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Article 10

Frédy Massamba transcende la tradition.

En 2010, Ethnophony résonnait comme une bombe dans la sphère des musiques afro. Treize ans plus tard Frédy Massamba n'a rien perdu de son groove pygmée. Il le prouve avec  son troisième opus Trancestral.  L'autel des artistes de Panam était présent à la release party au Pan Piper à Paris le 13 mai dernier.  Frédy a bien voulu répondre à nos questions devant le Parc floral, près du bois de Vincennes . Magnéto.

Y'a Frédy Massamba (comme on dit au Congo pour désigner les aînés), a cinquante et un ans et ça ne se voit pas! Le chanteur a su garder sa silhouette athlétique d'ancien percussionniste des Tambours de Brazza, quartier Bacongo à Brazzaville, et avant cela de danseur de smurf avec les Strong boyz sous les pseudonymes de Frédy M ou Frédy Master. À cette époque, Frédy se formait en visionnant des cassettes VHS rapportées par des amis fils de dirigeants de la compagnie Air Afrique. Retour au présent. Ce 26 juin 2023 devant le Parc floral donc, il y a du soleil. Frédy garde le sourire malgré la fatigue de son retour d'un voyage en République du Congo où il a présenté Trancestral aux Instituts français de Pointe Noire et Brazzaville.

« Repartir à la maison dans mon pays natal, dans la ville où je suis né à Pointe Noire dans le quartier Mouyondzi. Ressentir les odeurs, revoir la mer et la poussière de là où je jouais au football pieds nus. c'est un kif de malade! » nous dit-il. « À Brazzaville, c'était complet à l'intérieur de l'Institut français. Des écrans ont été mis dehors. Je me sens à la maison et ça fait du bien. Les gens comprennent mes paroles en kikongo, en lingala, en lari, en kitouba. »

Tradition et modernité

Mais au fait qu'y a t-il derrière le mot-valise Trancestral? Une façon de construire un pont entre le passé et le présent, résume Frédy, la musique transcende la tradition et la modernité. J'essaie de me renouveler et de susciter des réactions et des questionnements. »

Le pari est réussi pour ce disque planétaire enregistré entre Bruxelles, Yaoundé Paris et Montréal. Transcestral a été coproduit par RFI Talent et Hangaa music-les productions du soleil le label canadien de Vanessa Kanga et  réalisé par Frédy avec Didier Touch « qui a fait un travail énorme en studio » et Rodriguez Vangama guitariste que l'on entend sur le précédent album Makasi (2013). Comme sur Makasi où l'on pouvait entendre Tumi Molekane d'Afrique du Sud et Muthoni the drummer queen du Kenya on y retrouve des collaborations panafricaines avec Djély Tapa (Mali) ou encore le grand Lokua Kanza (République démocratique du Congo) sur Nsayi, un titre épuré guitare-voix.

https://www.youtube.com/watch?v=-78qJsrWNnY

Djély Tapa est la fille de la grande diva malienne Kandia Kouyaté. Elle est elle-même lauréate du prix Radio Canada 2019-2020. La rencontre avec Frédy a eu lieu à l'occasion du festival les Nuits d'Afrique à Montréal.  « Quand elle montée sur scène je me suis dit « Waah ». Je voulais travailler avec une chanteuse malienne qui a quelque chose de très roots, de très profond. Je l'ai trouvée hyper cool, très sensible aux discussions sur la musique et l'Afrique. Humainement elle a beaucoup de choses à donner.  On est partis en studio à Montréal chez un pote haïtien. Un percussionniste congolais Élie a fait la musique sur laquelle Djély Tapa et moi avons posé nos voix.En tant que chanteur, j'aime les voix comme la sienne qui diffèrent un peu. » En résulte le morceau Bandeko, qui parle d'unité dans un monde de trahisons.

