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L’autel des artistes de Panam, une initiative de la compagnie Isaac et Jade, inaugure son deuxième article, avec Madeleine et Salomon, un duo envoûtant entre jazz et pop orientale des années 1960."

LE PRINTEMPS DE MADELEINE ET SALOMON

Eastern spring, c'est le nom du deuxième disque de Madeleine & Salomon, une ode à la pop orientale des années 1960-1970. L'autel des artistes de Panam a rencontré ce duo attachant dans le décor cosy et rétro d'Aux petits oignons, un bistrot du XXème arrondissement de Paris. Madeleine & Salomon seront notamment en concert ce 17 mars au Comptoir à Fontenay-sous-Bois et le 1er avril salle Delavaud au Versailles Jazz Festival.

Derrière ce nom de scène de Madeleine & Salomon se cachent les deuxièmes prénoms de Clotilde Rullaud, chanteuse, flûtiste, et Alexandre Saada, pianiste. Les deux compères - qui ont fait vivre leur nouvel album au festival Au fil des voix en février, - l'autel des artistes de Panam y était - se connaissent de longue date. Clotilde a commencé à pratiquer la flûte traversière dès l'âge de cinq ans. À la fin de l'adolescence, elle décide de se professionnaliser, étudie le jazz et les musiques du monde. « J'ai exploré les techniques vocales en allant chercher ailleurs, comment on fait sonner sa voix dans d'autres cultures. C'est venu au cours de voyages par des rencontres avec des musicien.ne.s avec lesquel.le.s j'ai collaboré et avec des maîtres de ces cultures. » Parmi les (belles) collaborations de la vocaliste, citons Chris McCarthy, Olivier Hutman, Alain-Jean Marie, Emmanuel Bex, ou encore Hugo Lippi. Le parcours d'Alexandre présente des similarités avec celui de Clotilde. Il commence le piano à 4 ans et demi, entre au conservatoire de musique à 6 ans , puis à l'adolescence il fait lui aussi ses gammes mais au sein d'un groupe de rock et dans la troupe d'une comédie musicale. Le réel déclic lui vient d’un disque offert par sa tante: « Grâce à  elle j'ai découvert le jazz et les musiques improvisées. Ça m'a permis de découvrir quelque chose de différent, j’étais vraiment issu de la culture classique. L'improvisation m'a ouvert des perspectives. » Le jeune homme quitte son Avignon natal pour Paris en 1999 où il fera de nombreuses rencontres, ce qu'il appelle « les choses de la vie ». Son chemin croisera celui de Philippe Baden-Powell, de la diva de soul Martha Reeves, qu'il accompagne en tournée, ou encore de Malia, chanteuse britannique originaire du Malawi. Il a  aussi signé la bande originale de plusieurs films dont Youssef Salem a du succès de Baya Kasmi.

La rencontre Madeleine & Salomon. En 2014, Clotilde Rullaud est programmée pour une série de concerts pour la fête de la musique à Pékin, en Chine, autour de la francophonie, avec un répertoire de standards de la chanson française. «  Auparavant, on a joué dans un groupe pendant quelques années, Clotilde en tant que flûtiste et moi en tant que pianiste. » raconte Alexandre Saada.  « Un jour, en 2014, elle m'appelle pour remplacer son pianiste au pied levé.  En Chine, on s'est découvert une sensibilité musicale commune. On se connectait facilement, ce qui n'est pas si courant. On a eu envie de faire quelque chose de cette relation qui fonctionne bien ». Un an plus tard, à la demande du Melbourne Recital Center en Australie, le duo se reforme cette fois sur le thème de l'American song book, c'est-à-dire la Bible des standards de la musique américaine. Clotilde avait choisi pour l’explorer, l’axe des « protest singers », des chanteuses engagées. En ressort un premier disque intitulé A woman's journey, paru sur les labels Tzig’Art / Promise land.

