Article 22

Cheikh Lo  & Lamine Ba à Dakar. copyright Lamine Ba

Cette interview est pour le média Web international :

L’autel des artistes de Paname et des arts d’influences intercontinentales.

Le du 29 Juillet 2024 de Cheikh Lo sur L'autel des artistes de Paname (Officiel) et des arts d’influences intercontinentales.

Il s’est confié à nous depuis chez lui à Dakar ( Sénégal 🇸🇳 ).

Une interview exclusive avec le légendaire Cheikh Lô, le baay fall de la musique sénégalaise. Cette interview fleuve promet d'être palpitante et riche en histoires fascinantes, alors que Cheikh Lo se prépare à célébrer ses 50 ans de carrière en 2025.

Un entretien et article réalisés par Lamine Ba.

Nos remerciements à Lamine Ba, Cheikh Lô, à Afrikconsult Culture pour l’invitation au Festival international FIGAS et Cheikh Ndiguel Lo au Pan Piper Paris - Festival International FIGAS#

Cheikh Lô au Pan Piper & #8 Festival Intercontinentale Figas

Dans cet entretien exclusif, Lamine Ba s'entretient avec Cheikh Lo, le Baay Fall de la musique sénégalaise et figure emblématique de la musique africaine. Plongez dans l'univers de ce talentueux artiste sénégalais qui retrace ses débuts en Haute Volta (actuel Burkina Faso), son passage par Dakar et son influence croissante sur la scène musicale internationale. À travers ses anecdotes et réflexions, découvrez comment les rencontres et expériences de Cheikh Lo ont influencé sa carrière et continuent d'inspirer son œuvre aujourd'hui.

J’aimerais vous demander quelles sont les principales influences musicales qui ont façonné votre style ?

Ces influences sont diverses ! J’ai démarré ma carrière musicale au Burkina Faso qui s’appelait la Haute Volta, c'était avant le président feu Thomas Sankara…

Nous avions un groupe qui s'appelait le Volta Jazz qui était composé de musiciens originaires de différents pays africains. Il y avait des chanteurs congolais, burkinabés (voltaïques à l'époque), ghanéens ou encore maliens ; on jouait du hi-life. On reprenait aussi des musiques du Bembeya Jazz, c'était de véritables légendes en Afrique en ce temps-là.

Volta Jazz, groupe de musique burkinabè originaire de la ville de Bobo-Dioulasso. L'orchestre est créé en 1964 par Idrissa Koné.

Nous jouions aussi des musiques congolaises et des sons divers de toute l’Afrique de l’Ouest.

Quand tu débutes ton parcours par une formation comme celle-là, tes influences sont évidemment nombreuses et variées. Ce n'est qu'après ce grand chapitre en Haute Volta, que je suis venu au Sénégal où j'ai poursuivi mes études jusqu'en 1978.

J'ai joué pour la première fois au pays de la Teranga avec Ouza, et ses « Ouzettes » ; à l'époque il y avait les 4 femmes dans la section des instruments à vent et moi, j'étais batteur.

Il importe de rappeler que la batterie a été mon premier instrument.

C’est donc ainsi que je me suis initié aux musiques sénégalaises et, parallèlement, tous les soirs, j'étais à l'hôtel Savana de Dakar où je jouais une sélection variée de musiques modernes des 4 coins du monde.

Si tu combines toutes les influences citées dans ce résumé de mon parcours, tu peux constater que j’ai emmagasiné beaucoup de choses importantes. J’ai pu développer une certaine polyvalence artistique qui me permet de créer ma musique avec mes propres références.

En studio, j'enregistre toujours, en premier lieu, ma guitare et ma voix puis, je fais appel aux autres musiciens pour faire leurs partitions. Cela est chose rare, puisqu’il est de coutume que les musiciens démarrent avec la basse et la batterie lorsqu’ils sont en studio, c’est la base rythmique du son ; c’est après seulement, que les instruments mélodiques accessoires comme le clavier ou la guitare viennent s’ajouter.

