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ARTICLE 5

Voici l’article 5 sur Vincent Butcher

Le 10 avril 2023, nous avons été à la rencontre de Vincent Bucher dans le parc de la Villette, aux abords de la Philharmonie de Paris. L'interview a eu lieu près d'une cabane en bois, un décor digne du sud des États-Unis qui a tant inspiré l'artiste. Ce jour-là, cet harmoniste virtuose s'est livré pour la rubrique « Interview news » de la compagnie Isaac et Jade sur L’autel des artistes de Panam.

VINCENT BUCHER, l'harmonica dans la peau.

Depuis l'âge de seize ans, Vincent Bucher s'est pris de passion pour l'harmonica, un instrument qui l'a amené à côtoyer les plus grands, de Louisiana Red à Charlélie Couture en passant par Boubacar Traoré, qu'il a accompagné le 26 mars au New Morning. Portrait d'un grand musicien de l'ombre.

Né le 31 mai 1962, Vincent Bucher a soixante ans et ne les fait pas. Le secret de l'éternelle jeunesse de ce Lensois d'origine, installé à Paris depuis l'enfance, réside peut-être dans ce petit instrument qui tient dans la poche, le sien a été fabriqué par Raymond Brodur, et qu'il manie avec une rare dextérité. « Comme beaucoup d'adolescents, explique t-il j'écoutais beaucoup de rock. Les morceaux qui me touchaient le plus dans ce répertoire étaient des blues. J'ai écouté les originaux. Le premier que j'ai entendu c'était Elmore James qui a été une vraie révélation pour moi. » À partir de là, le jeune homme va rentrer dans l'univers du blues passionnément, «comme on rentre en religion. » Son futur instrument l'harmonica il l'entend pour la première fois avec les disques des Rolling Stones qui passaient sur la platine de ses grands frères. « Les Stones étaient complètement imprégné par le blues. Le premier harmoniciste que j'ai entendu c'était Mick Jagger. Je me rappelle avoir dit à mes frères: « c'est quoi ce truc qu'il joue? » Quand j'ai eu l'occasion d'en jouer je me suis rendu compte que je ne sonnais pas que Mick Jagger. J'en ai acheté un et chaque fois que je soufflais dedans ça donnait le même son. J'ai compris que comme tous les instruments il fallait apprendre et travailler, ce que j'ai fait. »

Des Halles aux États-Unis

Vincent Bucher peaufine alors son art en jouant avec des copains guitaristes. Nous sommes dans le quartier des Halles, peu après l'inauguration du centre Pompidou le 31 janvier 1977. « Le quartier des Halles était encore très vivant. J'ai rencontré un harmoniciste afro-américain, qui est devenu par la suite très connu, Sugar Blue, originaire de New York »https://sugar-blue.com/ Celui-ci prend Vincent sous son aile: « Il m'a dit que je me débrouillais bien. C'est le premier qui m'a fait monter sur scène, qui m'a donné mon premier ampli. À cette époque, j'ai aussi rencontré quelqu'un qui est devenu un partenaire de vie Tao Ravao. » Nous y reviendrons. Vincent Bucher sera aussi en 1981 de l'aventure Hot' Cha avec Yves Torchinsky à la basse Manu Galvin et François Bodin à la guitare, Yves Teslar à la batterie. « On essayait de moderniser le blues de Chicago. C'était peut-être un peu présomptueux mais on avait le mérite d'être un vrai groupe avec un répertoire. Personne ne cherchait à tirer la couverture à soi et on faisait une musique de groupe contemporaine. » Sugar Blue, le mentor, donnera un précieux conseil à Vincent: « Si tu veux comprendre cette musique, il faut aller aux États-Unis et rencontrer des bluesmen. C'est devenu un rêve. Je me rappelle avoir économisé centime après centime. Nous étions à l'aube et des années 1980, le dollar montait et je voyais mon pactole fondre. » Néanmoins Vincent s'arrime à son rêve, se professionnalise en intégrant divers groupes et en 1984 il effectue son premier voyage aux États-Unis, sur la côte ouest, puis à Chicago. Il y retournera très souvent par la suite entre Chicago, San Francisco ou Memphis. « Dans les années 1980 à Chicago il y avait encore des légendes. Muddy Waters est mort en 1983, le grand harmoniciste Big Walter Horton deux ans plus tôt. Mon premier soir à Chicago, j'ai eu l'occasion de faire le boeuf avec le pianiste chanteur Sunnyland Slim avec une rythmique à l'ancienne, Bob Stroger à la basse, qui est toujours vivant, Robert Covington à la batterie, des musiciens dont les noms ne disent rien au grand public mais qui font partie des architectes de ce style. https://www.blues-sessions.com/robertcovington.php

Sur la côte ouest, j'ai aussi accompagné Sonny Rhodes, qui a eu ses heures de gloire dans les années 1950, et qui n'a jamais arrêté de jouer. Ces rencontres ont été des déclencheurs pour moi. J'ai eu une chance incroyable.» Il côtoiera d'autres grands noms tels , Louisiana Red, Melvin Taylor ou Jimmy Johnson.

Aux sources du Delta

Lors de l'entretien qu'il nous a accordé Vincent Bucher a montré avec le regard brillant du mélomane deux disques issus de sa malle aux trésors qui illustrent cette quête aux racines du blues. Le premier a été enregistré par le chanteur guitariste Son House dans les années 1940. « Je me suis tourné vers le blues des origines, en particulier celui du Delta du Mississippi parce que je voulais savoir qui a inspiré ceux que j'écoutais, les Muddy Waters, Elmore James, Robert Johnson. C'est comme ça que je suis tombé sur Son House. » Pour l'harmoniciste français, Son House, né en 1902 à Lyon, Mississippi, représente « la quintessence du chant blues, ce mélange entre quelque chose d'à la fois très physique et très spirituel. C'était le « king » à l'époque. Les oreilles de maintenant doivent s'adapter à ce son mais c'est du concentré d'âme et de blues 100%, avec une ferveur incroyable.» Tombé dans l'oubli, Son House sera redécouvert en 1964 par un groupe de collectionneurs de disques qui lui permettront de refaire des concerts, notamment à l'American folk music revival, d'enregistrer quelques nouveaux disques avant sa disparition en 1988. Le deuxième disque est signé par un maestro de l'harmonica Little Walter, parti trop tôt en 1968 à l'âge de 37 ans . « C'est lui qui a créé l'harmonica blues moderne. » résume Vincent Bucher. Son histoire, est celle d'un jeune homme créole de Rapide Parish en Louisiane qui est parti de chez lui à douze ans. « Il jouait dans les rues de la Nouvelle Orléans, imprégné de blues traditionnel et de polka. Il écoutait du jazz, du swing. » Arrivé en 1946 dans le quartier sud de Chicago Little Walter rencontre Muddy Waters et sera l'un des pionniers de l'électrification de la musique. « Pour moi, c'est le roi absolu », s'enthousiasme Vincent Bucher, j'ai commencé à jouer en l'écoutant. Même encore aujourd'hui, il y a des choses que je redécouvre dans sa musique. Tous les harmonicistes connaissent Little Walter. C'est un peu comme Charlie Parker pour le jazz, il est à mon avis le plus grand improvisateur, tous instruments confondus, dans le blues. »

Tao Ravao, le partenaire de vie.

Pour Vincent, une autre aventure marquante est celle qui l'unit au musicien malgache Tao Ravao. Les deux compères feront leurs premières armes dans le métro, dans la rue. Ensemble ils formeront un duo fusionnel que Tao qualifie d'afro blues et transe malgache. « On crée souvent une musique originale et de particulière quand on ne sait pas faire les choses. Alors on fait autre chose. On essayait de jouer du blues, mais nous ne sommes pas des bluesmen ni des Afro-américains. On savait bien qu'on n'avait pas le même vocabulaire alors on a fait comme on a pu, à notre sauce. C'est comme ça qu'on a développé ce son-là. » décrypte Vincent.

Tout part là aussi de Beaubourg à la fin des années 1970. « J'y traînais, il y avait une effervescence, des musiciens avec un niveau incroyable et à l'époque je n'avais pas d'autre vocation que de jouer dans la rue. Un jour, je vois un harmoniciste américain Andy J Forest, qui tourne toujours et vit aujourd'hui à la Nouvelle Orléans. il était accompagné par un guitariste, c'était Tao Ravao. On a sympathisé et joué ensemble à Odéon, à Montparnasse. »https://www.andyjforest.com/

Le tandem commence par jouer du blues traditionnel. Mais dans les années 1980, émergent des musiciens d'origine africaine et carribéenne (Kassav) « On voyait arriver des bassistes, des batteurs des guitaristes, avec un niveau de fou. Le marché de la musique africaine commençait à percer en Europe ». Au cours de cette décennie, Mory Kanté (Yéké Yéké), Salif Keita, Youssou Ndour, Johnny Clegg, Touré Kunda (Emma)... vont modifier durablement le paysage musical. « À Paris, comme il n'y avait pas une scène blues on se retrouvait avec une rythmique basse batterie qui n'était pas constituée de musiciens de blues. Avec Tao on s'est ouvert à ce que ces musiciens africains et carribéens jouaient. » Franco-Malgache, né en 1956, Tao arrive en France à l'âge de douze ans. À la fin des années 1980, il retourne à Madagascar et redécouvre les instruments de la terre qui l'a vu naître, la valiha, sorte de lyre malgache, la cabosse. « Tao a commencé à jouer avec des musiciens traditionnels malgaches, de mon côté j'ai rencontré des musiciens congolais, ivoiriens. On répétait avec des groupes qui ne montaient jamais sur scène, par exemple métro colonel Fabien, chez Paco Rabanne, à l'époque un des temples de la musique africaine à Paris.» Ce métissage aboutira au premier album du duo Love call en 1993, il y en aura sept dont le dernier Piment bleu en 2021 sur le label Buda musique qui a été primé par l'Académie Charles Cros dans la catégorie Musiques du monde. (Et la liste n'est pas finie!) Sur Piment bleu deux titres Madiba et Sankara, en référence aux leaders Nelson « Madiba » Mandela et Thomas Sankara. « Ce sont des grands personnages de notre époque, même si on ne connaissait pas bien les réalités de l'Afrique du Sud ou du Burkina Faso. On a vu Sankara arriver le 5 août 1983. Mandela c'était déjà un mythe. On a  assisté médiatiquement à sa libération le 11 février 1990. On était forcément sensibles à cette actualité même lointaine parce qu'on rencontrait des Africains qui nous en parlaient. Ça nous a nourri. »