https://www.youtube.com/watch?v=kZ5E5Dpuwh8

Le disque recèle d'autres pépites comme Ngoma pour rendre hommage aux Tambours de Brazza, qui  comme le rappelle Frédy « sont le socle de mon élévation. » sur lequel  Suka Ntima, belge originaire du Rwanda, choriste sur l'album, pose un couplet. Le ngoma, percussion traditionnelle, sert à tramsmettre des messages dans la forêt équatoriale. Sur l'outro de l'album on entend Funkis, un bluesman de la forêt d'un pays voisin du Congo le Cameroun. Une partie du projet a été réalisée à Yaoundé dans le studio Ndabott du rappeur Krotal. Enfin le titre Keriko qui a fait l'objet d'un clip est une histoire malheureusement souvent observée par Frédy sur son continent d'origine, un riche arrogant qui fait faillite: «  Dès qu'il accède à une réussite sociale, il change de comportement, commence à nier les autres, fuit son milieu, son quartier. Il fait rouler ses épaules. Ce type d'attitude déshumanise ceux qui n'ont rien ou qui ont moins. Ce n'est pas parce que tu as un peu plus d'argent que les autres et des voitures qu'il faut être arrogant. La vie est un jeu et on va tous passer. Pendant la pandémie de Covid-19 ces gars ont perdu de leur superbe parce qu'ils étaient bloqués à la maison comme tout le monde, sans pouvoir prendre l'avion. »

https://www.youtube.com/watch?v=8gd6OQN8OsQ

Les débuts à Bacongo

Pour Frédy, les débuts furent modestes, élevé par sa grand-mère à Bacongo, le quartier général de la SAPE (Société des ambianceurs et des personnes élégantes) congolaise « J'étais moi-même dans une équipe de football appelée Nimbi N'lolo. Dès 6 heures du matin, à Bacongo il y a un brouhaha avec chacun qui vaque à ses occupations. Entre 8 heures et 14h il y a des brochettes qui rôtissent. Il y a le saka saka (ou le pondu côté Kinshasa) On entend jouer de la rumba. Il y a le centre culturel Sony Labou Tansi, des artistes comme Pamelo Moun'ka qui chante L'argent appelle l'argent, le comédien Dieudonné Niangouna, Zao... »

Précisément, les yeux de Frédy brillent quand nous lui tendons le disque vinyle Patron de Casimir Zoba alias Zao. Celui-ci, figure tutélaire de la musique africaine des années 1980, a toujours son espace à Bacongo. Frédy  fredonne « Je vais tomber KO c'est cardiaque! » Respect. Zao c'est mon patron. C'est une légende vivante de la musique africaine. »

Autre madeleine ou plutôt galette de Proust pour Frédy Massamba la pochette du disque de Viva la musica et Papa Wemba Biloko Ya Moto que nous lui montrons.

« C'est une génération extraordinaire qui nous a donné des mélodies de fous. Là, on est vraiment dans le monde de la sape. Si on pouvait citer les marques et le prix exhorbitant des vestes que portent ceux qui figurent sur la pochette de ce disque. Papa Wemba est venu à pied avec cet instrument de son village de Molokaï jusqu'à Kinshasa et il a formé le groupe légendaire Viva la musica. Il a ramené un instrument traditionnel le lokolé, un tambour à fente traditionnel  des baguettes dont je jouais dans les Tambours de Brazza.» 

Grâce à son travail de chorégraphe avec les Tambours de Brazza- qu'il a intégrés avoir été repéré par Émile Biayenda- Frédy parvient à subsister et acheter du maquereau pour son bouillon. Il apprend aussi les nombreuses danses du Royaume Kongo. Mais en 1997, la guerre civile éclate au Congo-Brazzaville et il faut fuir. Le groupe s'expatrie définitivement en Europe en 2000.

Génération hip hop

Biberonné par le hip hop, Frédy forme ensuite à Bruxelles Fresk avec Steve Mavoungou et Kim beatmaker aujourd'hui décédé. « Ce groupe c'est une continuité en Europe de ce que j'ai commencé au Congo, ce chemin entre les pygmées Aka d'Afrique centrale et les temps modernes, le jazz, le hip hop, la nusoul. On a été influencés par Marvin Gaye, Roy C Hammond, qui était un autre vrai chanteur de soul dans un style lover des années 1970, puis dans les années 1980-1990 Bobby Brown, Boys 2 men, MC Hammer en passant par Neneh Cherry. J'ai l'album Power of glory de Jimmy Cliff à la maison mais si je le pose sur la platine il ne tourne même plus tellement je l'ai écouté! Il y avait aussi, Bob Marley, U Roy... » L'autre école bruxelloise de Frédy s'appelle Zap Mama.