C’est une démarche qui intrigue bien souvent les artistes que je côtoie et ils se demandent comment je réussis à faire des propositions musicales cohérentes sans même commencer par la base rythmique. Mais tout cela traduit bien la singularité que j’ai développée au long de ce parcours spécial.

Vous avez donc commencé la musique au Burkina Faso, qui était alors la Haute Volta. Qui vous a orienté vers cet art ? Appartenez-vous à une famille musicienne ?

De mes grands-parents à moi, il n’y avait encore eu aucun musicien lorsque j’ai choisi cet art qui m’a passionné.

Dès mon plus jeune âge, mon grand-frère avait déjà un tourne-disque ce qui était un véritable luxe à l’époque. Vous pouvez l’imaginer, dans les années 1968, avoir un vinyle ou même un téléphone fixe chez soi, était un privilège.

Mon grand-frère avait des 33 et 45 tours ; il achetait tous les vinyles de la sous-région et d'autres disques en provenance d'Europe. Tous les soirs, il préparait son thé et écoutait de la musique. À ce moment-là, j’arrêtais tout ce que je faisais pour écouter les morceaux défiler sur son tourne-disque.

Petit à petit, j’ai intégré l’école des artistes et je reprenais tous les morceaux que mon frère jouait. Je n’ai jamais eu de professeur de musique ni de chant, j’ai tout appris en autodidacte.

Il y a certaines œuvres que j’ai écrit et que même des musiciens de formation académique n’arrivent pas à reproduire aisément. Je suis la preuve vivante que le travail en autodidacte peut payer…

Est-ce qu’il a été facile de vous lancer dans une carrière musicale ? La famille a-t-elle accepté facilement ce choix ?

Ma mère était opposée à ce choix, mais mon père, bien plus « démocrate » était ouvert. Pour lui, ce qui comptait, c’était que l’on fasse ce que l’on aime. Mon père était comme un ami et c’est sur lui que je me suis appuyé alors que les avis de la famille étaient partagés au sujet de mon projet de carrière artistique.

Il faut dire qu'à l'époque, les musiciens n'étaient pas très bien vus. Parce qu’ils devaient fréquenter les bars pour se faire des revenus, on les prenait pour des gens vicieux, bandits, pervers ou des coureurs de jupons.

Le paradigme du succès que les colons avaient laissé à nos parents, c’était celui des grandes études et de la bureaucratie ; passer outre ce schéma, c’était tout simplement se perdre…

Mais, très tôt, j’ai compris que j’étais destiné à ne faire que de la musique et rien d’autre. La musique, rien que la musique, c'est ma vie, c'est ma passion !

Quels ont été les moments les plus marquants de votre passage en Haute Volta ? Y-a-t-il des souvenirs forts de ce chapitre qui ne vous quittent pas ?

Évidemment ! Je me souviens encore qu’au moment où, je rejoignais mon groupe, il y avait un batteur déjà bien établi. C'était un bon musicien d'ailleurs, qui ne me laissait jouer que deux petits morceaux, quand il était épuisé.

Mais j’ai tellement révisé notre répertoire que sans même jouer régulièrement, j’avais tous les enchaînements en tête. Je savais exactement comment il fallait accompagner chaque morceau.

À chaque opportunité que l’on m’accordait de prendre les baguettes, les gens s’étonnaient de mes prestations. Ils murmuraient tous que "le jeune sénégalais, le batteur remplaçant, est tout chétif mais il roule les tambours avec puissance comme un costaud…"

À mesure que les gens m’appréciaient, une jalousie s’est installée dans le cœur du batteur titulaire.

Il ne m’accordait plus beaucoup d’occasions de jouer et pire, il est allé confectionner chez des menuisiers voltaïques, des baguettes non-conventionnelles avec du très mauvais bois. Au bout de deux morceaux, elles pouvaient se rompre en pleine scène. C’était pénible mais j’ai supporté tout cela.