Mali blues

C'est aussi par l'intermédiaire de ce duo avec Tao Ravao en participant à un des nombreux festivals folk de l'été au Canada qu'il fera la rencontre déterminante en 1993 avec un certain Boubacar Traoré. « C'était l'époque où il apparaissait sur la scène internationale. Nous sommes devenus amis. Ensuite Philippe Conrath, fondateur du festival Africolor m'a proposé d'accompagner Lobi Traoré au New Morning. Je suis allé au Mali en 1996 avec Lobi et on a joué à Bamako et au Burkina Faso. J'étais toujours en contact avec Boubacar Traoré qui m'a reproché de jouer avec untel ou untel mais pas avec lui. Je lui ai dit de m'appeler. » En 2004, il participe à l'album Kongo magni, sorti un an plus tard, produit par Christian Mousset, sur lequel on retrouve notamment Kélétigui Diabaté au balafon, Pedro Kouyaté ou Bamba Dembele à la calebasse, Yoro Diallo au kamele ngoni, et en invités le regretté Régis Gizavo à l'accordéon et Émile Biayenda aux percussions. « Début 2005 on a fait des concerts ensemble. Il y a eu le festival Musiques métisses, qui est un de ceux que j'ai le plus écumé, un super festival. Christian Mousset en était à l'époque le directeur. Tao, qui a vécu à Angoulême à son arrivée en France était très ami avec lui. On a joué là-bas avec Tao puis avec Boubacar. Ça ne s'est pas arrêté depuis avec « Kar Kar ». Il participe aussi à l'album Koya d'Abou Diarra, joue avec Adama Namakaro Fomba. On peut aussi l'entendre avec d'autres artistes africains comme la chanteuse érythréenne Faytinga.

https://www.youtube.com/watch?v=A4Z_T5VAX2I&list=PLl5llMCRZN2kQylxCoo18O_CAL0C-5wCI&index=1

https://www.youtube.com/watch?v=SSgBI9v104g

https://www.youtube.com/watch?v=dRYGByQXHDA

Du blues en France

Entre l'Afrique et les États-Unis, Vincent Bucher n'oublie pas de porter le blues en hexagone. « Maintenant, il existe une scène blues en France avec des groupes identifiés. Dans les années 1970-1980 c'était des artistes passionnés de blues, » se souvient-il. « Patrick Verbecke, qui venait du rock, Bill Deraime étaient des pionniers. À leur époque très peu de gens en jouaient. J'ai connu Patrick Verbecke quand j'avais dix-huit ans. Ça a été une longue amitié qui a duré jusqu'à la fin. Deux jours avant sa mort le 22 août 2021 on avait un concert de prévu. Il était trop fatigué pour le faire. Bill Deraime avait dit à Patrick: « j'aime bien ton gars qui fait de l'harmonica » La collaboration durera de 1989 jusqu'à 1994. Les deux hommes joueront ensemble le temps de quelques concerts en 2012. Aujourd'hui Bill Deraime a pris sa retraite. Charlélie Couture a enregistré à Chicago avec un de mes meilleurs amis l'harmoniciste Matthew Skoller pour l'album Casque nu (1997) Celui-ci lui a dit: « Si tu cherches quelqu'un à Paris appelle Vincent. » Vincent Bucher accompagnera donc le Nancéen au timbre singulier pendant une dizaine d'années à partir de la fin des années 1990. Côté solo, Vincent Bucher a enregistré un album de belle facture passé un peu inaperçu Hometown en 2014, sur le label néerlandais Continental blue heaven, dans lequel il chante avec un timbre qui rappelle un peu JJ Cale. Il y est secondé par Jeremie Tepper à la guitare, Christophe Garrot à la basse, Danny Montgomery ou Christophe Gaillot à la batterie.

https://www.youtube.com/watch?v=MyvAHbeDmss

La bonne nouvelle, c'est que Vincent prépare un album dans la même lignée, avec des compositions originales. Pas de date de sortie pour le moment « Il est en fabrication comme on dit. » Un autre disque est prévu, cette fois du côté de l'Afrique avec le trio Soba, enregistré à Angoulême, avec le guitariste burkinabé Moussa Koita et le batteur percussionniste congolais Émile Biayenda, fondateur des Tambours de Brazza.

En attendant, on peut parfois voir Vincent live à la Maison du blues à Châtres-sur-Cher, un musée et salle de concert animé par Jacques et Anne-Marie Garcia. « On a connu Jacques avec Tao dans les années 1990 à l'époque où il avait une agence de booking Rhésus blues. Il nous a appelé pour accompagner le bluesman américain Eddie C Campbell. Ensuite il a créé le label Broadway records qui a produit le premier album de Vincent Bucher et Tao Ravao Love Call. Ce lieu singulier qui paraît au milieu de nulle part entretient la flamme de cette musique et de la ville. C'est vraiment un très bel endroit. » Enfin, en septembre, si la situation politique le permet Vincent jouera au Niger avec son complice de toujours Tao Ravao et le guitariste percussionniste sénégalais Edu Bocandé. Affaire à suivre.

Julien Le Gros

https://www.youtube.com/watch?v=K-n5R_6HcjI

https://www.lamaisondublues.fr/

La biographie de Vincent Bucher

https://vincentbucher.wordpress.com/a-propos-2/

Thé ou café

Trois questions à Vincent Bucher

Selon toi, qu'est-ce qu'une signature musicale?

Quand vous abordez une personne, il y a une aura, une ambiance, une personnalité qui se dégage. Une signature musicale c'est quand on écoute un artiste et qu'on se dit que c'est lui ou elle.

Il y a des particularités partout. Ce que j'ai ressenti en Afrique de l'Ouest et sur le continent en général c'est cette connexion avec le blues. C'est très difficile et diffus de retracer la généalogie africaine du blues parce qu'à travers l'esclavage il y a eu une dispersion totale des familles, des dynasties, des nations. Mais en Afrique de l'Ouest en particulier j'ai entendu des musiques dont je me suis dit que c'était les cousines du blues. Les États-Unis c'est un pays musicalement créole, très jeune, alors qu'en Afrique, comme en Europe il y a ce côté vieux continent. Nos musiques sont empreintes de ça. Les musiques africaines m'ont ramené à mon européanité.

Toi qui est allé des deux côtés-tu as même enregistré avec Boubacar Traoré à Lafayette en Louisiane sur l'album Dounia Tabolo- il y a un vrai pont musical entre le Mali et le Mississippi, pour reprendre le titre du documentaire de Martin Scorsese?

Bien sûr, il y a une réelle connexion, il suffit d'entendre et de voir le cadre de vie des gens. Je peux le dire en tant que témoin. Mais à mon sens, c'est quelque chose qui doit plus être exprimé par des Africains ou des Afro-américains. C'est leur truc, leur histoire. C'est à eux d'avoir ce narratif.

Enfin, si tu n'avais pas été musicien qu'aurais-tu aimé faire?

J'aurai adoré être dessinateur de bande dessinée parce que je lis beaucoup. Les BD c'est de la littérature et du cinéma, avec des dialogues. Mais c'est un travail de dingue, les dessinateurs de BD sont des héros. Mon père m'a dit: « Tu écriras un livre un jour. » Ça me plairait bien mais pour l'instant je n'ai pas encore l'histoire à raconter.

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Article 4

On a pu le voir aux côtés d'Ali Farka Touré ou Ballaké Sissoko. Le grand Boubacar Traoré est l'objet du quatrième article de la rubrique Interview et news.

On a pu le voir aux côtés d'Ali Farka Touré ou Ballaké Sissoko. Le grand Boubacar Traoré est l'objet du quatrième article de la rubrique Interview et news.

Boubacar TRAORÉ . Le dribbleur du blues malien

Le 26 mars, Boubacar Traoré s'est produit au New Morning à Paris. Ce concert mémorable affichait complet. L'occasion pour l'Autel des artistes de Panam de revenir sur la carrière d'un des derniers lions du blues malien.

