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Les deux amours de Teofilo Chantre

L'autel des artistes de Panam était le 30 janvier 2023 au restaurant Chez Céleste, dans le quartier de la Bastille, avec Teofilo Chantre. Cet artiste humble et prolifique a travaillé avec les plus grands Cesaria Evora, bien sûr, mais aussi Bonga, Emir Kusturica, Mariana Ramos... Rencontre.

Sur le visage apparemment impassible de Teofilo Chantre, 59 ans, on peut deviner une certaine mélancolie. Cette nostalgie (saudade), qu'on peut déceler dans le regard de Teofilo c'est celle de la morna, ce style musical emblématique du Cap-Vert. « C'est beaucoup lié à notre histoire, être entouré par l'Océan Atlantique, voir l'horizon fuyant et être dans cette problématique, présente dans la poésie cap-verdienne, vouloir partir et devoir rester ou devoir partir et vouloir rester. » nous explique Teofilo Chantre. « La  nostalgie dans la morna est liée à ce sentiment de séparation. Se sentir seul au monde et être en même temps relié par ceux qui sont partis et qu'on est obligé de revoir ou d'aller rejoindre. Il y a quelque chose d'universel dans l'ambiance nostalgique des ports. Au Cap-Vert, on en a fait un art qui s'exprime à travers les chansons de morna. D'ailleurs, beaucoup de pêcheurs sont musiciens. Je pense que ce côté chaloupé de la morna vient des vagues, de cette sensation de roulis qu'ont les pêcheurs quand ils sont sur leurs barques. Après, quand ils sont à terre, ils continuent à tanguer avec leur guitare, leur cavaquinho. »

Ne vous souciez pas d’avoir l’air professionnel. Soyez vous-même. Il y a plus de 1,5 milliard de sites web, mais c’est votre histoire qui vous différenciera. Si, en relisant les mots, vous n’entendez pas votre propre voix dans votre tête, c’est le signe que vous avez encore du chemin à parcourir.

Soyez clair(e), ayez confiance et n’y réfléchissez pas trop. La beauté de votre histoire, c’est qu’elle va continuer à évoluer et que votre site peut évoluer avec elle. Votre objectif, c’est qu’il soit le reflet du moment présent. La suite s’écrira d’elle-même. C’est toujours ainsi.

Avec sept albums à son actif, Teofilo Chantre jouit lui-même d'une solide réputation professionnelle entre la France, où il vit depuis plus de quarante ans, et le Cap-Vert, sa terre natale. Le repaire de Teofilo c'est le restaurant Chez Céleste, un petit bout du Cap-Vert à Paris, tapissé de photos avec la patronne qui témoignent des passages du maestro et de son groupe. Il y a été notamment filmé en 2018 en train de jouer le titre Roda vida (Le chemin de la vie).

https://www.youtube.com/watch?v=KFzQIfU3O78

Le chemin de vie de Teofilo commence le 26 octobre 1963, jour de sa naissance, à Ribeira Brava, le chef lieu de l'île de São Nicolau. Celle-ci fait partie du groupe d'îles Barlavento (les îles au vent), au nord de l'archipel du Cap-Vert  (1) . Teofilo grandit dans une autre île São Vicente, plus précisément à Mindelo, la ville natale de Cesaria Evora.  En 1977, Teofilo a quatorze ans et son destin change quand il part rejoindre sa mère. Celle-ci vit alors à Paris depuis trois ans.

Au moment de cet exil, nous sommes deux ans après l'indépendance du Cap-Vert, proclamée le 5 juillet 1975. «  J'ai passé la majeure partie de mon enfance pendant la colonisation portugaise, pays alors sous le joug du régime dictatorial de Salazar. », analyse Teofilo Chantre. « Il y avait la guerre  contre les indépendantistes dans les colonies africaines du Portugal, l'Angola, le Mozambique, la Guinée-Bissau et le Cap-Vert. »

Une colonie négligée

Le Cap-Vert était l'une des colonies portugaises les plus négligées, en raison de son peu de ressources naturelles, avec comme principal atout sa situation stratégique. « À l'indépendance on partait pratiquement de zéro, décrypte Teofilo « Tout était à faire. Il y avait très peu d'infrastructures. Il y a une anecdote qui en dit long, selon laquelle la Banque du Cap-Vert a été créée avec seulement cinquante mille dollars de capital. C'est la Suède qui aurait prêté cet argent au gouvernement. Nous sommes partis de très loin. Aujourd'hui, quand je vais au Cap-Vert et que je vois l'évolution des choses, je ne peux qu'être heureux, malgré certaines difficultés qui persistent. On a quand même fait un grand pas en quarante ans d'indépendance. »