A woman's journey. « L'idée,» poursuit Clotilde, « c'était de rendre hommage à ces chanteuses, majoritairement autrices-compositrices, qui faisaient passer des messages à travers leur musique ou qui se sont positionnées durant leur carrière de façon très radicale en faveur d’une cause forte. Nina Simone a sacrifié en partie sa carrière de chanteuse car elle ne voulait pas cesser de défendre les droits des Africains-Américains. C'est une tradition importante aux États-Unis, ces mouvements de lutte pour les droits, portés par les femmes. Par exemple, après l'élection de Donald Trump en janvier 2017, il y a eu la Women's march, le premier mouvement de protestation dans la rue contre le leader du Parti républicain. »

Le tandem a dû s'arrêter sur une liste de chansons et se les approprier en fonction « de notre sensibilité et de notre goût.» complète Alexandre Saada. Behind the wall de Tracy Chapman, cette chanson qui traite des violences conjugales entendues à travers un mur mitoyen aurait pu en faire partie. « On a essayé de la prendre dans tous les sens mais on n'en tirait rien.», avoue Alexandre.

À la question de savoir comment le duo a abordé le poème d'Abel Meeropol Strange fruit mis en musique et interprété par Billie Holiday, qui renvoie au lynchage des Noirs pendant la ségrégation aux États-Unis, Alexandre répond : «Il faut y aller avec humilité. C'est une chanson, un objet d'art qu'on se retraverse. Il y a eu tellement de versions. On a creusé en nous avec notre caractère minimaliste, trois informations qu'on retire de ce poème, quelques notes, la voix. Rester simple. C'est important d'évoquer ces sujets. Les souffrances des Noirs ou des Juifs, puisque Meeropol l'était, n'appartiennent pas qu'à ces peuples. C'est une affaire d'humanité. L’Histoire nous touche et nous concerne tous.»

Parmi ces «cover» (reprises) épurées on trouve le fameux Mercedes Benz de Janis Joplin.Pour Clotilde, le fait de s'être « attaqué » à ces «immenses chanteuses avec une empreinte forte c'était un pari risqué parce que ce n'est pas sûr de pouvoir proposer une version qui ait un intérêt dans l'histoire de cette chanson. Faire en sorte de l'éclairer, que les gens la redécouvrent sous un autre angle. Janis Joplin est un monstre de la chanson. On a essayé de produire quelque chose d'universel et personnel à la fois.»

Étrangement, cet opus féministe est sorti un an avant la vague #Metoo contre les violences sexistes et sexuelles, qui a déferlé suite à l'affaire Weinstein en octobre 2017. «Cela fait des années que la condition féminine interroge. On est imprégné de ça. Ça se sent dans la société.» décrypte Alexandre.

Eastern spring. En 2018, les deux artistes planchent sur un nouveau projet. Tout part de la chanson A swallow song, de Mimi (la sœur de Joan Baez) et son mari Richard Fariña, issue du répertoire ladino, c'est-à-dire judéo-espagnol. «Le fait que cette chanson ait touché les gens nous a donné envie de faire des recherches autour du bassin médittéranéen.» explique Clotilde. «En escale à Abu Dhabi, enchaîne Alexandre, on trouve un «Montreux jazz café». On se pose alors des questions sur les influences orientales et occidentales. Il y avait un sous-bock à bière avec écrit «Pop café». Cela nous a amené à discuter de la pop orientale, à réfléchir sur l'interpénétration de ces deux mondes, les Beatles en Inde avec Ravi Shankar... Comment l'Orient s'inspire aussi de l'Occident.». Dès lors, le tandem va s'envoyer des fichiers partagés, une compilation aux accents Pop Bossa Nova, glanée en Israël pour Alexandre, des accents marocains, avec la musique des frères Megri de Rabat... Clotilde interroge ses ami.e.s artistes venu.e.s de Turquie, d’Iran, du Liban, de Tunisie, qui lui traduisent le sens parfois codé de certains poèmes... De ce travail de collecte, une playlist gigantesque émerge, remplie de pépites. «Il faut alors faire un choix», nous dit Clotilde : «On a écouté ensemble, en se disant, ça on jette, ça on garde. On est passé de deux cent titres à une trentaine sur lesquels on a travaillé. Au final, celles qu'on a gardées avaient toutes des sous-textes forts. Peut-être qu'on l'a ressenti. Dans leur musique, il y a de la densité.» Par exemple, sur Ma fatsh leah, chanson mythique de 1978 du groupe égyptien Al Massrien « On était en résidence à l’auditorium de l'hôpital Bretonneau à Paris. On a tâtonné avec un mini-synthé, une boîte à rythmes. Il y a une ritournelle au synthétiseur dans la version originale qui nous plaisait beaucoup. On en a gardé un élément, un ostinato, une boucle mécanique dans le morceau qui est sa signature et qu'Alex place ailleurs dans son jeu de piano. C'est inconscient, on ne s'en est rendu compte qu'après-coup.» analyse Clotilde.