En langue bamanan on le surnommait « Kari ». « Karkar », le surnom de Boubacar Traoré, signifie « casser, casser ». Ce patronyme, il le doit de ses talents de dribbleur sur les terrains de football de sa jeunesse à la fin des années 1950.

https://www.youtube.com/watch?v=DXZCJz5qHMw

Dans une scène du documentaireJe chanterai pour toi de Jacques Sarrasin (2001) qui porte sur Boubacar Traoré, et dans lequel on croise les regrettés Malick Sidibé, célèbre photographe malien surnommé « l'oeil de Bamako » et Ali Farka Touré, un « Karkar » déjà âgé joue à l'improviste au foot avec des gosses dans la rue. À'image on voit qu'il a de beaux restes avec le ballon rond. À 80 ans révolus, il est né en 1942, le bluesman n'a pas non plus perdu la main à la guitare. Le 26 mars, il était assis avec son instrument, un peu voûté au début du set, mais très vite il s'est animé et s'est redressé fièrement, revigoré par sa complicité avec ses camarades de jeu, Daouda Diarra, imperturbable, à la calebasse et au bara, cette sorte de calebasse ouest-africaine recouverte d'une peau de chèvre, Abdoulaye Dembele dit « Yaro », au kamalen n'goni, à la kora, au dozo n'goni et au bolon, et enfin last but not least Vincent Bucher à l'harmonica. Le public du New Morning ce soir-là est jeune, avec beaucoup de non-Maliens qui fredonnent Mariama en choeur sans comprendre le moindre mot de bambara. Mais là n'est pas l'essentiel, le plus important c'est le pouvoir fédérateur de la musique du maestro. Sur scène comme dans la vie l'homme ne se sépare jamais de sa casquette à la gavroche. Au New Morning, Karkar a parfois revêtu un stetson de cowboy digne des bluesmen du delta du Mississippi auquel les médias le comparent souvent Skip James, Blind Willie Mc Tell ou Robert Johnson. Pour continuer de filer la métaphore du football, ce soir-là Vincent Bucher et « Yoro » se sont fait des passes décisives, en faisant dialoguer avec dextérité leurs instruments, harmonica pour l'un et ngoni pour l'autre, sous l'oeil ravi du kôro (vieux père).

https://www.youtube.com/watch?v=SlWiPpJdv9w

https://hambeproduction.bandcamp.com/album/boubacar-traore-kar-kar

https://information.tv5monde.com/video/boubacar-traore-legende-de-la-musique-malienne

Le vieux méchant

Le dernier album de Boubacar Traoré Tiokoro Ba Diougu  (Le vieux méchant en bambara), sorti en juillet 2022 chez Hambé productions, a été conçu suite à une rencontre avec des musiciens à Ségou, dans un style très épuré et traditionnel issu du folklore malien. « Ce vieux méchant de la chanson explique Boubacar dans une interview diffusée le 28 mars sur TV5 Monde, c'est quelqu'un qui refuse à des jeunes de voir sa fille. Mais ce vieux oublie que quand il était jeune il faisait la même chose! » Sur les neuf titres, on entend Boubacar chanter accompagné par sa guitare, la calebasse, quelques notes de ngoni savamment distillées. Le morceau Sécheresse résonne comme un thème d'actualité à l'heure du réchauffement climatique, une réalité concrète que subissent les paysans maliens. Le père de Boubacar était cultivateur à Kayes et lui-même a son lopin de terre sur les hauteurs de Bamako. Dans une autre chanson Ben bali so, il dit dans une forme de sagesse populaire « Ce monde est mauvais, je me transformerai en grand oiseau. Mais ils ont tué le grand oiseau. Alors j'ai dit: je me transformerai en petit oiseau mais ils l'ont attrapé et l'ont enfermé.»

Pour aller aux sources de l'inspiration de Karkar il faut se rendre à Kayes, à l'ouest du Mali, à près de cinq cent kilomètres de la capitale Bamako. Kayes, entourée de massifs montagneux est surnommée la « cocotte minute » du Mali en raison des températures élevées de sa région. Dans ces montagnes, le blues du vieux lion s'exprime pleinement. Mais pour comprendre le goût de la guitare de « Karkar », il faut remonter en 1958, deux ans avant l'indépendance du pays le 22 septembre 1960. Cette année-là Boubacar se forme à la guitare en autodidacte et en cachette du propriétaire de l'instrument qui n'est autre que son grand-frère Kalilou. Celui-ci, trop tôt disparu, est le cofondateur des Maravillas du Mali, ce groupe mythique de l'époque des Indépendances africaines dans lequel a débuté Boncana Maïga et qui a fait l'objet du documentaire de Richard Minier Africa mia. Kalilou, passera huit ans à Cuba dans le cadre de la politique culturelle initiée par le président Modibo Keita. Mis devant le fait accompli par son frère cadet de cet apprentissage « clandestin » Kalilou ne manquera pas de reconnaître le talent de celui-ci.  « Je jouais de ma guitare comme d'une kora. Or, la kora a 21 cordes, contre 6 pour la guitare. Je jouais donc sur ces 6 comme s'il y en avait 21, on appelle cela une double-gamme. Nous sommes très peu à pouvoir le faire. » a expliqué Boubacar dans une interview accordée en 2016 à notre consoeur du Point Hassina Mechaï.

https://www.youtube.com/watch?v=Ev-CmJ2YuxA

Mali twist

Dans le Mali émergent des années 1960 « Karkar » devient une figure très populaire. Malheureusement, une seule photo en noir et blanc dans lequel il porte un blouson de cuir comme Vince Taylor et surtout Elvis Presley dans le film Jailhouse rock qui a été projeté dans l'un des cinémas bamakois alors très répandus ( ils ont tous fermés depuis) témoigne de cette époque. Son célèbre titre Mali twist enregistré en 1963 sur Radio Mali, l'ancêtre de l'Office nationale de radiotélédiffusion malienne (ORTM) inspirera une exposition de photographies de Malick Sidibé en 2017-2018 à la Fondation Cartier à Paris. Le réalisateur Robert Guédiguian à essayé un peu maladroitement dans son film Twist à Bamako de recréer l'atmosphère de l'époque au Mali sur fond de musique yéyé (Sylvie Vartan, Johnny Halliday...) mais c'est peut-être Boubacar Traoré qui l'illustre mieux avec des morceaux comme Kayes ba ou Chachacha qu'on peut entendre dans l'émission Les auditeurs du dimanche. Sur Mali twist, morceau aussi déhanché que patriotique, Boubacar imite le chant du coq et exhorte le peuple malien à se lever et à construire le pays. Malheureusement le miracle espéré n'est pas arrivé et en 1968 Modibo Keita est renversé par Moussa Traoré. S'ensuit une période sombre pendant laquelle Boubacar, considéré à tort ou à raison, comme trop proche du régime précédent, disparaît de la scène. Pendant des années, il survit d'expédients, tient une petite boutique. L'éclipse durera trente ans. Et puis, à la fin des années 1980 alors que beaucoup le croient morts, un journaliste malien le fait venir à la télévision nationale. Mais il faudra attendre 1990 pour qu'éclose enfin son premier album Mariama grâce à un producteur anglais Andy Kershaw et son label Sterns music. Boubacar est d'abord hésitant puis décroche le téléphone pour prendre rendez-vous ce monsieur qui le cherche. « Vous me reconnaîtrez facilement, je porte une casquette. » lui a t-il indiqué. Suivront les albums Kar kar (1992) et Les enfants de Pierrette (1995), un hommage à la mère de ses enfants Pierrette, morte en couche en 1989, le laissant inconsolable. En 1996, l'écrivaine belge Lieve Joris en fait l'un des héros de son récit Mali blues.

Crédit photo : Boubacar Traoré

Reconnaissance internationale

Mais la véritable consécration viendra en 2005 grâce à Christian Mousset qui produira les albums Kongo Magni et Mali Denhou (Lusafrica, 2010) et lui ouvrira les portes du festival Musiques métisses d'Angoulême dont il est alors directeur. Ce sera aussi la période de la rencontre musicale fusionnelle avec l'harmoniciste Vincent Bucher. Ce dernier, qui joue depuis l'âge de seize ans a côtoyé les plus grands bluesmen américains Louisiana Red, Melvin Taylor, et en France Bill Deraime ou Charlélie Couture. Sur scène, il est indissociable du Malgache Tao Ravao... et bien sûr de Karkar! Emportant dans ses bagages Pedro Kouyaté en vedette américaine Boubacar Traoré sillonnera l'Europe, le Canada-à Toronto il a rencontré Zakiya, la fille de John Lee Hooker, les États-Unis. En 2014, il enregitre Mbalimaou au studio Bogolan de Bamako avec le joueur de kora Ballaké Sissoko. Trois ans plus tard sort Dounia Tabolo un nouveau bel opus gravé à Lafayette en Louisiane avec des invités prestigieux Corey Harris, guitariste que l'on voit dans le documentaire de Martin Scorsese Du Mali au Missisippi, la chanteuse d'origine haïtienne Leyla McCalla et le multi-instrumentiste texan Cedric Watson. Une chose est sûre, Américains, Français ou Maliens, Karkar ne craint personne sur scène. Il l'a prouvé encore une fois aux spectateurs du New Morning, dont Christian Mousset, le 26 mars à qui il a offert un morceau de rappel. Espérons que ce footballeur de vocation continuera à dribbler longtemps sur scène avec sa guitare, pour notre plus grand bonheur...

Julien Le Gros

Crédit photo : L’Autel des Artistes de Panam

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ARTICLE 3

L'autel des artistes de Panam, une initiative de la Compagnie Isaac & Jade. Le 23 Fev2023 nous avons été à la rencontre de Jean Claude Naimro, chez lui à Paris, le mythique clavier de Kassav en interview à domicile pour la rubrique ‘’Interview news ‘’ de à compagnie Isaac et Jade sur L’autel des artistes de Panam.

L'autel des artistes de Panam, une initiative de la Compagnie Isaac & Jade. Le 23 Fev2023 nous avons été à la rencontre de  Jean Claude Naimro, chez lui à Paris, le mythique clavier de Kassav en interview à domicile pour la rubrique ‘’Interview news ‘’ de à compagnie Isaac et Jade sur L’autel des artistes de Panam.

Jean-Claude Naimro, piano solo

Depuis plus de quarante ans, Jean-Claude Naimro est le claviériste, avec un son immédiatement reconnaissable, du groupe Kassav. On a pu l'entendre dans des univers très divers, Sam Fan Thomas, Alain Marlin, Peter Gabriel, Marie-José et Roger Clency... Sans abandonner Kassav, le musicien martiniquais développe son projet solo. L'autel des artistes de Panam l'a rencontré chez lui peu avant son concert au Trianon, à Paris, le 18 mars.  L'occasion de revenir sur une carrière aussi riche que prolifique.