Alors que l’équipe m’appréciait de plus en plus, un jour, en pleine réunion, il a courageusement pris la parole et expliqué qu’il ne supportait plus l’idée de partager la batterie avec quelqu’un d’autre et qu’il fallait définitivement que le groupe choisisse entre lui et moi.

Personne n’a vraiment cédé à ce chantage et il a compris au silence de l’assistance que personne ne voulait mon départ.

Le saxophoniste (chef d’orchestre) qui m’estimait particulièrement, lui a dit qu’il n’était pas décent de réagir comme cela. Il lui expliqua que j’avais un profil très polyvalent et utile pour le groupe puisque je battais, je jouais des timbales, des congas et je chantais aussi. Il n’était pas question de me mettre à la porte. Tout cela s’est passé un vendredi.

Le lendemain alors que nous devions animer un show, il s’est expressément absenté pour pénaliser le groupe. Nous l’avons attendu longtemps et en ce temps-là, il n’y avait pas de portable pour le joindre. À l’heure du spectacle, le chef d’orchestre m’a signifié que je devais assurer tout le répertoire.

J’ai fait ce que j’avais à faire et visiblement, notre camarade en rogne avait envoyé un "espion" pour juger de ma performance, en espérant bien sûr qu’elle soit médiocre. Seulement, au sortir du show, tout le monde était heureux, j’avais bien assuré mes partitions.

J’imagine que son "espion" lui a fait entendre raison, lui rappelant qu’il était membre fondateur du groupe et qu’il n’avait pas à jalouser un élément talentueux qui vient apporter sa pierre à l’édifice. Il réintégra le groupe et nous continuâmes à jouer tous ensemble.

En musique, il ne faut jamais être prétentieux et croire que l’on est indispensable. Il y a toujours quelqu’un dans la contrée voisine ou même dans le continent lointain, qui peut venir faire mieux.

Quelle a été la suite de cette belle histoire ? Combien de temps avez-vous joué avec le groupe en Haute Volta ?

J’ai travaillé près de 6 années avec cette formation que j’ai intégrée en 1975. C’est en 1981 que ma famille s’est définitivement installée au Sénégal.

En 1978, j’ai quitté la Haute Volta pour faire mes études à Rufisque au Sénégal, c’est en cette période d’ailleurs que j’ai rencontré Ouza. Mais durant les grandes vacances, je retrouvais toujours mon groupe. On a évolué comme cela jusqu’à ce que je quitte définitivement le groupe.

C'est à partir de 1981, que j’ai rejoint Ouza, et on accompagnait des orchestres de variété dans les hôtels de Dakar.

En 1985, je débarque en France à Paris puis, je rejoints la grande cité phocéenne, Marseille, où je me produis un peu partout avant de retourner sur Paris.

À nouveau dans la capitale française, je fréquentais un établissement dénommé Studio Campus à la place de la Bastille. J’y allais en tant que batteur et chaque jour, des groupes français et d’autres horizons venaient répéter.

Quand ils n’avaient pas de batteur ou de percussionniste, les responsables du studio leur proposaient mes services. En ce temps, il n’y avait pas encore l’euro mais le franc français.

J’étais payé à 50 francs l’heure et au bout des sessions de 4 heures en moyenne, je rentrais à la maison avec 200 francs, l’équivalent de 20 000 Francs CFA d’Afrique de l’Ouest.

J’avais une vie très rangée et je ne quittais ma maison que pour me rendre au studio. De temps en temps, j’allais au Baiser Salé, un lieu de divertissement, pour voir jouer des formations de jazz.

En cette période, j’avais ma guitare dans la chambre et profitant de mes heures creuses, j’ai écrit Doxandem , avec l’espoir de le produire dans l’Hexagone.

