putschiste. » D'aucuns veulent y voir une dénonciation de la corruption politique qui sévit notamment au Congo. « On peut interprèter mes paroles au premier, au deuxième voire au troisième degré. Pourquoi pas? Je ne suis pas forcément conscient de la portée de mes paroles quand j'écris. Ce sont les auditeurs qui doivent faire leurs commentaires.» ricane Zao.

Sur Patron issu de son troisième disque, avec une belle photographie signée par Pierre-René Worms, Zao évoque les relations conflictuelles entre salariés et employeurs sur fond de lutte syndicale.

https://www.youtube.com/watch?v=_gaQwMi31qo

Entretemps, Zao aura une expérience cinématographique majeure avec Camp de Thiaroye d'Ousmane Sembene, qui évoque le massacre de Thiaroye sur des tirailleurs perpétré par l'armée française le1er décembre 1944. Dans ce film, censuré pendant dix ans en France, Zao partage l'affiche avec Sidiki Bakaba, le chanteur Ismaël Lo ou encore Marthe Mercadier. « Je suis parti comme un aventurier, je ne connaissais rien au cinéma. J'ai beaucoup appris d'Ousmane Sembene, ce grand réalisateur qui m'a fait découvrir ce métier. Je ne savais pas non plus qu'il y avait cette discrimination au niveau salarial entre les soldats blancs et les soldats noirs. »

Transmettre aux nouvelles générations

Animé comme Ousmane Sembene de la volonté de partager et de transmettre Zao créera après la guerre civile, pendant laquelle il a tout perdu, son propre espace en 2000 à Bacongo, quartier de la société des ambianceurs et personnes élégantes (SAPE) mais aussi de la contre-culture. «Mon espace est devenu un lieu un peu mythique où tous les jeunes se réunissent pour répéter car des instruments, guitare, batterie, amplificateurs sont mis à disposition. Si un jeune sait jouer la guitare c'est difficile et coûteux de se procurer une guitare électrique. L'espace Zao est un passage obligé pour tous les musiciens qui se produisent à l'Institut français ou sur d'autres scènes. » Ce lieu dédié aux nouvelles générations de musiciens a été notamment filmé par Jean-Jacques Lion pour son documentaire de 2007 M'bongui bantu, la case commune.

https://www.dailymotion.com/video/x1717dj

C'est à la même période en 2006 que Zao sort L'aiguille sur le label Lusafrica, pour raccommoder les déchirures de son pays meurtri.

https://www.youtube.com/watch?v=AUYbIi5ikXc

En 2014, trente ans après son Ancien combattant Zao fait son grand retour avec Nouveau combattant, sorti sur le label Rue Stendhal. C'est une version actualisée sur les conflits contemporains, comme l'Afghanistan, l'Irak ou la Libye, dans laquelle Zao évoque le nucléaire « qui va faire taire toute la Terre », les armes chimiques et les missiles qui vont « missiler toutes les miss »: « Je voulais pousser mes idées toujours dans le sens d'alerter le monde sur les méfaits de la guerre.  On n'aura pas le blé, on n'aura rien.» Le chanteur se produira à cette occasion au festival Africolor en Seine-Saint-Denis.

https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=pGvB_THR88o

En 2021, Zao revient timidement avec Kwiti Kwiti sur lequel il reprend son classique Pierre de Paris et enregistre un titre sur la pandémie de Covid-19 avec Laila and the groove Stop Covid-19.

https://www.youtube.com/watch?v=AUYbIi5ikXc

https://www.youtube.com/watch?v=-IXltchbhFI

Mais une nouvelle épreuve a failli terrasser le poète. En juillet 2022, il a effleuré un accident vasculaire cérébral (AVC) le laissant handicapé du bras et de la jambe droite. « Cela m'a donné envie d'écrire sur l'AVC parce qu'il y a des gens qui souffrent de cette maladie plus que moi. » Derrière le masque burlesque de Zao se cache une école d'humilité et de courage. Longue vie à Papa Zao!

Julien Le Gros

La page de Zao

https://www.facebook.com/zaocasimirofficiel/

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