Il est l'un des piliers du son Kassav mais pendant longtemps il est resté un peu caché derrière ses camarades. Aujourd'hui Jean-Claude Naimro sort de l'ombre avec une tournée intitulée « Digital tour ». Le pianiste est né le 4 août 1951, à Saint-Pierre, à la Martinique. Fils d' un professeur de français, qui fut directeur du centre régional de documentation pédagogique de Martinique, et d'une employée de banque au Crédit martiniquais, le petit Jean-Claude n'a pas une vocation particulière pour la musique.  « Aussi loin que remontent mes souvenirs ce n'était pas un objectif pour moi quand j'étais gosse. »  Pourquoi donc a t-il emprunté cette voie? Tout simplement parce qu'il y avait un piano à la maison à Fort-de-France. « Dès huit ans, je me suis assis et je me suis mis à jouer et à aimer ça un peu plus d'année en année. C'est parti comme ça. »  Ainsi, Jean-Claude fera des études de piano classique sous la houlette de mademoiselle Danel et d'Alice Nardal Eda-Pierre, mère de la chanteuse d'opéra Christine Eda-Pierre. Il est scolarisé au lycée Schoelcher à Fort-de-France. Jean-Claude échouera au Baccalauréat mais aura 20/20 en musique, comme il le raconte dans l'émission « Ma parole » sur la chaîne Outre-mer la Première au micro de Cécile Baquey.  Pour l'anecdote, un de ses camarades de promotion au lycée Schoelcher est le futur journaliste Edwy Plenel, dont le père Alain, fut vice-recteur de Martinique de 1955 à 1960 et milita, au prix de sa carrière, contre le colonialisme français aux côtés d'Edouard Glissant et d'Aimé Césaire. Mais c'est une autre histoire. De son côté, Jean-Claude fait ses gammes dans les années 1960 avec des copains musiciens. «J'ai fait partie  d'un premier groupe, puis pendant  trois ou quatre ans un deuxième qui s'appelait les Cocoanuts jusqu'au bac » Les Cocoanuts (ou noix de coco), dont font partie les frères Alpha, Jean-José et Jacky, avaient, selon les mots de Jean-Claude Naimro, un côté « avant-gardiste » dans le sens où « il y avait déjà plusieurs chanteurs comme ce qui se fait maintenant. Les featuring d'artistes n'existaient pas à l'époque. Il y avait un chanteur dont le répertoire était plutôt constitué de biguine et de mazurka, une chanteuse qui assortissait la biguine à la variété française, les chansons d'Édith Piaf et un autre qui reprenait les standards américains. On n'avait que seize ou dix-sept ans mais on était très organisés pour notre âge. Quelqu'un s'occupait de nous décrocher des contrats, un autre gérait le peu d'argent qu'on gagnait. » De cette période d'apprentissage et de découverte musicale Jean-Claude a conservé un disque « collector » le 45 tours daté de 1968 Le vent de mon pays  édité par Sonovox records, quasiment introuvable aujourd'hui. Sur une reprise de Cold sweat de James Brown on peut déjà entendre un solo de piano caractéristique du futur claviériste de Kassav.

https://www.youtube.com/watch?v=QGd6HYjHR1o&embeds_euri=https%3A%2F

Accompagnateur versatile

Un an plus tard, Jean-Claude Naimro s'installe à Paris pour intégrer une école de musique. Il accompagnera nombre de chanteurs et chanteuses « par ci par là au gré des opportunités. Ça ne s'est pas fait d'un claquement de doigts », insiste t-il. Parmi ses premiers engagements professionnels, Eddie Constantine, célèbre acteur et chanteur américain de music-hall, Alan Deloumeaux alias Alan Shelly, chanteur de soul guadeloupéen, un peu oublié aujourd'hui, qui a été accompagné par un certain Manu Dibango ou encore la chanteuse noire américaine vivant à Paris Nancy Holloway, très populaire en France dans les années 1960. Jean-Claude Naimro rencontre aussi le bassiste de Martin Circus Bob Brault, avec lequel il fonde le groupe de jazz-rock Mozaique en 1974. En 1976, il jouera avec Eddie Mitchell, puis partira l'été sur les routes avec la troupe de Michel Fugain, dont le célèbre Big Bazar venait de se dissoudre en 1977. « Tous ces épisodes ont été assez courts, ça a duré un an maximum à chaque fois. C'est comme aujourd'hui, chacun trouvait des jobs. Pour moi, c'était une façon de gagner ma vie. Comme j'étais plutôt doué, j'accompagnais des gens pour survivre. Je n'avais pas en tête de faire carrière dans la musique. Ce qui me passionnait vraiment c'était la course automobile, tout en sachant pertinemment que j'avais une chance sur un million d'y arriver! », nous raconte avec lucidité Jean-Claude Naimro. La période Fugain qui n'a duré que quelques mois lui laissera un très bon souvenir: « C'est quelqu'un d'extrêmement humain et gentil. On avait des caravanes autour d'un chapiteau et on se déplaçait d'une ville à l'autre. Il venait nous voir l'après-midi, on jouait à la pétanque. Nos compagnes allaient au marché, chacun faisait sa petite cuisine et passait dans la caravane de l'autre. »

Jean-Claude a connu « Tonton Manu » Dibango l'année suivante. Celui-ci travaillait déjà avec le futur  batteur de Kassav Claude Vamur. La collaboration avec Manu Dibango a duré trois ou quatre ans. Parallèlement, Jean-Claude joue avec la chanteuse sud-africaine Miriam Makeba. Mais cet entre-deux périlleux entre deux jobs fera long feu. « Est arrivé le jour où les deux avaient un concert important. J'ai choisi de me faire remplacer chez Miriam Makeba. Le lendemain, j'étais viré par Miriam et je suis donc resté un peu plus longtemps chez Manu. » De la période Makeba, il se remémore d'avoir passé un mois chez elle à Conakry où elle vivait comme réfugiée politique ayant fui le régime d'Apartheid en Afrique du Sud et la ségrégation aux Etats-Unis: « Peu d'artistes vous accueillent sous leur toit. Elle n'a pas voulu que j'aille à l'hôtel. Je suis resté une quinzaine de jours chez elle et c'est là que j'ai connu son mari le Black Panther Stokely Carmichael qui s'est fait rebaptiser Kwamé Turé. J'ai aussi rencontré Harry Belafonte à New York lors de son jubilé un an plus tard. À Conakry, on passait nos soirées à écouter les anecdotes de Miriam sur le racisme aux États-Unis. Un  jour, elle est allée dans une piscine d'un grand hôtel et l'eau a été vidée après qu'elle soit sortie. »

https://www.youtube.com/watch?v=9rg8oT81vWE

L'aventure américaine

En 1979, Naimro connaît une parenthèse enchantée et inattendue en restant une année entière dans le quartier de UCLA à Los Angeles, aux États-Unis. La raison? « À l'époque j'accompagnais un chanteur guadeloupéen Harold qui m'a ramené dans ses bagages. Celui-ci a voulu  enregistrer à Los Angeles avec les plus grands musiciens américains de l'époque. Il était sponsorisé par un producteur milliardaire, marié à une comtesse italienne. » Prévu pour durer deux mois le projet s'éternisera car les musiciens, dont certains sont basés dans d'autres villes comme Chicago ou New York ne sont pas libres au même moment. « Au casting, il y avait Wah Wah Watson à la guitare, Gene Page, l'arrangeur de Barry White, à la direction artistique, une équipe de cuivres bien précise... Dans l'intervalle, je suis resté aux frais de la princesse à me dorer la pilule et à voir des concerts. » sourit Jean-Claude Naimro. Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Grâce à une choriste d'Aretha Franklin qui sort à l'époque avec Harold, Jean-Claude se retrouve invité à la boîte de nuit The Roxy pour l'anniversaire de Stevie Wonder, en présence notamment des Jackson Five et Diana Ross. « J'ai aussi été à celui de Mohamed Ali. J'ai pu lui parler cinq minutes. Comme par hasard, ce sont les deux personnes que j'admire le plus au monde, Stevie dans la musique et Mohamed Ali dans le sport.  Ça a été une année fabuleuse. J'ai aussi rencontré le producteur de Donna Summer, c'était l'époque du disco. » Le comble c'est que l'album, certainement somptueux, qui sera finalement gravé à Los Angeles par Jean-Claude Naimro et ses prestigieux pairs musiciens... est resté, pour des raisons obscures, dans les tiroirs.

https://www.youtube.com/watch?v=Ebutthv6Fp4

Du Makossa à Kassav

Au cours de la décennie suivante, Jean-Claude Naimro, qui fait partie avec le bassiste Michel Alibo, des musiciens antillais de studio particulièrement prisés va enregistrer avec la plupart des artistes camerounais sur Paris, Guy Lobé, Moni Bilé, André-Marie Tala (Je vais à Yaoundé), Ben Decca, Dina Bell... « Pour une raison simple, c'est que le piano est un instrument qui coûte cher. Les musiciens camerounais se dirigent plus naturellement vers la batterie, il suffit de petits fûts pour s'entraîner ou la basse.  J'ai  d'abord enregistré avec un ou deux artistes et de fil en aiguille mon nom a circulé. Comme je suis parti à Douala avec Manu Dibango ça m'a donné encore plus de notoriété et on m'a appelé de plus en plus. J'ai pratiquement travaillé avec tous ceux de l'époque au cours de cette décennie. »