Mais au bout de 3 années, précisément en 1988, j’ai décidé de rentrer au Sénégal ; J'ai joué avec un groupe qui s'appelait Gal Gui. Il y avait le grand Cheikh Tidiane Tall, Oumar Sow, excellent guitariste qui jouait du piano à l’époque. Il y avait aussi Thio Mbaye, le percussionniste, Mounir Abdallah, un bon bassiste libanais, ainsi que Robert Lahoud qui tenait le lieu et le matériel ; il jouait de la guitare et de l'harmonica.

Souleymane Faye venait juste de rentrer au Sénégal et avec lui, on reprenait tous les morceaux du groupe Xalam dont il était membre. On le faisait si bien que d’aucuns pouvaient croire que c’était Xalam en live, surtout qu’on avait avec nous le grand Cheikh Tidiane Tall, qui assurait leurs arrangements.

J’avais d’ailleurs omis de le dire plus haut, mais en France, j’ai moi aussi joué pour Xalam, à Paris notamment. J’ai habité avec eux à Villemomble, Gare de l'Est. Prosper était leur batteur titulaire mais aussi leur manager, et du fait de ses nombreuses activités, il arrivait qu’il s’absente.

Un jour alors qu’il devait se déplacer, il m’a demandé de le remplacer en répétition. Koundoul qui était alors le leader de la formation n’a pas apprécié. Pour lui, la cadence et le groove de Xalam ne pouvait pas être confié à « n’importe qui ». Il m’a clairement sous-estimé.

Mais l'un des chanteurs a dit qu’on pouvait essayer et qu’il n’y avait pas grand-chose à y perdre. J’ai fait les décomptes, les breaks et tous les jeux avec une telle confiance que Kundul était impressionné. Je connaissais tout le répertoire et rien ne m’a échappé dans le jeu, pas même une virgule…

À la fin de la répétition, il s’est excusé pour son comportement, mais je lui ai signifié qu’il n’est jamais bon de sous-estimer les gens.

Après cette parenthèse, revenons au Sénégal. Avec Gal Gui, un 31 décembre nous avons été conviés dans la ville de Mboro, pour un show dans la salle du CICES.

Alors que nous étions en train de jouer ce soir-là, un homme est monté sur la piste et il dansait très énergiquement. À un moment, presqu’insolemment, il nous a demandé d’arrêter. Je me demandais quel était ce personnage pour se permettre de stopper l’orchestre avec autant d’audace. C’était le directeur des lieux !

Il nous a demandé de jouer de la salsa et tout de suite c’était la panique au sein de l’orchestre parce que nous ne jouions pas ce style de musique. Cheikh Tidiane Tall nous disait pourtant d’intégrer cette musique dans notre répertoire.

J’ai soufflé à Oumar Sow que je pouvais nous sortir de la situation. Il était étonné, comme tout le monde d’ailleurs. Ils ignoraient tous que je savais chanter. J’ai demandé au pianiste de lancer le morceau « Guantanamo » en Fa majeur. C’était un classique que tous les salseros connaissaient.

Quand j’ai commencé à chanter, les gens ont pris d’assaut la scène et c’était un moment de folie. Le directeur de la salle est venu vers moi et m’a offert une bouteille de gin que j’ai à mon tour, offerte à un des membres de l’orchestre parce que je ne bois pas d’alcool. Il a demandé de rejouer le morceau ; qui était le seul que nous avions répété ce soir-là.

Robert Laoud qui était aussi producteur, était étonné ; il m’a demandé pourquoi je ne m’étais jamais révélé en tant que chanteur. Je lui ai expliqué que le groupe m’avait sollicité en tant que batteur et que je ne voulais pas bouleverser l’ordre des choses, surtout qu’il y avait déjà 4 voix notamment Souleymane Faye, mais aussi Makhou Lebougui, Fallou Dieng à ses débuts, ainsi que Coumba Gawlo.

Robert Laoud, producteur.

Il m’a demandé si j’avais des maquettes à lui faire écouter dès notre retour à Dakar. Je lui ai expliqué que je n’avais pas assez de moyens pour enregistrer des maquettes de qualité et que j’avais juste des enregistrements très moyens, faits avec les vieux radiocassettes avec leurs boutons durs (rire), en fond, on pouvait même entendre des aboiements de chiens. Mais il voulait opiniâtrement découvrir mon travail.