Dès 1956, des militants indépendantistes ont créé le Parti africain pour l'indépendance de la Guinée-Bissau (celle-ci est obtenue en 1973) et du Cap-Vert. S'ensuit alors une guerre de libération nationale contre le Portugal colonial. « Mon premier contact avec cette lutte contre l'indépendance a eu lieu le 20 janvier 1973, jour où Amilcar Cabral a été assassiné. J'avais dix ans. J'ai vu la tristesse de beaucoup d'adultes et j'ai compris que l'histoire qu'on nous racontait selon laquelle Amilcar Cabral serait un « terroriste qui voulait nous attaquer. » était complètement fausse. Autour de moi, il était considéré comme un libérateur et j'ai commencé par avoir une prise de conscience sur ce que signifiait cette lutte pour l'indépendance. »

Pour Teofilo, l'indépendance de son pays sera une période de découvertes, « le panafricanisme mais aussi la richesse de la culture cap verdienne. Beaucoup de choses ont été occultées à l'époque portugaise. Petit à petit, je me suis senti pleinement cap-verdien, dans le sens où je maîtrisais  mieux ma propre culture. »  Malgré ce contexte particulier de la décolonisation, l'enfance de Teofilo à Mindelo est plutôt heureuse. « Je suis de culture catholique mais j'avais une préférence pour le temple protestant fréquenté par ma mère parce que c'est là qu'on offrait des cadeaux aux enfants à Noël. », sourit-il dans une interview accordée à nos confrères de France culture.

Voix du Cap-Vert

Mais au fait, comment la musique est elle entrée dans la vie de Teofilo?  « Un des premiers concerts auquel j'ai assisté enfant au Cap-Vert c'était Voz de Cabo Verde, un groupe fondé à Rotterdam, aux Pays-Bas en 1966. Voz de Cabo Verde s'est inspiré de la musique cap-verdienne mais aussi des musiques latino-américaines, des Caraïbes. Leur ouverture sur les autres musiques m'a touché. » L'ouverture sur le monde qui caractérise la musique de Teofilo sera aussi alimentée par l'un de ses oncles marin. « Quand il revenait au Cap-Vert il nous faisait écouter des disques de musique américaine, James Brown, les Jackson 5... » L'autre influence prédominante pour Teofilo est celle de la musique brésilienne: « Elle est arrivée chez nous assez tôt, dans les années 1920-1930 à travers le port de Mindelo. Les marins brésiliens y accostaient avec leurs instruments. Ils ne mêlaient aux musiciens locaux. À l'âge de dix ans, j'ai découvert le film Orfeu negro (1959) de Marcel Camus. En dehors de la partie musicale du film, il y avait tout un contexte culturel auquel je pouvais m'identifier. Naturellement, ces influences ont refait surface quand j'ai commencé à faire de la musique »

https://www.youtube.com/watch?v=cZi01WYb0y8&list=OLAK5uy_l2r4BT3kfjFnsqLuZEbevbeYhPFg9RBfY&index=7

Du Cap-Vert à De Funès

Mais revenons à l'année 1977. Élevé par ses grands-parents au Cap-Vert, Teofilo Chantre suit alors le parcours de beaucoup de Cap-Verdiens de la diaspora en rejoignant sa mère en France. « Je m'étais préparé psychologiquement à ce voyage. Le plus dur pour moi, ça a été la séparation avec mes grands-parents qui m'ont élevé depuis l'âge d'un an. Je ne les ai d'ailleurs plus revus puisqu'ils sont décédés deux ans après mon départ. ». Très vite, Teofilo s'est nourri de culture française. Le premier film qu'il voit au cinéma-il le saura plus tard- c'est Le gendarme à New York (1965), avec Louis de Funès. « Au Cap-Vert, les acteurs français Jean Gabin, Alain Delon, Brigitte Bardot, étaient très connus. Donc la France avait à la fois quelque chose pour moi de fantasmé et en même temps j'y allais en connaissance de cause. À l'époque c'était une société beaucoup plus avancée que la mienne d'un point de vue matériel. Ça a donc été un choc pour moi mais dans le bon sens du terme. » La musique française a aussi bercé le jeune Teofilo. « Ma mère était fan de Salvatore Adamo. La chanson Tombe la neige était un grand succès au Cap-Vert parce qu'Adamo l'a reprise en portugais avec le titre E cai a neve. Dans un tout autre registre, je connaissais Je t'aime moi non plus de Serge Gainsbourg qui passait beaucoup à la radio.  Bien sûr, Jacques Brel, Claude Nougaro, Georges Brassens, je les ai découverts une fois arrivé en France, et aussi Bernard Lavilliers en 1980 avec son disque O gringo, dans lequel il  y a des chansons brésiliennes et La Salsa. »

