Article 20

Des Murs à pêches à Zanzibar

Le 28 mars 2024, l'Autel des artistes de Paname a rendu visite à Johnny Montreuil dans son QG, une caravane du quartier montreuillois des Murs à pêches. Zanzibar  est son troisième album, sorti chez Les facéties de Lulusam-L'Autre distribution. Rencontre entre bitume et nature avec un poète banlieusard attachant, adoubé par Didier Wampas et Sanseverino. Johnny sera en concert à la Cigale le 29 octobre 2024.

Comment as-tu posé tes bagages aux Murs à pêches?

De la même manière que j'ai fait de la musique, c'est-à-dire sans demander, sans être invité! Colette travaillait avec des Roms à Montreuil. Elle m'a présenté à Philippe qui s'occupait du cirque Aliboro, ce vieux cirque abandonné coincé entre deux murs à pêches. J'y ai vécu un certain temps. De fil en aiguille, à l'invitation de la mairie qui est bienveillante, j'ai atterri au Jardin Pouplier. Ça reste encore une zone libre, de « non-droit », ou encore de droit qu'on prend sans marcher sur les pieds de personne. Ça correspondait vraiment à comment j'avais envie d'être, de vivre ma musique, ma vie comme j'en ai envie avec les peuples de la Terre de cette proche banlieue sans se faire suer avec ces histoires de Grand Paris, de prix du logement qui explose, de gentrification.

https://senshumus.wordpress.com/le-jardin-pouplier/

Ma caravane est branchée sur une maison derrière. C'est un peu la vie de Tom Sawyer dont je rêvais adolescent quand je voulais vivre dans une cabane. C'est un site protégé donc on y est tranquille.

Pourquoi ce titre de ton troisième album Zanzibar?

C'est un souvenir d'enfance que j'ai avec mon frère. On a grandi dans une cité HLM la Plaine à Clamart. Zanzibar, c'est presque un titre de film. Ça évoque loin, la mer, l'Océan Indien. Le mot « Zanzibar » claque. Si je disais « Bab El Oued » ça n'aurait pas le même pouvoir d'évocation. Zanzibar nous invite à prendre un bateau. Sur le morceau Zanzibar, dont le clip est sorti le 15 avril « Zanzibar » c'est ce qu'il y a dans nos têtes, dans notre imaginaire. Quelqu'un qui est enfermé entre quatre murs a besoin d'images fortes pour faire passer la pilule, sortir de son quotidien le temps de trouver les moyens de partir...

Fils de deux ouvriers d'Issy-les-Moulineaux, tu as composé un titre sur un album précédent Devant l'usine.  Ricky banlieue, les BD de Franck Margerin ont aussi porté ton imaginaire.

Ça correspondait sur ce que je trouvais de drôle et de chouette en banlieue. Dans mon quartier à Clamart il n'y avait pas beaucoup d'humour. Il y avait ceux qui étaient dans le « business » de drogue. Il fallait faire du pèze. Les gens devaient gagner leur vie. Le quotidien n'était pas rigolo pour certaines personnes. Enfant, je vivais dehors avec mes copains on ne se posait pas de questions sur nos origines. On rigolais, on faisait des conneries. Et puis en grandissant je me suis rendu compte que la vie devenait sérieuse et dure. Dans l'univers de Margerin, sur l'album Place de ma mob (ou Laisse béton, 1977) de Renaud, il y a beaucoup d'humour dans les situations. Malgré la galère il y avait quelque chose de très léger. Je trouvais ça cool. Je me suis dit que je n'étais pas né au bon moment en banlieue. J'aurai aimé connaître cette période là. Après, ce qui m'a fait voyager c'est surtout la littérature états-unienne de Kerouac, John Fante, Charles Bukowski... Ces histoires de mecs qui ont un quotidien assez misérable et qui arrivent à se l'embellir, à se projeter à travers l'écriture. J'en ai retenu que j'étais maître de mon destin. C'est moi qui décide et personne à ma place.

https://www.youtube.com/watch?v=SnFJ-gNczZI

Sur l'album Visions de Manu sonne comme un hommage au Renaud des années 1980.

C'est ce que j'écoutais adolescent dans ma chambre, à l'époque des premières histoires de coeur. J'écoutais aussi beaucoup de musique populaire à la radio. C'est un texte qui m'est venu un matin après une rêverie. Ça aurait pu être sur le précédent. Mais ce titre s'est bien positionné dans la construction de cet album, est arrivé à maturité. On l'a composé avec le guitariste Ronan Drougard. L'album Place de ma mob a beaucoup d'humour et est très mélancolique en même temps, avec des personnages très forts. Ça a influencé mon écriture. À titre personnel je trouve que c'est le seul album de Renaud où les arrangements signés par un contrebassiste Patrice Caratini sont vraiment au niveau de sa plume.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Manu_(chanson)

Au fait, ton vrai nom c’est Benoît Dantec. D’où vient l’alias Johnny Montreuil ?