C’est donc ainsi qu’a démarré votre grande aventure en tant que chanteur ?

Oui, en 1990, produit par Robert Laoud, j’ai enregistré ma toute première cassette, Dokhandem. C’était une œuvre unique pour le contexte sénégalais, avec sa proposition de styles différents sur chaque piste.

En 1995, j’ai monté un trio (guitare – percussions – saxo), avec dans le groupe, un artiste américain Thomas Vallet, qui était avec les Frères Guissé, chez qui il faisait de la flute peule.

Nous avons été sollicités par feu Mamadou Konté de l’association Tringa, pour animer des soirées sur un espace culturel tous les vendredis. Nous avons accepté le deal et un soir, Youssou N’Dour est venu ; je ne savais pas qu’il était sur les lieux. À la fin du show il s’est approché de moi pour me dire combien il appréciait notre proposition musicale.

Youssou N'Dour et moi, nous nous côtoyions déjà en ce temps-là. Après la sortie de Dokhandem, il m’arrivait d’aller au Kilimandjaro, un night-club dans le vieux quartier de Soumbedioune (Dakar) pour le voir jouer avec le Super Étoile, son orchestre, et bien de fois, il m’invitait à partager la scène avec lui.

Youssou N’Dour Cheikh Lô

Donc, après notre performance, quand il s’est approché, il m’a demandé une maquette du trio qu'il a apprécié au point de me proposer de nous produire.

On a pris rendez-vous au studio Xippi à la rue Parchappe. Le grand studio qu’il a maintenant n'existait pas encore, il était en construction.

C'est donc dans ce studio qu'on a sorti Né La Thiass (1996) et immédiatement après, beaucoup d’Européens voulaient reproduire l’album sur le plan international. 

Album Né La Thiass (1996) produit par Youssou N’Dour

J’ai discuté avec Youssou et il m’a dit que la demande était forte du côté de l’Angleterre ; j’ai donc accepté de le reproduire Outre-Manche. Je suis entré en contact avec Nick Gold du label World Circuit, connu pour avoir produit des artistes comme Ali Farka Touré, Toumani Diabaté, Oumou Sangaré, les grosses pointures du Cuba Buenos Vista Social Club.

C’est Nick qui a reproduit le disque et qui va d’ailleurs produire le nouvel album que nous préparons, avec deux labels cette fois-ci : World Circuit et DMG. 

Nick Gold Producteur de musique britannique.

Nick Gold Producteur de musique britannique

Parlez-nous un peu de votre collaboration avec Youssou N’Dour. Quel a été un des moments les plus marquants de cette aventure pour vous ? 

Le disque sur lequel on a travaillé, a été vendu en Angleterre et à travers le monde. Il était disponible dans toutes les boutiques FNAC en Europe ; en Espagne, en Italie, et même en Asie, au Japon notamment.

Il fallait faire une tournée de plus d’un mois dans toutes les grandes capitales d’Europe pour la promotion. J’ai fait le voyage avec le Super Étoile, l’orchestre de Youssou, car je n’avais pas assez de temps pour former un groupe ; j’ai répété tous les morceaux avec eux.

Il faut rappeler que Youssou a chanté deux titres de l’opus. Il était juste censé me produire, mais en studio, il m’a dit : « Cheikh, j’aime bien cette piste ; tu aimerais que j’y pose ma voix ? »

Et bis repetita pour le second morceau (rire) ! À chaque fois c’était un plaisir de le laisser s’exprimer sur mes compositions.

Je me souviens que nous étions en Allemagne à Cologne, juste avant un voyage à Londres (lieu de siège de mon label), dans le cadre de la tournée.

On était sur scène et le Super étoile avait pour les retours, un Sénégalais assisté par des anglais, et à la façade, il y avait Pape Ndour, le frère de Youssou Ndour.