Beaucoup de gens l'ignorent mais c'est lors de ces sessions d'enregistrement au studio Johanna à Bagnolet, qui aujourd'hui n'existe plus, que Jean-Claude Naimro a fait une rencontre déterminante pour la suite avec un certain... Jacob Desvarieux. « Jacob travaillait aussi au studio comme arrangeur et guitariste pour des musiciens africains.On ne se connaissait pas du tout. J'ai entendu parler de lui et vice versa. Un jour, il m'a proposé de participer à l'album de Georges Décimus La vie (1983) Pour l'anecdote, sur cet album, Patrick Saint-Eloi, qui n'est alors pas encore célèbre, joue des percussions. Entre Jacob, le requin de studio, le bassiste Georges Décimus (cofondateurs de Kassav avec Pierre-Édouard Décimus en 1979) et Jean-Claude Naimro naîtra une belle alchimie musicale qui se poursuivra avec Kassav. « Ce sont les hasards de la vie, la mayonnaise a bien pris entre nous et l'aventure est partie comme ça. Avec Kassav, les codes de la musique antillaise commençaient à changer. Jusqu'ici, celle-ci se faisait de façon très spontanée au niveau des choeurs, des cuivres... Qu'on le veuille ou non les Américains donnent le ton en matière de musique et comme eux, Kassav a adopté les boîtes à rythme. Forcément, les choeurs et les cuivres étaient plus en place. J'ai trouvé cette manière de bosser portée par Jacob, qui était un précurseur, assez intelligente. On peut programmer sur une boîte à rythme des congas et ensuite faire jouer le percussionniste en live. À l'arrivée, vous obtenez un résultat cent fois plus intéressant que ce qui se pratiquait avant. On avait vraiment un temps d'avance sur le reste des groupes caribéens de l'époque.» 

https://www.youtube.com/watch?v=Gc2XuKcY0sU

Kassav réalise aussi l'union entre les deux îles soeurs la Martinique et la Guadeloupe séparées par trois cent kilomètres, avec des Guadeloupéens, les frères Décimus, Patrick Saint-Eloi, Jacob Desvarieux, le batteur Claude Vamur et des Martiniquais Jocelyne Béroard, Naimro, Jean-Philippe « Pïpo » Marthély. « Cela n'a jamais existé qu'avec nous. La raison première c'est que ça s'est fait à Paris. C'est le fait d'être dans cette ville qui nous a permis de faire un groupe avec des Antillais, Guadeloupéens et Martiniquais, sans calcul aucun. Ce qui importe c'est le talent de la personne et non ses origines. »  En 1986, le disque Gorée, sous le nom du tandem Desvarieux-Décimus, est une étape forte dans le pont entre la Caraïbe et  l'Afrique. Gorée, en référence à cette île du Sénégal d'où partaient les esclaves lors de la traite négrière. « Ce lien avec l'Afrique a touché chacun des membres de Kassav Je ne pense pas qu'avant nous des Martiniquais et des Guadeloupéens aient mis les pieds en Afrique pour jouer de la musique. On a commencé par un premier concert à Abidjan, en Côte d'Ivoire, en 1985, où on a été accueillis comme des dieux vivants. Alors que chez nous on commençait à être connus. Après ça on a été au Cameroun et au Sénégal. Aller à Gorée et voir d'où sont partis les esclaves pour arriver chez nous ça a forcément eu des conséquences sur notre musique. Des choses se sont réveillées en nous. De l'autre côté, rythmiquement, nos musiques antillaises ont aussi parlé aux Africains. Jacob, Georges, Jean-Philippe, Patrick ou moi composons différemment mais avec une consonance qui se retrouvait dans Kassav. C'est ce qui a fait notre force, cette pluralité contenue dans un moule unique.  »

https://www.youtube.com/watch?v=cSN5AzyHP3M

Kolé Séré et Baby Doc 

De ce moule sortira notamment la fameuse composition de Jean-Claude Kolé séré immortalisée dans Siwo de Jocelyne Béroard et qui sera reprise par Philippe Lavil un an plus tard. « C'est un morceau que j'ai composé rapidement mais il n'y a pas de règle. Une idée vient parfois tout de suite, parfois elle prend trois mois. » Ironiquement, l'inspiration  de cette chanson d'amour viendra en Haïti, en plein marasme politique, avec la destitution, sous la pression de l'administration Reagan, du dictateur François Duvalier dit « Baby Doc ». Ce dernier fuira pour la France le 7 février 1986. Et Kassav dans tout ça? « On était  bloqués à l'hôtel en Haïti sans savoir si on pourrait faire un concert prévu le samedi. », se rappelle Jean-Claude Naimro. « Comme je m'ennuyais, j'ai pianoté sur mon petit clavier et cette mélodie est sortie comme ça. Si je pouvais faire dix morceaux comme ça chaque mois j'en serai le plus heureux mais ça ne se passe pas comme ça! Quand on est en tournée en Afrique et qu'on arrive trois jours avant le concert on a le temps de composer. Georges et Jacob, dans leur chambre d'hôtel, avec leur guitariste acoustique, pour moi, avec le clavier c'était plus compliqué, ont beaucoup composé en fixant des idées sur un enregistreur cassette. Ils pouvaient les peaufiner ensuite, au retour à Paris. »

Le miracle Kassav

Plus de quarante ans plus tard, Kassav existe toujours, ce qui relève du miracle, grâce aux personnalités complémentaires de chacun. 

« Au départ, décrypte Jean-Claude Naimro,  Jacob c'est le patron. Au fur et à mesure cette notion s'est estompée dans le sens où chacun a pris ses marques avec une fonction précise, un peu comme dans un gouvernement. Jacob, c'est le studio et les médias, Jocelyne, les médias et la mémoire du groupe et c'est une parolière émérite. Patrick c'était le « cool », il prenait toute son importance sur scène parce qu'il vivait retiré. « Pipo » c'est l'ambianceur, le chef d'orchestre sur scène. Georges aplanit les problèmes, parle aux uns et aux autres. Moi, je fais un travail en coulisses à préparer les répétitions, les mises en scène. » Malgré la disparition de Patrick Saint-Eloi en 2010 et celle de Jacob Desvarieux en 2021 et l'AVC de « Pipo » Marthély, la pandémie, le groupe est toujours là. « Après le décès de Jacob on ne savait pas trop quoi faire.  On a dû trouver une manière de rebondir. Soit on arrêtait tout soit on trouvait une manière de prolonger cette  belle histoire. On le fait sous la forme d'une  

tournée d'hommage à Jacob. Celle-ci commencera le 13 mai au festival de jazz de Sainte-Lucie. La suite de Kassav sera dictée par beaucoup d'éléments que je ne possède pas. »

https://www.youtube.com/watch?v=I4On7vHE09o

En attendant la tournée de Kassav, après un premier concert réussi à l'Atrium en Martinique, avec Pipo en guest, Jean-Claude Naimro sera sur scène au Trianon à Paris le 18 mars. L'artiste n'en est pas à son coup d'essai en solitaire. Jean-Claude a sorti notamment un premier album solo remarqué en 1985 En balaté mais aussi Digital dread en 1996 avec Papa Wemba en invité sur un titre Ou pèd la klé. Sur la scène du Trianon, il a convié Jocelyne Béroard et Georges Décimus, bien sûr, mais aussi Ralph Thamar, Tony Chasseur; Cindy Marthély, fille de Pipo, et Greg'z pour la nouvelle génération: « J'avais envie de monter sur scène pour m'évaluer moi-même, savoir ce que je vaux tout seul sans les autres membres de Kassav. C'est un beau challenge. J'ai hésité. Beaucoup m'ont dit, tu en es capable, ne fut-ce que mon attachée de presse Karine Lagrenade qui est présente lors de cette interview.  Pour moi qui aime ma tranquillité, être en solo me demande des efforts que les gens n'imaginent pas, l'organisation du concert, le travail sur la sonorisation, les lumières, les arrangements, gérer les invitations, la promotion médiatique, un exercice que je n'aime pas.»

https://www.youtube.com/watch?v=oPJ32SJYtMM

Une chose est certaine, Jean-Claude Naimro est loin d'avoir dit son dernier mot: « Ma vie s'est passée à être le pianiste des uns et des autres et c'est de là que je tiens ma force. Chaque artiste amène quelque chose et je m'adapte. Pour éviter d'être has been je dois travailler avec des gens beaucoup plus jeunes.  Quand je jouais du makossa  avec Sam Fan Thomas dans les années 1980 c'était un style frais. Si je trouve quelqu'un qui est nouveau et qui a du talent comme Riddla  avec lequel je suis en duo sur le titre Bel pawol pou an fanm en hommage à Gilles Floro, je suis à sa disposition. » L'appel est lancé.

https://www.youtube.com/watch?v=NwOYdO2pKb0

Le site de l'artiste:

https://www.jeanclaudenaimro.com/

Julien Le Gros

Thé ou café

Deux question à Jean-Claude Naimro

Si vous n'étiez pas musicien qu'auriez-vous fait?

Mon rêve aurait été d'être pilote automobile, et dans un second temps cuisinier parce que j'adore cuisinier. Mais c'est un métier qui demande beaucoup de travail.

Que vous reste t-il de ce que vous avez vu de l'Afrique?

Je reviendrai bientôt en Afrique. J'y suis lié, particulièrement au Cameroun ou quelques personnes ont même choisi de porter mon nom. Je suis aussi lié au Gabon, à la Côte d'Ivoire, à l'Angola. C'est comme ça et ça le sera jusqu'à la fin.

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ARTICLE 2

L’autel des artistes de Panam, une initiative de la compagnie Isaac et Jade, inaugure son deuxième article, avec Madeleine et Salomon, un duo envoûtant entre jazz et pop orientale des années 1960.”

L’autel des artistes de Panam, une initiative de la compagnie Isaac et Jade, inaugure son deuxième article, avec Madeleine et Salomon, un duo envoûtant entre jazz et pop orientale des années 1960."

LE PRINTEMPS DE MADELEINE ET SALOMON

Eastern spring, c'est le nom du deuxième disque de Madeleine & Salomon, une ode à la pop orientale des années 1960-1970. L'autel des artistes de Panam a rencontré ce duo attachant dans le décor cosy et rétro d'Aux petits oignons, un bistrot du XXème arrondissement de Paris. Madeleine & Salomon seront notamment en concert ce 17 mars au Comptoir à Fontenay-sous-Bois et le 1er avril salle Delavaud au Versailles Jazz Festival.