Débuts professionnels

En France, Teofilo fait ses débuts musicaux en se produisant à la guitare avec des copains cap-verdiens pour le compte d'associations communautaires. Mais la plupart de ces musiciens étaient amateurs, vivant d'autres emplois, et Teofilo désire vivre de sa musique. Sur scène et en studio, il va se tourner vers les musiciens de jazz. « Sur mon deuxième disque Di Alma (1997), je suis accompagné par de jeunes musiciens de la scène jazz parisienne Vincent Artaud  ou Sébastien Gastine à la basse, Antoine Banville, Fabrice Thompson à la batterie, Mehdi Bennani au piano, à l'accordéon Jacky Fourniret avec lequel j'ai joué souvent. Ces musiciens n'étaient pas issus de ma culture mais ils avaient la volonté de la comprendre. Je leur ai donné beaucoup de liberté. Ils m'ont apporté aussi. C'est comme ça que s'est fait ce mélange. Je dis souvent que je fais une musique universelle de base cap-verdienne. »

D'ailleurs, les racines cap-verdienne de l'artiste ne sont jamais loin. Son premier succès Caboverdeano imigrante présent sur son premier album Terra e cretcheu  (1994) parle de la condition d'un immigrant cap-verdien:  « C'est une musique que j'ai composée à partir d'un poème en portugais écrit par mon ami Luiz Andrade Silva, une figure du mouvement associatif cap-verdien. Avec cette chanson, j'ai gagné le deuxième prix d'un concours de chanson lusophone. Elle valorise l'apport économique et  tculturel des immigrants pour le Cap-Vert. Le refrain dit: « Frère Cap-verdien, il est temps de rentrer. Tu as fait le tour du monde à New York ou à Paris, avec des boulots difficiles. Tu as été marin, tu as travaillé dans les travaux publics, dans le froid, connu tout ce que les immigrants peuvent endurer. Il faut revenir pour profiter de la vie et aider à construire le pays qui t'a vu naître. »

J'ai deux amours, la France et le Cap-Vert

Ce pays qui l'a vu naître, Teofilo y retourne régulièrement. « J'ai la chance d'y être invité assez souvent pour faire des concerts. Quand on passe son enfance, cette période de découverte, dans son pays natal, on ne peut pas l'oublier. Les racines sont importantes. Au Cap-Vert, je suis considéré comme celui qui est parti. Il y a aussi une partie des gens, parmi les plus jeunes, qui ne me connaissent plus. C'est aussi à moi de leur dire que j'appartiens toujours à ce pays, que je suis avec eux. Un grand poète cap-verdien a dit qu'il ne faut pas rentrer en conquérant mais de façon très humble. Je me suis aussi bien intégré en France. Je me considère comme un Franco-Cap-verdien ou un Cap-verdien Français. J'ai acquis la nationalité française assez vite, vers seize ans, parce que ma mère était en phase de naturalisation. J'ai fait le service militaire en France. Comme dit Joséphine Baker: « J'ai deux amours »

Paradoxalement, c'est aussi en France et non pas au Cap-Vert que Teofilo rencontre Cesaria Evora, avec laquelle il travaillera pendant vingt ans jusqu'à la disparition de la « diva aux pieds nus » en décembre 2011:« Enfant, au Cap-Vert, j'avais entendu parler d'elle, de sa belle voix, sans l'avoir rencontrée. Je l'ai côtoyée pour la première fois à Paris lors d'un concert où elle se produisait et où j'ai été invité à chanter quelques chansons. À l'époque, je lui avais consacré une de mes compositions Dona Morna. Je connaissais son producteur José Da Silva, fondateur du label Lusafrica, parce qu'on a joué dans un groupe ensemble à Paris. Il m'a alors demandé si je n'avais pas des chansons  pour le prochain disque de Cesaria Miss perfumado, sur lequel se trouve le célèbre Sodade. J'en ai proposé trois, qui ont été prises sur l'album Luz dum estrela, Recordai et Tortura. » Comme beaucoup de gens, Teofilo sera irrémédiablement touché par la disparition de Cesaria: «  C'est grâce à elle que que tout le monde s'intéresse à cette musique. Malheureusement je n'ai pas pu aller au Cap-Vert au moment de ses obsèques. » Pour faire vivre le répertoire de la diva, et devant les nombreuses demandes des fans, un groupe le Cesaria Evora orchestra a été formé par José Da Silva avec « cinq chanteurs Lura, Lucibela, Elida Almeida, Nancy Vieira, moi-même et quatre musiciens qui ont accompagné Cesaria sur scène. »,  évoque Teofilo. « Des concerts de ce groupe sont prévus cette année au Cap-Vert, aux États-Unis et en Pologne. Les bénéfices de ces concerts sont reversés à la Fondation Cesaria Evora dont l'objectif est de permettre à de jeunes artistes d'obtenir une bourse pour étudier la musique au Cap-Vert ou à l'étranger. »