Je chantais mais le volume de mon retour était très faible ; je suis allé vers un des techniciens européens sur les retours et je lui ai dit de m’augmenter le son, mais il m’a dit que c’était au Sénégalais que cette tâche revenait. Je me suis emporté et j’ai exprimé mon mécontentement sur scène. Youssou n’a vraiment pas apprécié et il a quitté la scène en plein show.

Il a convoqué une petite réunion à la pause du spectacle et le percussionniste de l’orchestre a dit « si c’est comme ça qu’il se comporte Cheikh, moi je ne joue plus avec lui ».

Mais moi, j’ai répliqué que : « si cela était à refaire, je le referais ; si ça vous insupporte, je prends mes affaires et je rentre à Dakar ».

La petite altercation a laissé Youssou sans mot. L’agent tour avait aussi remarqué ce qui s’était passé. Il m’a pris un jour en marge et m’a demandé si j’avais un groupe et je lui ai répondu que j’étais en train d’en former un à Dakar. Il m’a dit de ramener ma propre bande la prochaine fois.

C’est ainsi que depuis 1997, je ne joue plus qu’avec mon propre groupe, jusqu’à ce jour.

Mais Youssou et moi nous sommes séparés dans la paix, sans le moindre problème. Il était présent aux célébrations de mes 40 ans dans la musique, avec bien d’autres artistes comme Omar Pene ou encore Souleyamane Faye.

Je tiens d’ailleurs à rappeler ici que l’an prochain je fêterai mes 50 ans de carrière et je compte inviter des artistes de différents horizons, avec qui nous avons partagé la scène et des moments forts.

Après Ne La Thiass et votre tournée, vous êtes devenu un grand nom ; tout le monde vous connaît et vous jouez partout à travers le monde. Quelle a été la suite de tout cela ? 

Nous avons continué à avancer ! Avec mon groupe je me sens très libre et je peux diriger les choses selon ma convenance.

En 2015, avec mon album Balbalou, j’ai décroché le prix WOMEX, il s’agit du plus grand marché musical dédié aux musiques du monde.

En 14 années d’existence, aucun africain n’avait encore remporté ce prix, mais à la 15e édition du WOMEX, j’ai connu cette consécration qui a été la juste récompense d’un travail de longue haleine.

Il fallut vraiment besogner pour que cette distinction en l’honneur de l’Afrique et du Sénégal, ne souffre d’aucune contestation.

De tout ce parcours, je ne retiens que du positif !


On vous appelle le « Bayefall » de la musique ! Comment votre foi religieuse, influence-t-elle votre travail ?

Cheikh Lô le « Bayefall »

Naturellement, ma foi musulmane et mon appartenance à la confrérie mouride transparaissent dans mes œuvres et sur ma personne.

C’est comme un artiste chrétien fier de sa foi, qui évoque Jésus dans ses textes sans le moindre complexe.

Je suis fier de ce que je suis et je n’ai jamais voulu ressembler à autre chose. Je veux être comme mon grand-père, c’est ma référence !

Mon appartenance au mouvement bayefall, est remarqué de par mon look vestimentaire et ma musique. Pour moi c’est une grande fierté.


Comment voyez-vous maintenant l'évolution de la scène musicale sénégalaise ? Quelle est votre perception ? 

Pour moi, c’est une question assez embarrassante et vous m’excuserez d’être sincère, mais je trouve que dans cette nouvelle génération, il y a plus de prétention que de créativité.

Beaucoup font perdre à la musique sénégalaise son prestige et tout cela s’explique pour moi, par le fait qu’il y ait de moins en moins de bons arrangeurs.

D'antan, Youssou N’Dour a eu l'immense chance d'être accompagné par feu Habib Faye qui était un arrangeur tel qu’on n’en aura peut-être plus. Depuis son triste départ, on réalise bien un changement dans les productions de Youssou.