Au tout départ l'association des deux mots c'est une grosse référence à Johnny Cash pour le « Johnny » et le « Montreuil » pour que ce que j'ai adapté de lui dans mon univers localement dans cette ville de Seine-Saint-Denis. J'y ai croisé plein de personnalités qui, pour moi, renvoyaient à ses chansons. Il avait un univers original, très proche de ce que j'étais à ce moment-là. J’aime les chansons de Johnny Cash des années 1950 mais je ne me revendique pas spécialement du rockabilly. Lors de mon premier concert avec cet alias « Johnny Montreuil » des anciens sont venus de voir et m'ont dit: « Tu l'as connu le vrai « Johnny de Montreuil? » J'ignorais son existence. Ce personnage a été photographié par Yan Morvan dans un bouquin qui s'appelle « Gangs story », dans lequel on retrouve plus de 200 malfrats de banlieue (Ducky boys, Requins vicieux...) jusqu'aux années 1990-2000. Le livre s'ouvre par la période des Blousons noirs dans les années 1970 avec ce Johnny de Montreuil qui a introduit le photographe dans le milieu des Hells Angels. C'était un personnage pas très recommandable, le prototype du loubard de banlieue. Ça me faisait rire d'être une sorte de « réincarnation cool » parce que je fais de la musique et que je ne me prends pas pour un bandit. Mais j'aime bien être dans les endroits un peu chauds, en bordure, en marge qui restent à Montreuil. Je me suis construit en tant qu'artiste avec cette énergie. Je ne me produis pas que dans ces contextes-là mais mon inspiration vient beaucoup de ce qu'on appelait avant la « zone ».

Comment tout a démarré pour Johnny Montreuil en 2012 ?

À la base, j'étais seul à la contrebasse. Il y a eu Emilio Castiello au violon tsigane quelques temps qui était aussi sur un autre projet musical tourné vers les Balkans Aälma Diili. https://www.youtube.com/watch?v=cA-gAXR_35A Kik Liard est rapidement arrivé dans l’histoire. J’ai toujours aimé le son de l’harmonica. Ça a marché tout de suite avec Kik. C’est quelqu’un qui chante. Il a un passif, il dessine… C’est un personnage attachant. On le croirait sorti d’une BD de Margerin. Il traîne beaucoup de choses avec lui, positives ou négatives. C’est une personnalité très forte plus qu’un simple joueur d’harmonica. Il a ce côté vieux blues, punk dans son énergie. Chacun a amené ses influences, Ronan Drougard à la guitare vient de la surf music, Steven Goron à la batterie, qui vient plus du groove, du funk, Marceau Portron, nouveau guitariste est issu du rock psychédélique. Pour moi le rock, plus qu'un style de musique c'est une manière de vivre la musique.

https://www.youtube.com/watch?v=Dsyg6oZYPOI

Le producteur de l'album c'est Jean Lamoot. Il a travaillé avec Salif Keita, Noir Désir... Qu'a t-il amené dans ce projet?

Il a amené un son très propre dont on est très fier. Il a d'abord écouté nos maquettes qui étaient volontairement très disparates. Il s'est dit que sa mission c'était d'obtenir un son qui corresponde à ce qu'il a entendu sur les maquettes, assez sauvage, pur et authentique. On l'a vu à l'oeuvre plonger les mains dans notre tambouille. Il ne nous a pas détourné. Il s'est servi de ce qu'on faisait pour le sublimer. On est très contents de son travail et de la manière dont l'album a été reçu. Souvent quand on a la tête dedans on n'a pas le recul pour savoir si ce qu'on a fait est bien ou pas. Les premiers retours très positifs nous ont conforté dans l'idée qu'on a fait un bon boulot avec Jean.Pour la suite, on ne fera plus de pré-production avec lui. On travaillera ensemble de A à Z pour lui laisser plus de temps. Ce sera une nouvelle expérience.

Comment sont venus les featuring Rosemary Standley de Moriarty, Fixi et Camille Bazbaz?

Ça s'est fait au studio de Jean, aux studios Ferber à Paris. Avec les membres du groupe on a eu la volonté de construire le disque ensemble, avec un rendu qui nous plaise. On n'avait pas forcément envie d'inviter des personnes. Pour Fixi j'ai un autre projet en parallèle et je suis très fan de son toucher d'accordéon très world music, aux antipodes du musette. Bazbaz a son studio à côté de celui de Jean. Ils travaillent ensemble sur des projets de Camille. Jean lui a proposé de jouer des claviers sur notre album quand ça s'y prêtait. C'était plus des arrangements que le fait d'inviter d'avoir des invités. Sauf pour « Vers les îles », le duo avec Rosemary qui était un choix délibéré de cette voix et de cette personnalité que Jean connaissait aussi. https://www.youtube.com/watch?v=dDhO1a5CimE Ça nous a permis de travailler artistiquement dans des conditions correctes d'enregistrement, avec des belles relations simples et naturelles. Il y a aussi Guimba Kouyaté qui joue du tama sur deux titres. On n'a jamais forcé quoi que ce soit et on récupère ce signal dans notre collaboration avec Jean.