« Un jour, raconte t-il, un pote musicien Abel m'a proposé d'assister à une répétition avec la chanteuse Bernadette Aningi qu'il accompagnait aux percussions. Elle m'a dit: « Je ne savais pas que tu chantais, il faut que tu rencontres mes filles. » Avec Anita, Marie Daulne et le groupe Zap Mama. Frédy collaborera sur trois albums. Une tournée aux États-Unis lui permettra de côtoyer les légendes de la nu-soul à l'apogée de leur carrière: Erykah Badu, Jill Scott, Bilal, D'Angelo, Macy Gray The Roots, les Nubians.

En 2010, Frédy Massamba est fin prêt pour se lancer en solo. Ce sera Ethnophony, savant mélange entre sa culture hip hop nusoul et ses racines pygmées. Le musicologue Francis Bebey « qui a ramené sa forêt d'Afrique centrale sur les scènes du monde entier. » aura une influence déterminante sur l'art musical de Frédy. « Il m'a donné l'inspiration pour travailler avec les pygmées Aka à Bangui en République centrafricaine. J'essaie à son exemple de garder cette saveur de nos instruments traditionnels et de leur donner leur place, conjugués avec des instruments modernes. Il ne faut pas oublier qu'avant le piano il y avait le likembe, la sanza, l'arc. Sur Ethnophony je ramène la flûte pygmée sur le morceau Ntoto. Sur Destiny ce qui tient le morceau, si on enlève le reste, c'est le balafon. »

https://www.youtube.com/watch?v=LsowLHE6f0Y&embeds_referring_euri=https%3A%2F%2Fhangaamusic.com%2F&source_ve_path=MjM4NTE&feature=emb_title

Papa Ray

En 2014, sous l'égide de Ray Lema, l'une des figures de la sono mondiale dans les années 1980, Frédy, Ballou Canta, accompagnés à la guitare par Rodrigo Viana forment le Nzimbu project, une oeuvre racine et acoustique qui se perd dans les méandres du fleuve Congo. « Ray Lema c'est mon père. » s'enthousiasme Frédy. « C'est une figure importante pour la nouvelle génération. C'est une bibliothèque vivante de la musique africaine et mondiale. Il est parti de son pays natal, l'ex Zaïre jusqu'aux États-Unis, au Canada, en Europe, et n'a jamais lâché prise. Il a fait des albums mythiques, a fait des rencontres avec les gnawas, le batteur de Police Stewart Copeland... C'est quelqu'un de très exigeant et de rigoureux avec la musique. Il me dit: « Hey Massamba, la musique c'est un métier qu'il faut prendre au sérieux et apprendre, se donner les moyens. Ce n'est pas un jeu d'enfant. » En 2020, Frédy est aussi de la partie pour un disque de Papa Ray autour du chanteur de rumba Franco intitulé Hommage à Franco Luambo, on entre KO on sort Ok  «Franco n'était pas chanteur lyrique comme King Kester Emeneya ou Papa Wemba. Franco a apporté une touche de slam dans la rumba. »

Quant à Frédy et son nouveau projet Trancestral, vous en entendrez parler prochainement. « Afrik consult, la structure de Lat Ndiaye s'occupe du management et du booking. On va faire en sorte de  montrer ce travail partout. » conclut Frédy avec ce sourire aux lèvres qui ne le quitte jamais.

https://www.youtube.com/watch?v=d_cWncESM2c

Thé ou café

Trois questions à Frédy Massamba

Savais-tu que tu es très apprécié au Mali?

J'ai beaucoup d'amis au Mali qui est un pays incontournable sur le plan musical, le blues mandingue etc. J'ai travaillé avec Tata Pound, un des groupes de hip hop pionniers au Mali. J'ai aussi partagé une scène à Bruxelles avec Rokia Traoré. Je l'ai rencontrée grâce au guitariste Rodriguez Vangama qui a travaillé sur cet album, Makasi et celui de Papa Ray Lema Hommage à Franco Luambo. Il était avec elle sur la tournée de la création Coup fatal et je suis venu en guest.