Il y a quelques talents de la nouvelle génération qui essaient de faire quelque chose d’appréciable en s’inscrivant dans l’école du son acoustique ; ils sont peu nombreux mais ils méritent d’être encouragés.

Ceux de l’école du « pur mbalakh », je suis désolé de le dire, mais ils ne font que du bruit !


Quel conseil leur donneriez-vous pour améliorer les choses ?

Je les inviterais tout simplement à écouter le travail réalisé par leurs précurseurs, à redécouvrir cette façon admirable que les anciens avaient d’arranger le son et d’y ajouter des couleurs.

Ils ont à leur disposition les œuvres de l’Orchestra Baobab par exemple ; c’est un groupe au parcours immense et inspirant.

Puisqu’on parle de musique africaine, ils peuvent écouter les anciens des 4 coins du continent ! Je vous parlais par exemple de Bembeya Jazz de la Guinée, mais il y a aussi Aboubacar Demba, qui était une légende. Il y avait également des salseros ici comme Labah Sosseh ; il faut les écouter…

Médoune Diallo, Nicolas Menem, le parolier feu Thione Seck, le Super Diamono ou encore Pape Djiby Ba ; il y a tellement d’artistes qu’ils peuvent prendre pour référence pour redonner de la qualité à leurs compositions. Ils devraient explorer ces pistes là…

Aujourd’hui, beaucoup d’artistes qui font une petite réalisation, croient qu’ils sont arrivés ! ils ne vont vers personne pour apprendre. Il y a beaucoup de prétention…


Mr Lo, vous préparez votre 50e anniversaire de carrière, ainsi qu’un tout nouvel album musical. Quel sentiment vous habite en revoyant cet immense parcours que vous avez réalisé et à quoi s’attendre sur votre prochain disque ?

Avant tout, je tiens à remercier le bon Dieu ! Cinquante ans de carrière en tant qu’artiste-chanteur, ce n’est pas donné à tout le monde…

Beaucoup sont morts en chemin, et même ceux qui vivent, finissent parfois par être « démodés ».

Mon premier sentiment est donc celui d’une pleine gratitude à Dieu, qui m’a permis cette longévité.

Aussi c’est un honneur pour moi, avec ce long parcours, d’avoir réussi à assurer une certaine régularité. Je n’ai jamais voulu décevoir mon public et je pense que cela a joué pour beaucoup dans ma réussite.

Même quand il m’est arrivé de m’éclipser, 3 ou 4 années de la scène, c’était toujours pour écrire des œuvres à la hauteur des attentes de mes auditeurs. Ils m’ont toujours attendu avec beaucoup d’impatience et n’ont jamais cessé de s’intéresser à mon travail…

J’ai beaucoup d’espoir sur mon prochain album ! Le dernier à ce jour dans ma discographie reste Balbalou, qui m’a permis cette consécration mondiale au Worldwide Music Expo (WOMEX) en 2015, dont je vous parlais plus haut.

Chacune de mes œuvres a marqué un pas important dans mon ascension ; Ne La Thiass m’a permis de décrocher un prix national en 1996 devant tous les talents que notre scène locale comptait et, en 1997, j’étais en Afrique du Sud pour une reconnaissance continentale du meilleur talent africain aux Cape Town Music Awards.

D’une consécration nationale à une reconnaissance mondiale, en passant par un sacre continental, tout s’est fait progressivement, avec la main de Dieu en appui.

Donc pour le prochain album, je promets une bombe qui célébrera mes 50 ans de carrière, mais aussi mes 70 ans de vie sur terre et toutes ces belles aventures vécues avec mon Ndiguel Band !


Nous sommes à la fin de notre interview, merci pour ce bel entretien, Monsieur Lo !

Je vous en prie, c’est moi qui vous remercie…

Lamine Ba

Pour aller plus loin :

Site de Cheik Lo : https://cheikhlomusic.com/

Chaine Youtube de Cheik Lo : https://www.youtube.com/@cheikhlo6703

Suivant
Suivant

Article 21