https://www.youtube.com/watch?v=LjfELQ57Mz

Teofilo Chantre a lui-même accompagné l'émergence d'autres artistes du Cap-Vert, Mariana Ramos, fille du doyen Toy Ramos, ancien guitariste de Voz de Cabo Verde, mais aussi celle de Lura, Nancy Vieira et, pour les plus jeunes, Mayra Andrade, invitée sur un duo Segunda geraçao, sur l'album Viaja de Teofilo; Lucibela et Elida Almeida. « Il y a beaucoup de jeunes qui me demandent des chansons. Quand je pense à quelque chose qui peut convenir je leur envoie volontiers. Ces nouveaux talents bénéficient de cet engouement pour la musique cap-verdienne. Ils sont conscients qu'il faut avoir un bon niveau et réalisent des productions de qualité. Elida Almeida vient de faire un très bon disque Dilonji, Carmen Souza, qui était récemment au festival Au fil des voix, mélange la tradition cap-verdienne et le jazz. Mariano Ramos prépare un disque. Au Cap-Vert il y a aussi des jeunes artistes qui mélangent le hip hop, la pop et la tradition cap-verdienne. »

https://www.youtube.com/watch?v=koQ5D_b8vKU

Métissage

De son côté, Teofilo a signé un magnifique septième album en 2011 MeStissage, avec des chansons en français et en créole cap-verdien (criolo), sur des arrangements de corde somptueux du violoncelliste Sébastien Giniaux: « Vivant en France et ayant un public majoritairement francophone ça me paraît important d'établir un contact direct avec ce public. Naturellement, j'ai introduit des chansons en français, avec l'aide d'auteurs. Je me suis amusé à les chanter tout en gardant une connotation cap-verdienne dans ma musique. Je ne voulais pas copier la grande chanson française qui existe déjà. Mon ambition c'était que le français sonne aussi sur des rythmes cap-verdiens. » Pari réussi!  Le titre  MeStissage est un néologisme entre le français et le portugais. Métissage s'écrit en portugais « mestiçagem ». Bernard Lavilliers est présent sur le titre Oli me ma bo. « Je le connaissais parce que j'ai écrit les paroles en criolo pour Cesaria Evora sur Elle chante un duo avec Lavilliers pour l'album de ce dernier Carnets de bord (2004).

https://www.youtube.com/watch?v=icf82qWITXE

Depuis douze ans, Teofilo Chantre, qui vit désormais en Auvergne, n'a pas sorti d'album. Mais que les fans se rassurent. Un nouvel opus devrait voir le jour cette année: « J'ai tout un répertoire de prêt. J'attends que les choses se mettent en place. Il est temps de sortir de nouveaux morceaux originaux pour alimenter l'intérêt du public et faire davantage de concerts. » On a hâte!

(1) L'autre partie de cet archipel du Cap-Vert, au sud, c'est Sotavento (les îles sous le vent).

THÉ OU CAFÉ

Trois questions à Teofilo Chantre

Nous avons apporté un disque 33 tours Musica de Cabo Verde (1974), sorti sur le label Alvorada. Qu'est-ce que le paysage sur la pochette vous évoque?

C'est un paysage de mon enfance, qui me parle complètement. Cette aridité emplie de beauté minérale, avec ce ciel bleu. Je crois reconnaître l'île de SãoVicente. Il y a une sensation de chaleur intense et en même temps de vent parce que sur cette île il y a beaucoup de vent. Cette photo date des années 1960. Cela me replonge dans ces années-là. Cela m'évoque des lieux où j'allais jouer petit. C'est un paysage qui fait penser au Far West américain. Je m'amusais à reproduire des scènes de certains westerns que je voyais au cinéma.

Votre musique n'est pas qu'africaine.

Il y a cette base africaine en passant par le Cap-Vert. Mais ma musique est aussi universelle parce que c'est une musique qui raconte l'existence et l'histoire d'êtres humains. Elle passe partout dans le monde. Quand je fais des concerts à l'étranger cette musique est toujours bien accueillie parce qu'elle parle au coeur des Hommes.

Enfin, aviez-vous une autre vocation que la musique?

Enfant, j'aurai voulu être berger au Cap-Vert parce que j'aimais beaucoup les animaux. J'avais un grand-cousin qui était berger lui-même. Sur le plan artistique, j'ai toujours eu une passion pour le cinéma donc j'aurai aussi voulu être acteur et réalisateur.

Julien Le Gros 

Teofilo Chantre :

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Te%C3%B3filo_Chantre

Le label Lusafrica

http://www.lusafrica.com/

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