Je suis aussi attaché au Sénégal, au studio Sankara à Dakar, où j'ai passé beaucoup de temps avec le kôrô Didier Awadi, Saf Niang, Bay Sooley, Bruno, le joueur de kora Noumoucounda Cissoko avec lequel j'ai eu la chance de travailler sur Ethnophony. Noumoucounda m'a permis de rencontrer Fred Hirschy, qui a été mon directeur artistique.

Te considères-tu comme un griot?

En quelque sorte, je suis un griot des temps modernes. Je parle beaucoup du quotidien, de ce qui se passe à Brazzaville, à Kinshasa, en Afrique en général. Je me tiens informé de l'actualité avec les alertes sur mon smartphone ou par les journaux. Le griot transmet. Transmettre c'est laisser des marques. Là où mon intelligence s'arrête c'est là où celle de l'autre commence. Quand ça ne va pas je dis à mon fils: « Voilà ce que j'ai laissé, à toi d'accomplir. » Je me suis emparé du patrimoine de mes parents et je dois le léguer à la nouvelle génération. C'est la continuité de la vie

Si tu n'avais pas été cet artiste pluridisciplinaire que ferais-tu?

Je pense que j'aurai été animateur éducatif pour encadrer les sorties scolaires.  Quand j'ai joué en Australie des aborigènes m'ont dit que dans leur langue Massamba c'est celui qui montre le chemin. Le sourire des enfants me fait fondre. C'est la première chose à laquelle je prête attention quand je voyage quelque part...

Pour aller plus loin

https://hangaamusic.com/138-2/

https://afrikconsultculture.com/

https://www.facebook.com/FredyMassambaOfficiel/

Julien Le Gros 

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Article 9

Sidi Bémol, une belle maison de bric et de broc

Le 22 juin, l'Autel des artistes de Panam a interviewé Hocine Boukella, leader du groupe Cheikh Sidi Bémol, là où l'aventure a commencé, dans la « banlieue rouge » val-de-marnaise, plus précisément au Hangar à Ivry-sur-Seine. Rencontre.

Cheikh Sidi Bémol est le groupe chantre du « gourbi rock », expression trouvée par le journaliste algérien Aziz Smati pour qualifier cette musique aux influences diverses; entre guitare électrique rock, musiques bretonne et berbère, chaabi, melhoun.. mais aussi la chanson française (le titre El bandi est une adaptation de Celui qui a mal tourné de Georges Brassens.)

https://www.youtube.com/watch?v=5vDzjXXHf1Q

« J'ai aimé cette idée d'Aziz, un gourbi c'est une maison de bric et de broc mais c'est tout de même une maison. », nous explique Hocine Boukella. «On peut même en faire un palais! », a t-il ajouté malicieusement au micro de Yasmine Chouaki lors d'une interview pour l'émission En sol majeur sur RFI en 2009.  De fait, la maison Sidi Bémol représente tout un pan de la musique franco-maghrébine contemporaine dans le sillon diasporique tracé auparavant par Slimane Azem, Idir, Rachid Taha ou Raïna Rai, ces quatre étudiants à Paris originaires de Sidi-Bel-Abbès. L'âme de Cheikh Sidi Bémol est sans conteste le charismatique Hocine Boukella, au visage buriné et à la voix rauque, à l'attitude toujours rock n'roll sur scène malgré sa soixantaine passée. On voit aussi Hocine sur une photo promotionnelle avec la dégaine du personnage de fiction qu'il a inventé pour son univers musical, inspiré du look des Algérois ou des habitants de Bougie (Béjaïa), arborer des lunettes excentriques, coiffé d'un fez (ou chéchia d'Istanbul, comme on dit en Algérie) et servir du thé à la menthe ostensiblement comme s'il tournait en dérision les clichés sur la tradition arabo-berbère. Né à Alger en 1957, ce fils d'instituteur grandit dans le quartier Belcourt de la capitale algérienne cosmopolite. La vocation pour la musique d'Hocine ne doit rien au hasard. Sa maman, qui a eu dix enfants,  un « job à plein temps » chante à la maison. Surtout, un des frères d'Hocine, Youssef, qui a accompagné un temps Cheb Mami, cofonde ensuite le mythique Orchestre national de Barbès (ONB) en 1995 dans le XVIIIème arrondissement de Paris. L'ONB marquera durablement le monde musical francophone.

