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Un festival à vocation populaire La trente et unième édition de Saint-Louis Jazz se tient du 25 au 29 mai avec en point d'orgue un hommage au pianiste Randy Weston. Birame Seck, programmateur du festival, revient pour l'Autel des artistes de Panam sur cette aventure au long cours.

Pont Faidherbe

Passé le Pont Faidherbe, cet unique point de passage vers l'île de Saint-Louis-du-Sénégal (Ndar en wolof), la ville vous happe par sa langueur portuaire, à l'embouchure du fleuve Sénégal, avec ses maisons coloniales un peu défraichies par le temps. Celles que l'on voit dans le film Coup de torchon de Bertrand Tavernier dont la bande-son signée Philippe Sarde est du jazz New Orleans. Alors, Nouvelle-Orléans, Saint-Louis même combat? Une chose est sûre, il émane de ces deux villes un même charme suranné, et un parfum du passé propices à la musique jazz. À Saint-Louis, à la frontière mauritanienne, l'activité économique est au ralenti depuis longtemps, le poisson se raréfie, les habitants boivent le thé dans la rue et prennent le temps de parler. Tous les ans, le festival de jazz amène aux Saint-Louisiennes et aux Saint-Louisiens un supplément d'âme, entre l'ambiance survoltée d'une ville africaine et l'écoute parfois plus passive des amateurs de jazz. Quand l'aventure Saint-Louis Jazz a démarré Birame Seck n'en était pas puisqu'il était encore élève au lycée. Nous sommes alors au début des années 1990 et plusieurs Saint-Louisiens ont décidé de constituer une association pour promouvoir cette musique alors peu connue du public sénégalais. Les débuts sont forcément modestes avec dans l'équipe de passionnés de musique Abdou Khadre Diallo, Badara Sarr, Aziz Seck, Laye Sarr et Khabane Thiam, figure du jazz à Saint-Louis. Seuls deux groupes sont de l'affiche de la première version qui se tient en 1991 à la Chambre de commerce de Saint-Louis. Deux autres venus de Dakar grossissent les rangs lors de la seconde au Tennis Club de Saint-Louis en 1992. Mais le véritable coup d'envoi sera en 1993 à l'ancien entrepôt de Peyrissac (actuellement occupé par l'entreprise de télécommunication Sonatel) avec des invités prestigieux Roy Haynes et Archie Shepp. Le festival Saint-Louis jazz s'affine avec des partenariats établis avec le Centre culturel français à Saint-Louis, avec le syndicat d'initiative et de tourisme de Saint-Louis. L'association a alors comme présidente Marie-Madeleine Diallo, figure de la ville, actrice, ancienne animatrice de la Radiotélédiffusion sénégalaise (RTS), alors auréolée d''une nationale pour sa prestation dans le téléfilm Bara Yeego.

Archie Shepp

Roy Haynes

Aujourd'hui celle-ci n'est plus associée au festival et est présidente de l'association organisatrice du Fanal, cette procession dans la ville avec des lampions, typique de Saint-Louis qui a lieu tous les ans au mois de décembre et dont les origines remontent au XVIIIème siècle.

Suivi par la musique

Dans les années 1990, le Saint-Louisien Birame Seck part étudier à l'université Cheikh Anta Diop de Dakar « À l'époque Dakar nous faisait rêver, explique t-il, on a déchanté depuis.» Passionné de musique, il dit même que « la musique l'a suivi », le jeune homme ne rate aucune édition du festival à partir de 1994. Petit à petit, il s'investit de plus en plus dans l'organisation de l'événement.À partir de 2006-2007, il est rattaché à la régie financière, c'est-à-dire la gestion des comptes du festival. En 2009, on le « coopte » dans l'équipe qui s'occupe de la programmation artistique. Puis à partir de 2012, il est choisi comme programmateur en titre. Depuis sa création le festival a accueilli plus de 250 artistes dont certains de renom tels que Herbie Hancock, Marcus Miller, Gilberto Gil ou le regretté Manu Dibango qui répondent présents malgré des cachets moindres que sur la plupart des grandes scènes internationales.

Festival international de Jazz de Saint-Louis

La légende dit que l'ex-président Abdou Diouf aurait même prêté son avion pour transporter des artistes et du matériel. Le festival a aussi eu son lot de difficultés. Par exemple, en raison de la pandémie de coronavirus l'édition 2020 avait été annulée. Cette année, parmi les têtes d'affiche dont les Américains TK Blue-alias Talib Kibwe, ancien accompagnateur de Randy Weston-et Liz Mc Comb le Sénégalais Ismaël Lo et le Malien Cheick Tidiane Seck « On essaie aussi de mettre le projecteur sur nos artistes Sénégalais et Africains », souligne Birame Seck. Par son action, il essaie de casser les clichés: « Le jazz est souvent considéré comme élitiste. Ça m'a fait mal de voir un géant comme Pharaoh Sanders jouer en 2010 dans une salle avec très peu de monde. Mais depuis quelques années on a redressé la pente. » L'idée de Birame Seck et de l'équipe du festival a été de sortir le jazz des salons feutrés pour l'exposer au plus grand nombre par un événement en plein air sur la place Baya Ndar (anciennement place Faidherbe) « On essaie de créer une mixité, de montrer que cette musique peut se fondre dans beaucoup de décors. On donne de la valeur aux instruments traditionnels africains, le guembri, le balafon, le ngoni... » Les billets coûtent entre 5 et 10000 francs CFA (l'équivalent de quinze euros) « On pourrait essayer de le rendre gratuit mais la gratuité a aussi un coût.

Manu Dibango

Nous sommes soutenus par l'État sénégalais, le ministère de la Culture, le port autonome de Dakar, l'aéroport Blaise-Diagne, par des partenaires privés... » La collaboration avec les ambassades a permis de faire venir Anne Pacéo (France), Claude Diallo (Suisse), Antonio Lizana (Espagne) et Daniel Migliosi (Luxembourg)

Randy Weston

L'hommage à Randy Weston

Randy Weston, décédé en 2018, est un vieux compagnon de route du festival. Il était naturel que celui-ci lui rende hommage cette année. Ce n'est pas pour rien que son autobiographie éditée par Présence africaine s'intitule African rhythms (Rythmes africains) C'est le nom du club qu'il a ouvert à Tanger de 1967 à 1972. Depuis Randy a fait du gnawa avec Abdellah el Gourd ou partagé la scène avec le percussionniste sénégalais Doudou Ndiaye Rose ou Ablaye Cissoko, habitué du festival. L'avant-dernier projet de Randy s'intitulait et ce n'est pas pour rien The African nubian suite (2017). « C'était quelqu'un d'une spiritualité comme j'en ai rarement vu. Il a sillonné l'Afrique à laquelle il était très lié avec son baton de pèlerin. Il est venu apprendre avec beaucoup d'humilité.» se souvient Birame Seck. « Il était d'une grande générosité artistique et acceptait pour notre festival un cachet en deçà de son niveau.»

Si l'homme a disparu sa musique, qui sera célèbrée à Saint-Louis, reste. Le souhait de Birame pour cette 31ème édition? « Du succès à tous les étages, de la musique à chaque coin de rue. En ce moment le pays traverse des tensions et la musique permet de fédérer les énergies. Pendant cinq jours, on parle la même langue, on prêche l'union, la démocratie, la paix avec des musiciens de toutes nationalités. »

Julien Le Gros

https://www.saintlouisjazz.org/blog/

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