https://www.youtube.com/watch?v=zHNSAK-iWy0

https://www.youtube.com/watch?v=am_utNHjclk

https://www.youtube.com/watch?v=0nonCuddOac

Parmi les autres moments forts de l'album Eastern spring que l'on peut traduire par « Printemps de l’Orient », figure Matar Naem, une chanson de 1978 (album Oghneya) du groupe libanais Ferkat Al Ard. Le texte de la chanson est un poème engagé et très imagé du Palestinien Mahmoud Darwich. Celui-ci parle à demi-mot de son pays, la Palestine, en train de disparaître. « Je n'attends de toi que le mouchoir de ma mère et une nouvelle raison pour mourir. » dit entre autres ce texte puissant. Mais l'histoire ne s'arrête pas sur cette note dramatique: « Un jour », s'enthousiasme Alexandre, « Jannis Stürtz, du label Habibi Funk, nous dit que Issam Ajali, chanteur et compositeur du groupe a entendu notre version. On a pu échanger avec lui sur le sens de cette chanson, sur cette époque. C'était touchant. »

https://www.youtube.com/watch?v=sJpviDAg4o4

https://www.youtube.com/watch?v=0nonCuddOac

Un message universel. Le couple musical a aussi revisité le rock anatolien de Selda Bağçan. De manière insolite et tragique, l'actualité est entrée en résonance avec ce nouveau projet. En février, un séisme a fait plus de 50000 morts endeuillant la Syrie et la Turquie, et touchant de plein fouet la région anatolienne. La chanson Ince ince Bir Kar Yagar est un cri de révolte d'un habitant d'une petite ville qui interpelle le pouvoir central face à ses carences. Or, en écho, le gouvernement Erdogan s'est révélé défaillant dans la gestion de l'arrivée des secours après le séisme de février 2023. Les textes sont traduits de l'arabe, du turc, de l'hébreu, du grec ou du persan mais c'est l'anglais, l'idiome de la communication mondiale qui ressort dans ce beau disque et fait le lien entre les titres. Au final, comme dans la chanson qui conclut la tracklist, le message universel qui nous est proposé, c'est celui de l'amour. Do you love me? (Est-ce que tu m'aimes?), nous susurre Clotilde Rullaud.

Pour celles et ceux qui les ont raté, pas de panique, Madeleine & Salomon seront notamment en concert ce 17 mars au Comptoir à Fontenay-sous-Bois et le 1er avril salle Delavaud au Versailles Jazz Festival. Le meilleur est à encore à venir. Le duo piano-voix sera en première partie du légendaire guitariste de jazz Pat Metheny le 15 juillet dans le cadre idyllique du Théâtre de la mer de Sète. Qui dit mieux?

Julien Le Gros

Pour aller plus loin:

https://www.facebook.com/madeleineandsalomon/

https://madeleine-salomon.bandcamp.com/

https://alexandresaada.com/smartphones_tablets/

https://clotilde.art/

THÉ OU CAFÉ

CLOTILDE : J'aurai aimé être médecin.

ALEXANDRE : Je me serai sûrement investi dans des missions humanitaires.

Pensez-vous que votre musique va voyager autant que Kankou Moussa, le voyageur?

CLOTILDE : C'est ce qu'on lui souhaite.

ALEXANDRE : Qu'elle se promène!

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