De la biologie à la musique

 Les parents d'Hocine sont originaires de Bouzeguène, en Grande Kabylie, près de Tizi Ouzou. « Ils sont partis parce que le village a été rasé pendant la guerre d'Indépendance. Certains habitants ont été à Constantine, à Oran, ou comme mes parents à Alger où ils avaient un peu de famille. Il a fallu plusieurs années avant que le village ne soit reconstruit. Une partie de mes grands frères est née dans cette région kabyle que je n'ai découverte qu'à six ans. À l'époque au village c'était, un saut dans le temps et dans l'espace, presque le Moyen-Âge, il n'y avait pas l'eau courante, de route, d'électricité. On s'éclairait à la bougie, les ustensiles de cuisine étaient bricolés. Mais culturellement c'est un endroit très important pour moi. On y allait en été, pendant la période des mariages. Il y avait beaucoup de musique et c'était extraordinaire. J'étais pressé que l'été revienne! » Avec le temps, Hocine jouera pendant les fêtes de la guitare et des percussions et peaufinera son art musical. L'album de 2010 de Cheikh Sidi Bémol Paris-Alger-Bouzeguène rend hommage à ses racines berbères.

En 1985, le jeune Hocine (ou« Elho », son surnom de dessinateur), arrive en France pour poursuivre des études de biologie entamées à l'université de Bab Ezouar. Il commence une thèse de doctorat sur la génétique des populations. Mais trois ans plus tard éclatent des émeutes en Algérie réprimées très durement par le pouvoir politique. « Je faisais de la musique à côté. En voyant ce qui se passait dans mon pays, je me demandais à quoi servait la génétique dans ce contexte. J'avais aussi de plus en plus de mal à concilier les deux activités. Je me suis dit que la musique était plus intéressante pour exprimer ses idées et j'ai quitté ma carrière de biologiste. Je ne suis pas devenu musicien professionnel tout de suite mais j'ai tout fait pour que ce soit mon activité principale. » À l'époque Hocine est aussi dessinateur de presse, un art où excellent en Algérie des caricaturistes comme Hichem Le Hic ou Ali Dilem. De son côté, Hocine réalise des expositions, des affiches, des couvertures de disque. En Algérie, il dessine même une bande dessinée intitulée Le Crieur sur les musiciens algériens. Celle-ci sera censurée par les autorités pour « obscènité » sous prétexte que les artistes dessinés ont des petites amies et qu'on voit une ou deux cuisses féminines à l'image. Hocine a gardé de la tendresse pour le dessin: « Contrairement à la musique on travaille seul avec un crayon. La musique est un phénomène de groupe avec des rapports humains parfois compliqués. Pour le dessin de presse, il faut condenser une anecdote ou une situation sur une page. C'est un exercice assez proche intellectuellement de ce que je fais dans mes chansons, résumer une histoire parfois complexe en un refrain et deux couplets. » Ironie du sort, c'est grâce à son trait de plume, lors d'un vernissage dans le XIIIème arrondissement de Paris, qu'il rencontre son maire de l'époque Jacques Toubon. Celui-ci l'aidera à régulariser sa situation car Hocine a vécu plusieurs années les affres d'êtresans-papiers en France.

En 1997 à  Arcueil, Hocine crée l'association l'Uzine à Arcueil, un collectif avec des Algériens fraîchement débarqués en France. L'Uzine a occupé (l'association s'arrête en 2007) un immeuble avec studio d'enregistrement et atelier de graphistes. Cette aventure préfigurera le premier album éponyme Cheikh Sidi Bémol en 1998 gravé avec des musiciens comme Youssef Boukella et Kamel Tenfiche, membres fondateurs de l'ONB, Amazigh Kateb, le leader de Gnawa Diffusion, au guembri, mais aussi des musiciens de référence côtoyés à travers le melting-pot artistique parisien, Marc Berthoumieux à l'accordéon, Michel Alibo à la basse ou Karim Ziad à la batterie... Un label indépendant sera aussi créé CSB productions qui réunit plus de dix artistes.