Derrière ce nom de scène de Madeleine & Salomon se cachent les deuxièmes prénoms de Clotilde Rullaud, chanteuse, flûtiste, et Alexandre Saada, pianiste. Les deux compères - qui ont fait vivre leur nouvel album au festival Au fil des voix en février, - l'autel des artistes de Panam y était - se connaissent de longue date. Clotilde a commencé à pratiquer la flûte traversière dès l'âge de cinq ans. À la fin de l'adolescence, elle décide de se professionnaliser, étudie le jazz et les musiques du monde. « J'ai exploré les techniques vocales en allant chercher ailleurs, comment on fait sonner sa voix dans d'autres cultures. C'est venu au cours de voyages par des rencontres avec des musicien.ne.s avec lesquel.le.s j'ai collaboré et avec des maîtres de ces cultures. » Parmi les (belles) collaborations de la vocaliste, citons Chris McCarthy, Olivier Hutman, Alain-Jean Marie, Emmanuel Bex, ou encore Hugo Lippi. Le parcours d'Alexandre présente des similarités avec celui de Clotilde. Il commence le piano à 4 ans et demi, entre au conservatoire de musique à 6 ans , puis à l'adolescence il fait lui aussi ses gammes mais au sein d'un groupe de rock et dans la troupe d'une comédie musicale. Le réel déclic lui vient d’un disque offert par sa tante: « Grâce à  elle j'ai découvert le jazz et les musiques improvisées. Ça m'a permis de découvrir quelque chose de différent, j’étais vraiment issu de la culture classique. L'improvisation m'a ouvert des perspectives. » Le jeune homme quitte son Avignon natal pour Paris en 1999 où il fera de nombreuses rencontres, ce qu'il appelle « les choses de la vie ». Son chemin croisera celui de Philippe Baden-Powell, de la diva de soul Martha Reeves, qu'il accompagne en tournée, ou encore de Malia, chanteuse britannique originaire du Malawi. Il a  aussi signé la bande originale de plusieurs films dont Youssef Salem a du succès de Baya Kasmi.

La rencontre Madeleine & Salomon. En 2014, Clotilde Rullaud est programmée pour une série de concerts pour la fête de la musique à Pékin, en Chine, autour de la francophonie, avec un répertoire de standards de la chanson française. «  Auparavant, on a joué dans un groupe pendant quelques années, Clotilde en tant que flûtiste et moi en tant que pianiste. » raconte Alexandre Saada.  « Un jour, en 2014, elle m'appelle pour remplacer son pianiste au pied levé.  En Chine, on s'est découvert une sensibilité musicale commune. On se connectait facilement, ce qui n'est pas si courant. On a eu envie de faire quelque chose de cette relation qui fonctionne bien ». Un an plus tard, à la demande du Melbourne Recital Center en Australie, le duo se reforme cette fois sur le thème de l'American song book, c'est-à-dire la Bible des standards de la musique américaine. Clotilde avait choisi pour l’explorer, l’axe des « protest singers », des chanteuses engagées. En ressort un premier disque intitulé A woman's journey, paru sur les labels Tzig’Art / Promise land.

A woman's journey. « L'idée,» poursuit Clotilde, « c'était de rendre hommage à ces chanteuses, majoritairement autrices-compositrices, qui faisaient passer des messages à travers leur musique ou qui se sont positionnées durant leur carrière de façon très radicale en faveur d’une cause forte. Nina Simone a sacrifié en partie sa carrière de chanteuse car elle ne voulait pas cesser de défendre les droits des Africains-Américains. C'est une tradition importante aux États-Unis, ces mouvements de lutte pour les droits, portés par les femmes. Par exemple, après l'élection de Donald Trump en janvier 2017, il y a eu la Women's march, le premier mouvement de protestation dans la rue contre le leader du Parti républicain. »

Le tandem a dû s'arrêter sur une liste de chansons et se les approprier en fonction « de notre sensibilité et de notre goût.» complète Alexandre Saada. Behind the wall de Tracy Chapman, cette chanson qui traite des violences conjugales entendues à travers un mur mitoyen aurait pu en faire partie. « On a essayé de la prendre dans tous les sens mais on n'en tirait rien.», avoue Alexandre.

À la question de savoir comment le duo a abordé le poème d'Abel Meeropol Strange fruit mis en musique et interprété par Billie Holiday, qui renvoie au lynchage des Noirs pendant la ségrégation aux États-Unis, Alexandre répond : «Il faut y aller avec humilité. C'est une chanson, un objet d'art qu'on se retraverse. Il y a eu tellement de versions. On a creusé en nous avec notre caractère minimaliste, trois informations qu'on retire de ce poème, quelques notes, la voix. Rester simple. C'est important d'évoquer ces sujets. Les souffrances des Noirs ou des Juifs, puisque Meeropol l'était, n'appartiennent pas qu'à ces peuples. C'est une affaire d'humanité. L’Histoire nous touche et nous concerne tous.»

Parmi ces «cover» (reprises) épurées on trouve le fameux Mercedes Benz de Janis Joplin.Pour Clotilde, le fait de s'être « attaqué » à ces «immenses chanteuses avec une empreinte forte c'était un pari risqué parce que ce n'est pas sûr de pouvoir proposer une version qui ait un intérêt dans l'histoire de cette chanson. Faire en sorte de l'éclairer, que les gens la redécouvrent sous un autre angle. Janis Joplin est un monstre de la chanson. On a essayé de produire quelque chose d'universel et personnel à la fois.»

Étrangement, cet opus féministe est sorti un an avant la vague #Metoo contre les violences sexistes et sexuelles, qui a déferlé suite à l'affaire Weinstein en octobre 2017. «Cela fait des années que la condition féminine interroge. On est imprégné de ça. Ça se sent dans la société.» décrypte Alexandre.

Eastern spring. En 2018, les deux artistes planchent sur un nouveau projet. Tout part de la chanson A swallow song, de Mimi (la sœur de Joan Baez) et son mari Richard Fariña, issue du répertoire ladino, c'est-à-dire judéo-espagnol. «Le fait que cette chanson ait touché les gens nous a donné envie de faire des recherches autour du bassin médittéranéen.» explique Clotilde. «En escale à Abu Dhabi, enchaîne Alexandre, on trouve un «Montreux jazz café». On se pose alors des questions sur les influences orientales et occidentales. Il y avait un sous-bock à bière avec écrit «Pop café». Cela nous a amené à discuter de la pop orientale, à réfléchir sur l'interpénétration de ces deux mondes, les Beatles en Inde avec Ravi Shankar... Comment l'Orient s'inspire aussi de l'Occident.». Dès lors, le tandem va s'envoyer des fichiers partagés, une compilation aux accents Pop Bossa Nova, glanée en Israël pour Alexandre, des accents marocains, avec la musique des frères Megri de Rabat... Clotilde interroge ses ami.e.s artistes venu.e.s de Turquie, d’Iran, du Liban, de Tunisie, qui lui traduisent le sens parfois codé de certains poèmes... De ce travail de collecte, une playlist gigantesque émerge, remplie de pépites. «Il faut alors faire un choix», nous dit Clotilde : «On a écouté ensemble, en se disant, ça on jette, ça on garde. On est passé de deux cent titres à une trentaine sur lesquels on a travaillé. Au final, celles qu'on a gardées avaient toutes des sous-textes forts. Peut-être qu'on l'a ressenti. Dans leur musique, il y a de la densité.» Par exemple, sur Ma fatsh leah, chanson mythique de 1978 du groupe égyptien Al Massrien « On était en résidence à l’auditorium de l'hôpital Bretonneau à Paris. On a tâtonné avec un mini-synthé, une boîte à rythmes. Il y a une ritournelle au synthétiseur dans la version originale qui nous plaisait beaucoup. On en a gardé un élément, un ostinato, une boucle mécanique dans le morceau qui est sa signature et qu'Alex place ailleurs dans son jeu de piano. C'est inconscient, on ne s'en est rendu compte qu'après-coup.» analyse Clotilde.

https://www.youtube.com/watch?v=zHNSAK-iWy0

https://www.youtube.com/watch?v=am_utNHjclk

https://www.youtube.com/watch?v=0nonCuddOac

Parmi les autres moments forts de l'album Eastern spring que l'on peut traduire par « Printemps de l’Orient », figure Matar Naem, une chanson de 1978 (album Oghneya) du groupe libanais Ferkat Al Ard. Le texte de la chanson est un poème engagé et très imagé du Palestinien Mahmoud Darwich. Celui-ci parle à demi-mot de son pays, la Palestine, en train de disparaître. « Je n'attends de toi que le mouchoir de ma mère et une nouvelle raison pour mourir. » dit entre autres ce texte puissant. Mais l'histoire ne s'arrête pas sur cette note dramatique: « Un jour », s'enthousiasme Alexandre, « Jannis Stürtz, du label Habibi Funk, nous dit que Issam Ajali, chanteur et compositeur du groupe a entendu notre version. On a pu échanger avec lui sur le sens de cette chanson, sur cette époque. C'était touchant. »

https://www.youtube.com/watch?v=sJpviDAg4o4

https://www.youtube.com/watch?v=0nonCuddOac

Un message universel. Le couple musical a aussi revisité le rock anatolien de Selda Bağçan. De manière insolite et tragique, l'actualité est entrée en résonance avec ce nouveau projet. En février, un séisme a fait plus de 50000 morts endeuillant la Syrie et la Turquie, et touchant de plein fouet la région anatolienne. La chanson Ince ince Bir Kar Yagar est un cri de révolte d'un habitant d'une petite ville qui interpelle le pouvoir central face à ses carences. Or, en écho, le gouvernement Erdogan s'est révélé défaillant dans la gestion de l'arrivée des secours après le séisme de février 2023. Les textes sont traduits de l'arabe, du turc, de l'hébreu, du grec ou du persan mais c'est l'anglais, l'idiome de la communication mondiale qui ressort dans ce beau disque et fait le lien entre les titres. Au final, comme dans la chanson qui conclut la tracklist, le message universel qui nous est proposé, c'est celui de l'amour. Do you love me? (Est-ce que tu m'aimes?), nous susurre Clotilde Rullaud.