Puisqu'on parle de rencontre, qu'a représenté pour toi celle avec Rachid Taha sur ton premier disque Narvalo city rockers (2015)

Il y avait quelque chose de l'ordre de la transmission dans nos rapports, de grand frère à petit frère. Je l'ai connu sur les dernières années de sa vie. C'était très sincère à chaque fois. Je l'ai un peu connu grâce à Thomas de la Caravane passe à l'époque où on jouait avec Aalma Dili à la Maroquinerie. En terrasse il voyait ma gueule et me chambrait: « ça va Johnny? » Il habitait aux Lilas. On se croisait au café le matin pas loin de l'école de ma fille. Je l'ai amené en studio, je lui ai fait écouter un morceau que j'ai composé sur la condition des femmes en Algérie. On s'est baladé dans Paris à écouter du Elvis, à prendre une chorba à Strasbourg-Saint-Denis. Il y a eu quelques nuits comme ça très riches en discussions. On peut raconter ce qu'on veut sur lui, sur sa maladie qui l'a affaibli à la fin de sa vie, sur son noctambulisme invétéré qui lui collait aux pompes. Il avait des moments de lucidité, de simplicité, de tendresse incroyables. J'étais content d'avoir sa voix sur un morceau. C'est une figure de grand frère. Il y avait une filiation entre nous, avec les origines algériennes de mes enfants, nos origines sociales, il a été avec ses parents aux Minguettes, j'étais à la cité de la plaine à Clamart...

https://www.youtube.com/watch?v=q_PMsubkYKA

Y aura t-il d'autres projets avec Aälma Dili?

On a commencé en 2012 en même temps que Johnny Montreuil. Avec la sortie de mon deuxième album Narvalo forever  en 2019 j'ai dû quitter le groupe et me faire remplacer sur Aälma Dili. Mais on a quand même réussi à réunir les deux groupes sur un projet qui s'appelle Narvalo Dili rockerz. Benny, guitariste a quitté Aälma Dili et on l'a fêté lors d'un concert au Cirque électrique le 13 avril. Les pages se tournent mais le livre reste ouvert! Il y a le concert à la Marbrerie à Montreuil avec Narvalo Dili Rockerz le 10 mai 2024. On est quand même parvenus à mettre ensemble toutes ces personnes qui se tournaient autour sur scène et à monter un show avec ça. Je vais me replonger avec grand plaisir dans ce répertoire tsigane de Serbie, de Roumanie, de rebetiko.. Aälma Dili m'a permis de m'accomplir avec la contrebasse, d'y ramener un côté punkoïde et ça a aussi nourri Johnny Montreuil. Tous ensemble, on a réussi à vivre notre vie alors qu'encore une fois on n'y était pas invités!

Questions bonus, l'instant thé ou café:

As-tu des livres et des films de chevet?

Enfant, je faisais semblant d'être malade pour ne pas aller à l'école et je bouquinais dans mon lit des livres d'ATD Quart-monde. Ce regard d'enfants sur d'autres enfants m'a fait comprendre rapidement que quand tu as été aimé par tes parents, que tu as eu un cadre, une éducation, il faut le partager avec d'autres qui n'ont pas reçu tout ça. Bien plus tard j'ai été projeté dans un autre univers avec Sur la route de Jack Kerouac. Il y a eu un avant et un après pour moi quand j'ai découvert Oro de Cisia Zykë. Ce que je retiens de l'histoire de cet aventurier au Costa Rica c'est que c'est lui qui décide, qui met ses propres règles dans sa vie. Au cinéma, j'ai été marqué par Le bon la brute et le truand de Sergio Leone, et encore plus fortement par un autre de ses films Il était une fois la révolution. Ces deux personnages joués par Rod Steiger et James Coburn ont besoin l'un de l'autre. Ils ne se battent pas pour la même cause mais le facteur humain est plus fort. Au départ ils ne peuvent pas se blairer et se font des crasses et ils deviennent les meilleurs amis du monde.

https://www.youtube.com/watch?v=VgTNKHoo0zo

Si tu n'étais pas musicien qu'aurais-tu fait? Ferrailleur?

Non, c'est trop dur! Ma chanson Chiner la ferraille faisait référence à mes anciens voisins roms du cirque Aliboro. Je décrivais leur journée de labeur avec le camion. Il y avait de l'amitié exprimée sur ce morceau, même si au départ on défendait chacun notre pré-carré. On n'avait pas la même culture, donc il y avait aussi des a priori entre les Roms et moi. Cette chanson est venue d'eux. Donc, si je n'avais pas été musicien j'aurai aimé tenir un restaurant-guinguette au bord de l'eau. Je le ferai peut-être un jour..

Précédent
Précédent

Article 21

Suivant
Suivant

Article 19