ARTICLE 16

Togoville jazz, une fenêtre sur le monde

Le 29 juin Mawuto Dick, programmateur du Togoville jazz festival (Vaudou Game, Benjamin Flao, Nana Benz...) était invité par le festival Jazz à Vienne dans le cadre d'un partenariat. L'autel des artistes de Panam l'a interviewé à l'occasion d'une table ronde consacrée au leadership féminin dans l'industrie musicale. Présentation.

Élancé, le visage cerclé de lunettes, l'air réservé, Mawuto Dick, jeune homme issu du quartier populaire de Kodjoviakopé à Lomé, ne colle pas avec les clichés sur les entrepreneurs culturels bedonnants et trop sûrs d'eux voire arrogants. Derrière cette attitude empreinte d'humilité, on devine un mélomane résolu et déterminé. Le Togoville jazz festival, petit frère du Saint-Louis Jazz (voir notre article) ou de Jazz à Ouaga, a vu le jour en 2015. En amont, trois ans plus tôt, un espace culturel a été lancé à Lomé par ce noyau dur de passionnés et des artistes ont été programmés de façon ponctuelle. « Le festival est né de la nécessité de mettre en avant sur scène des artistes togolais qui font autre chose que de la variété.  Nous avons la chance au Togo d'avoir des musiciens qui jouent du blues, du jazz. Mais ces dernières années la variété a accaparé la plupart des scènes du pays. On ne retrouvait plus cette frange d'artistes qui font ce qu'on appelle de la musique de recherche. » Forts de ce constat Mawuto et ses amis décident de remonter à la source et de « créer une plateforme pour ces artistes. Aujourd'hui ce festival fait son petit bonhomme de chemin et nous sommes ravis qu'il soit plébiscité par des artistes du continent mais aussi des artistes occidentaux. » En 2017, une structure Level production, agence de management, de production de booking et de régie événementielle, est créée pour porter le projet, gérer les tâches administratives et les contrats avec les artistes. « Nous avons eu la chance d'être rejoints par un certain nombre de personnes compétentes qui ont trouvé notre démarche essentielle. Cette équipe de techniciens porte aussi d'autres projets. Togoville jazz est devenu une référence au Togo. » Sur le festival, certaines scènes sont gratuites, d'autres spectacles sont payants mais abordables, l'équivalent de quelques euros. Enfin, une dernière catégorie, comme le duo Vincent Peirani-Emile Parisien ou Rokia Traoré demande un droit d'entrée plus élevé. « On essaie que personne ne soit lésé et de démocratiser le jazz.», assume Mawuto. Par l'effet du bouche à oreille, comme le sérieux et le professionnalisme paient, d'autres organisations confient leurs événements à Level production: « On s'occupe soit de la régie ou même parfois de produire pour leur compte leurs festivals. »

Une ouverture sur le monde

Pour l'équipe de ce petit pays enclavé entre le Ghana et le Bénin, il n'est pas question de fonctionner en vase clos. « Dès la deuxième édition en 2017, nous nous sommes ouverts sur l'international. Nous avons reçu pratiquement tous les artistes de la sous-région qui officient dans ce domaine, du Niger, du Burkina Faso, du Mali, du Bénin... »

Pour la neuvième édition du festival cette année, qui a eue lieu du 12 au 23 avril, le Mali était représenté à travers la diva Rokia Traoré, le Bénin, avec la fanfare Harmony brass band invitée aussi à Jazz à Vienne dans une déambulation dans la ville jusqu'au théâtre antique, Achille Ouattara, bassiste issu du gospel, Moïse Ouattara, du Burkina Faso, Victor Dey Jr, surnommé le « Herbie Hancock du Ghana ». Celui-ci a joué avec des figures du high life comme Ebo Taylor, le regretté Guy Warren ou Gyedu Blay Ambolley et avec des jazzmen renommés comme feu le trompettiste sud-africain Hugh Masekela ou le saxophoniste britannique Courtney Pine. Il a même partagé la scène aux États-Unis avec l'immense Stevie Wonder.

https://www.facebook.com/harmonysbrassband/

https://www.nordkeyboards.com/artist/victor-dey-jr

http://www.mamakao.org/achille-ouattara.html

https://www.facebook.com/moise.ouattara.3/?locale=fr_FR

La coopération avec Jazz à Vienne

Animé par la volonté de « voir ailleurs ce qui se passe je suis allé découvrir le fonctionnement de Jazz à Vienne. La collaboration a démarré timidement mais s'est installée dans le temps.» En 2017-2018 Mawuto réalise un stage de production au sein du festival isérois. « Depuis nous avons établi des échanges, une coproduction et une co-programmation entre nos deux festivals. Celle de Togoville jazz festival cette année s'est faite en étroite collaboration avec Jazz à Vienne, avec le soutien du Togo créative et de l'Institut français. » Ainsi Benjamin Tanguy, qui était directeur artistique de Jazz à Vienne jusqu'à cette année avant de laisser sa place à Guillaume Anger, a proposé de faire venir l'accordéoniste Vincent Peirani et le saxophoniste Ėmile Parisien à Lomé. « D'autres artistes français sont venus au Togoville, comme le Skokiaan brass band l'an dernier. De notre côté, à Level production, depuis 2021 nous proposons à Jazz à Vienne notre catalogue d'artistes qui sont volontiers acceptés dans la mesure du possible en fontion de la programmation. » précise Mawuto. Ainsi l'an dernier le spectacle Atakora a été présenté au théâtre antique, constitué de cinq musiciens africains d'Angola, du Togo, du Bénin et du Burkina Faso. « Ce projet panafricain reflètait chacune de leur culture. Par ailleurs, cette année Jazz à Vienne accueilli dans le cadre de ce partenariat Laura Prince, artiste franco-togolaise qui évolue sur la scène jazz parisienne, le Zangbeto trio, le prometteur Joackim Amoudzou au piano, Honoré Dafo à la basse et Henock Fafadji à la batterie qui a fait sensation l'an dernier dans le cadre du programme Jazz up est revenu cette année avec la chanteuse Sabrine Kouli sur la scène Cybèle de Vienne. »

http://www.skokiaanbrassband.fr/skokiaan.html

https://lauraprincemusic.com/en/

Vivre de son art en particulier sur le continent africain n'est pas chose facile: « Ce ne sont pas les artistes qui manquent en Afrique mais les scènes d'expression. On a aussi un manque criant d'écoles de musique, de conservatoire. » analyse Mawuto Dick. « C'est aussi difficile de faire voyager les artistes africains vers l'Occident ou ailleurs sur le continent. La mobilité interne est un vrai problème. Ça peut faire rire ou pleurer mais le billet d'avion Lomé-Paris est moins coûteux qu'un Lomé-Dakar.  Ce type de facteurs empêche les artistes issus du continent d'émerger comme il se doit.» Le jeune homme refuse pour autant de se décourager: « Je suis heureux quà travers la plateforme du Togoville on mette un coup de projecteur sur les artistes africains et sur le fait qu'il y a des projets qui méritent d'être découverts à travers le monde. »

Pour la suite l'ambitieux Mawuto Dick entend « ouvrir une fenêtre sur le monde pour que les artistes du continent puissent voir ce qui se passe ailleurs mais aussi faire venir des artistes du monde entier au Togo et créer un vrai brassage artistique, une émulation. On tend la main à tout lemonde et on invite des artistes qui sont prêts à partager leur expérience pour outiller les jeunes artistes africains. » Le message est passé.

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