Pour celles et ceux qui les ont raté, pas de panique, Madeleine & Salomon seront notamment en concert ce 17 mars au Comptoir à Fontenay-sous-Bois et le 1er avril salle Delavaud au Versailles Jazz Festival. Le meilleur est à encore à venir. Le duo piano-voix sera en première partie du légendaire guitariste de jazz Pat Metheny le 15 juillet dans le cadre idyllique du Théâtre de la mer de Sète. Qui dit mieux?

Julien Le Gros

Pour aller plus loin:

https://www.facebook.com/madeleineandsalomon/

https://madeleine-salomon.bandcamp.com/

https://alexandresaada.com/smartphones_tablets/

https://clotilde.art/

THÉ OU CAFÉ

CLOTILDE : J'aurai aimé être médecin.

ALEXANDRE : Je me serai sûrement investi dans des missions humanitaires.

Pensez-vous que votre musique va voyager autant que Kankou Moussa, le voyageur?

CLOTILDE : C'est ce qu'on lui souhaite.

ALEXANDRE : Qu'elle se promène!

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ARTICLE 1

L'autel des artistes de Panam était le 30 janvier 2023 au restaurant Chez Céleste, dans le quartier de la Bastille, avec Teofilo Chantre. Cet artiste humble et prolifique a travaillé avec les plus grands Cesaria Evora, bien sûr, mais aussi Bonga, Emir Kusturica, Mariana Ramos... Rencontre.

Les deux amours de Teofilo Chantre

L'autel des artistes de Panam était le 30 janvier 2023 au restaurant Chez Céleste, dans le quartier de la Bastille, avec Teofilo Chantre. Cet artiste humble et prolifique a travaillé avec les plus grands Cesaria Evora, bien sûr, mais aussi Bonga, Emir Kusturica, Mariana Ramos... Rencontre.

Sur le visage apparemment impassible de Teofilo Chantre, 59 ans, on peut deviner une certaine mélancolie. Cette nostalgie (saudade), qu'on peut déceler dans le regard de Teofilo c'est celle de la morna, ce style musical emblématique du Cap-Vert. « C'est beaucoup lié à notre histoire, être entouré par l'Océan Atlantique, voir l'horizon fuyant et être dans cette problématique, présente dans la poésie cap-verdienne, vouloir partir et devoir rester ou devoir partir et vouloir rester. » nous explique Teofilo Chantre. « La  nostalgie dans la morna est liée à ce sentiment de séparation. Se sentir seul au monde et être en même temps relié par ceux qui sont partis et qu'on est obligé de revoir ou d'aller rejoindre. Il y a quelque chose d'universel dans l'ambiance nostalgique des ports. Au Cap-Vert, on en a fait un art qui s'exprime à travers les chansons de morna. D'ailleurs, beaucoup de pêcheurs sont musiciens. Je pense que ce côté chaloupé de la morna vient des vagues, de cette sensation de roulis qu'ont les pêcheurs quand ils sont sur leurs barques. Après, quand ils sont à terre, ils continuent à tanguer avec leur guitare, leur cavaquinho. »

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Avec sept albums à son actif, Teofilo Chantre jouit lui-même d'une solide réputation professionnelle entre la France, où il vit depuis plus de quarante ans, et le Cap-Vert, sa terre natale. Le repaire de Teofilo c'est le restaurant Chez Céleste, un petit bout du Cap-Vert à Paris, tapissé de photos avec la patronne qui témoignent des passages du maestro et de son groupe. Il y a été notamment filmé en 2018 en train de jouer le titre Roda vida (Le chemin de la vie).

https://www.youtube.com/watch?v=KFzQIfU3O78

Le chemin de vie de Teofilo commence le 26 octobre 1963, jour de sa naissance, à Ribeira Brava, le chef lieu de l'île de São Nicolau. Celle-ci fait partie du groupe d'îles Barlavento (les îles au vent), au nord de l'archipel du Cap-Vert  (1) . Teofilo grandit dans une autre île São Vicente, plus précisément à Mindelo, la ville natale de Cesaria Evora.  En 1977, Teofilo a quatorze ans et son destin change quand il part rejoindre sa mère. Celle-ci vit alors à Paris depuis trois ans.

Au moment de cet exil, nous sommes deux ans après l'indépendance du Cap-Vert, proclamée le 5 juillet 1975. «  J'ai passé la majeure partie de mon enfance pendant la colonisation portugaise, pays alors sous le joug du régime dictatorial de Salazar. », analyse Teofilo Chantre. « Il y avait la guerre  contre les indépendantistes dans les colonies africaines du Portugal, l'Angola, le Mozambique, la Guinée-Bissau et le Cap-Vert. »

Une colonie négligée

Le Cap-Vert était l'une des colonies portugaises les plus négligées, en raison de son peu de ressources naturelles, avec comme principal atout sa situation stratégique. « À l'indépendance on partait pratiquement de zéro, décrypte Teofilo « Tout était à faire. Il y avait très peu d'infrastructures. Il y a une anecdote qui en dit long, selon laquelle la Banque du Cap-Vert a été créée avec seulement cinquante mille dollars de capital. C'est la Suède qui aurait prêté cet argent au gouvernement. Nous sommes partis de très loin. Aujourd'hui, quand je vais au Cap-Vert et que je vois l'évolution des choses, je ne peux qu'être heureux, malgré certaines difficultés qui persistent. On a quand même fait un grand pas en quarante ans d'indépendance. »

Dès 1956, des militants indépendantistes ont créé le Parti africain pour l'indépendance de la Guinée-Bissau (celle-ci est obtenue en 1973) et du Cap-Vert. S'ensuit alors une guerre de libération nationale contre le Portugal colonial. « Mon premier contact avec cette lutte contre l'indépendance a eu lieu le 20 janvier 1973, jour où Amilcar Cabral a été assassiné. J'avais dix ans. J'ai vu la tristesse de beaucoup d'adultes et j'ai compris que l'histoire qu'on nous racontait selon laquelle Amilcar Cabral serait un « terroriste qui voulait nous attaquer. » était complètement fausse. Autour de moi, il était considéré comme un libérateur et j'ai commencé par avoir une prise de conscience sur ce que signifiait cette lutte pour l'indépendance. »

Pour Teofilo, l'indépendance de son pays sera une période de découvertes, « le panafricanisme mais aussi la richesse de la culture cap verdienne. Beaucoup de choses ont été occultées à l'époque portugaise. Petit à petit, je me suis senti pleinement cap-verdien, dans le sens où je maîtrisais  mieux ma propre culture. »  Malgré ce contexte particulier de la décolonisation, l'enfance de Teofilo à Mindelo est plutôt heureuse. « Je suis de culture catholique mais j'avais une préférence pour le temple protestant fréquenté par ma mère parce que c'est là qu'on offrait des cadeaux aux enfants à Noël. », sourit-il dans une interview accordée à nos confrères de France culture.

Voix du Cap-Vert

Mais au fait, comment la musique est elle entrée dans la vie de Teofilo?  « Un des premiers concerts auquel j'ai assisté enfant au Cap-Vert c'était Voz de Cabo Verde, un groupe fondé à Rotterdam, aux Pays-Bas en 1966. Voz de Cabo Verde s'est inspiré de la musique cap-verdienne mais aussi des musiques latino-américaines, des Caraïbes. Leur ouverture sur les autres musiques m'a touché. » L'ouverture sur le monde qui caractérise la musique de Teofilo sera aussi alimentée par l'un de ses oncles marin. « Quand il revenait au Cap-Vert il nous faisait écouter des disques de musique américaine, James Brown, les Jackson 5... » L'autre influence prédominante pour Teofilo est celle de la musique brésilienne: « Elle est arrivée chez nous assez tôt, dans les années 1920-1930 à travers le port de Mindelo. Les marins brésiliens y accostaient avec leurs instruments. Ils ne mêlaient aux musiciens locaux. À l'âge de dix ans, j'ai découvert le film Orfeu negro (1959) de Marcel Camus. En dehors de la partie musicale du film, il y avait tout un contexte culturel auquel je pouvais m'identifier. Naturellement, ces influences ont refait surface quand j'ai commencé à faire de la musique »

https://www.youtube.com/watch?v=cZi01WYb0y8&list=OLAK5uy_l2r4BT3kfjFnsqLuZEbevbeYhPFg9RBfY&index=7

Du Cap-Vert à De Funès

Mais revenons à l'année 1977. Élevé par ses grands-parents au Cap-Vert, Teofilo Chantre suit alors le parcours de beaucoup de Cap-Verdiens de la diaspora en rejoignant sa mère en France. « Je m'étais préparé psychologiquement à ce voyage. Le plus dur pour moi, ça a été la séparation avec mes grands-parents qui m'ont élevé depuis l'âge d'un an. Je ne les ai d'ailleurs plus revus puisqu'ils sont décédés deux ans après mon départ. ». Très vite, Teofilo s'est nourri de culture française. Le premier film qu'il voit au cinéma-il le saura plus tard- c'est Le gendarme à New York (1965), avec Louis de Funès. « Au Cap-Vert, les acteurs français Jean Gabin, Alain Delon, Brigitte Bardot, étaient très connus. Donc la France avait à la fois quelque chose pour moi de fantasmé et en même temps j'y allais en connaissance de cause. À l'époque c'était une société beaucoup plus avancée que la mienne d'un point de vue matériel. Ça a donc été un choc pour moi mais dans le bon sens du terme. » La musique française a aussi bercé le jeune Teofilo. « Ma mère était fan de Salvatore Adamo. La chanson Tombe la neige était un grand succès au Cap-Vert parce qu'Adamo l'a reprise en portugais avec le titre E cai a neve. Dans un tout autre registre, je connaissais Je t'aime moi non plus de Serge Gainsbourg qui passait beaucoup à la radio.  Bien sûr, Jacques Brel, Claude Nougaro, Georges Brassens, je les ai découverts une fois arrivé en France, et aussi Bernard Lavilliers en 1980 avec son disque O gringo, dans lequel il  y a des chansons brésiliennes et La Salsa. »

Débuts professionnels

En France, Teofilo fait ses débuts musicaux en se produisant à la guitare avec des copains cap-verdiens pour le compte d'associations communautaires. Mais la plupart de ces musiciens étaient amateurs, vivant d'autres emplois, et Teofilo désire vivre de sa musique. Sur scène et en studio, il va se tourner vers les musiciens de jazz. « Sur mon deuxième disque Di Alma (1997), je suis accompagné par de jeunes musiciens de la scène jazz parisienne Vincent Artaud  ou Sébastien Gastine à la basse, Antoine Banville, Fabrice Thompson à la batterie, Mehdi Bennani au piano, à l'accordéon Jacky Fourniret avec lequel j'ai joué souvent. Ces musiciens n'étaient pas issus de ma culture mais ils avaient la volonté de la comprendre. Je leur ai donné beaucoup de liberté. Ils m'ont apporté aussi. C'est comme ça que s'est fait ce mélange. Je dis souvent que je fais une musique universelle de base cap-verdienne. »

D'ailleurs, les racines cap-verdienne de l'artiste ne sont jamais loin. Son premier succès Caboverdeano imigrante présent sur son premier album Terra e cretcheu  (1994) parle de la condition d'un immigrant cap-verdien:  « C'est une musique que j'ai composée à partir d'un poème en portugais écrit par mon ami Luiz Andrade Silva, une figure du mouvement associatif cap-verdien. Avec cette chanson, j'ai gagné le deuxième prix d'un concours de chanson lusophone. Elle valorise l'apport économique et  tculturel des immigrants pour le Cap-Vert. Le refrain dit: « Frère Cap-verdien, il est temps de rentrer. Tu as fait le tour du monde à New York ou à Paris, avec des boulots difficiles. Tu as été marin, tu as travaillé dans les travaux publics, dans le froid, connu tout ce que les immigrants peuvent endurer. Il faut revenir pour profiter de la vie et aider à construire le pays qui t'a vu naître. »

J'ai deux amours, la France et le Cap-Vert

Ce pays qui l'a vu naître, Teofilo y retourne régulièrement. « J'ai la chance d'y être invité assez souvent pour faire des concerts. Quand on passe son enfance, cette période de découverte, dans son pays natal, on ne peut pas l'oublier. Les racines sont importantes. Au Cap-Vert, je suis considéré comme celui qui est parti. Il y a aussi une partie des gens, parmi les plus jeunes, qui ne me connaissent plus. C'est aussi à moi de leur dire que j'appartiens toujours à ce pays, que je suis avec eux. Un grand poète cap-verdien a dit qu'il ne faut pas rentrer en conquérant mais de façon très humble. Je me suis aussi bien intégré en France. Je me considère comme un Franco-Cap-verdien ou un Cap-verdien Français. J'ai acquis la nationalité française assez vite, vers seize ans, parce que ma mère était en phase de naturalisation. J'ai fait le service militaire en France. Comme dit Joséphine Baker: « J'ai deux amours »

Paradoxalement, c'est aussi en France et non pas au Cap-Vert que Teofilo rencontre Cesaria Evora, avec laquelle il travaillera pendant vingt ans jusqu'à la disparition de la « diva aux pieds nus » en décembre 2011:« Enfant, au Cap-Vert, j'avais entendu parler d'elle, de sa belle voix, sans l'avoir rencontrée. Je l'ai côtoyée pour la première fois à Paris lors d'un concert où elle se produisait et où j'ai été invité à chanter quelques chansons. À l'époque, je lui avais consacré une de mes compositions Dona Morna. Je connaissais son producteur José Da Silva, fondateur du label Lusafrica, parce qu'on a joué dans un groupe ensemble à Paris. Il m'a alors demandé si je n'avais pas des chansons  pour le prochain disque de Cesaria Miss perfumado, sur lequel se trouve le célèbre Sodade. J'en ai proposé trois, qui ont été prises sur l'album Luz dum estrela, Recordai et Tortura. » Comme beaucoup de gens, Teofilo sera irrémédiablement touché par la disparition de Cesaria: «  C'est grâce à elle que que tout le monde s'intéresse à cette musique. Malheureusement je n'ai pas pu aller au Cap-Vert au moment de ses obsèques. » Pour faire vivre le répertoire de la diva, et devant les nombreuses demandes des fans, un groupe le Cesaria Evora orchestra a été formé par José Da Silva avec « cinq chanteurs Lura, Lucibela, Elida Almeida, Nancy Vieira, moi-même et quatre musiciens qui ont accompagné Cesaria sur scène. »,  évoque Teofilo. « Des concerts de ce groupe sont prévus cette année au Cap-Vert, aux États-Unis et en Pologne. Les bénéfices de ces concerts sont reversés à la Fondation Cesaria Evora dont l'objectif est de permettre à de jeunes artistes d'obtenir une bourse pour étudier la musique au Cap-Vert ou à l'étranger. »

https://www.youtube.com/watch?v=LjfELQ57Mz

Teofilo Chantre a lui-même accompagné l'émergence d'autres artistes du Cap-Vert, Mariana Ramos, fille du doyen Toy Ramos, ancien guitariste de Voz de Cabo Verde, mais aussi celle de Lura, Nancy Vieira et, pour les plus jeunes, Mayra Andrade, invitée sur un duo Segunda geraçao, sur l'album Viaja de Teofilo; Lucibela et Elida Almeida. « Il y a beaucoup de jeunes qui me demandent des chansons. Quand je pense à quelque chose qui peut convenir je leur envoie volontiers. Ces nouveaux talents bénéficient de cet engouement pour la musique cap-verdienne. Ils sont conscients qu'il faut avoir un bon niveau et réalisent des productions de qualité. Elida Almeida vient de faire un très bon disque Dilonji, Carmen Souza, qui était récemment au festival Au fil des voix, mélange la tradition cap-verdienne et le jazz. Mariano Ramos prépare un disque. Au Cap-Vert il y a aussi des jeunes artistes qui mélangent le hip hop, la pop et la tradition cap-verdienne. »

https://www.youtube.com/watch?v=koQ5D_b8vKU

Métissage

De son côté, Teofilo a signé un magnifique septième album en 2011 MeStissage, avec des chansons en français et en créole cap-verdien (criolo), sur des arrangements de corde somptueux du violoncelliste Sébastien Giniaux: « Vivant en France et ayant un public majoritairement francophone ça me paraît important d'établir un contact direct avec ce public. Naturellement, j'ai introduit des chansons en français, avec l'aide d'auteurs. Je me suis amusé à les chanter tout en gardant une connotation cap-verdienne dans ma musique. Je ne voulais pas copier la grande chanson française qui existe déjà. Mon ambition c'était que le français sonne aussi sur des rythmes cap-verdiens. » Pari réussi!  Le titre  MeStissage est un néologisme entre le français et le portugais. Métissage s'écrit en portugais « mestiçagem ». Bernard Lavilliers est présent sur le titre Oli me ma bo. « Je le connaissais parce que j'ai écrit les paroles en criolo pour Cesaria Evora sur Elle chante un duo avec Lavilliers pour l'album de ce dernier Carnets de bord (2004).

https://www.youtube.com/watch?v=icf82qWITXE

Depuis douze ans, Teofilo Chantre, qui vit désormais en Auvergne, n'a pas sorti d'album. Mais que les fans se rassurent. Un nouvel opus devrait voir le jour cette année: « J'ai tout un répertoire de prêt. J'attends que les choses se mettent en place. Il est temps de sortir de nouveaux morceaux originaux pour alimenter l'intérêt du public et faire davantage de concerts. » On a hâte!

(1) L'autre partie de cet archipel du Cap-Vert, au sud, c'est Sotavento (les îles sous le vent).

THÉ OU CAFÉ

Trois questions à Teofilo Chantre

Nous avons apporté un disque 33 tours Musica de Cabo Verde (1974), sorti sur le label Alvorada. Qu'est-ce que le paysage sur la pochette vous évoque?

C'est un paysage de mon enfance, qui me parle complètement. Cette aridité emplie de beauté minérale, avec ce ciel bleu. Je crois reconnaître l'île de SãoVicente. Il y a une sensation de chaleur intense et en même temps de vent parce que sur cette île il y a beaucoup de vent. Cette photo date des années 1960. Cela me replonge dans ces années-là. Cela m'évoque des lieux où j'allais jouer petit. C'est un paysage qui fait penser au Far West américain. Je m'amusais à reproduire des scènes de certains westerns que je voyais au cinéma.

Votre musique n'est pas qu'africaine.

Il y a cette base africaine en passant par le Cap-Vert. Mais ma musique est aussi universelle parce que c'est une musique qui raconte l'existence et l'histoire d'êtres humains. Elle passe partout dans le monde. Quand je fais des concerts à l'étranger cette musique est toujours bien accueillie parce qu'elle parle au coeur des Hommes.

Enfin, aviez-vous une autre vocation que la musique?

Enfant, j'aurai voulu être berger au Cap-Vert parce que j'aimais beaucoup les animaux. J'avais un grand-cousin qui était berger lui-même. Sur le plan artistique, j'ai toujours eu une passion pour le cinéma donc j'aurai aussi voulu être acteur et réalisateur.

Julien Le Gros 

Teofilo Chantre :

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Te%C3%B3filo_Chantre

Le label Lusafrica

http://www.lusafrica.com/

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