L'odyssée de Fulay

Parmi les projets ambitieux de Cheikh Sidi Bémol-parmi lesquels figure l'adaptation de chants de marins du monde entier en kabyle avec le poète Ameziane Kezzar-citons L'odyssée de Fulay. C'est l'histoire d'un artiste de l'époque de l'Antiquité qui vit plein de péripéties. Cette création s'est faite au théâtre Antoine Vitez à Ivry-sur-Seine en 2017, sur une mise en scène de Ken Higelin. « Cela a été une très belle expérience que j'espère renouveler. Ken est un personnage très spécial, je connaissais son père Jacques, son frère Arthur H. Il a été une découverte pour moi. Il a réussi à créer un univers qui me correspondait parfaitement, à être à l'écoute de ce que je voulais faire. Il est très éclectique et a créé des spectacles extrêmement différents. »

Ce conte s'inspire de l'histoire du Maghreb qui « est très profonde. Il y a plein de mythologies qui pré-existaient avant l'arrivée de l'Islam et qu'on partage avec tout le bassin méditérranéen. Par exemple, Hercule existe aussi en Afrique du Nord, sous le nom de Harqal, Vénus c'est Yousra, etc. Ce n'est pas très connu et c'est dommage parce qu'on se rendrait compte qu'on a plus à partager que de choses qui nous séparent. »

https://www.youtube.com/watch?v=4s9qKGhlOpI

Autre initiative forte, celle menée avec Dhoad, des musiciens gitans du Rajahstan. « Tout a commencé de façon curieuse. » raconte Hocine. « On s'est rencontré à Alger parce qu'on était à l'affiche du même festival. À la fin de leur concert le public algérien a réclamé une chanson de Bollywood  de 1973 très connue chez nous qui s'appelle Aa gale lag jaa  surnommée Janitou par les Algériens. Paradoxalement ces Indiens ne la connaissaient pas. Ils ont dû faire une recherche sur Internet. Je la connaissais pratiquement par coeur. Le lendemain, Cheikh Sidi Bémol a joué et on a invité les Rajahstani à faire un boeuf sur Janitou. Je ne sais pas ce qui s'est passé ce soir-là, ça a été tellement fusionnel et extraordinaire sur scène. » L'alchimie est telle que l'année suivante en 2014 le disque Ãfya  sera gravé à Tours dans un studio incrusté dans la roche avec Sidi Bémol, Dhoad et de jeunes jazzmen du Center music Didier Lockwood (CMDL).

https://www.youtube.com/watch?v=bH3IQgAuYN8

Un artiste engagé

Et l'Algérie dans tout ça? Hocine Boukella est nommé le 10 octobre 2015 ambassadeur d'Amnesty international Algéria pour le combat contre la peine de mort. S'il porte toujours son pays natal dans son coeur le constat de l'exilé est doux-amer. Il le raconte dans ses chansons en acceptant d'en  payer le prix puisque Sidi Bémol est rarement programmé dans les événements culturels promus par le gouvernement algérien:  « Les gens sont obligés de partir parce qu'il n'y a pas assez de libertés démocratiques. Ils ne peuvent pas vivre normalement. Quoique l'on fasse il y a des obstacles et l'impression d'être brimé, muselé. Devoir s'en aller c'est un grand échec. Quand on est en exil il y a toujours cette idée du retour. Il y a plein de gens qui vivent à l'étranger et qui construisent une maison au bled qu'ils n'habitent jamais. » Comme tout exilé Hocine a un sentiment de déracinement. « J'ai l'impression de venir d'un pays qui n'existe plus ou seulement dans ma tête. Je sens bien, c'est le temps qui fait son oeuvre, que je n'ai plus ma place en Algérie. Mais je continue dans mes chansons de parler des raisons politiques qui poussent au départ avec parfois des risques énormes. Ce n'est pas pour fuir la misère mais à cause de cette impression qu'on n'arrivera jamais à accomplir nos rêves si on reste là-bas. »

Néanmoins le dernier album du groupe Chouf! (regarde en arabe) redonne confiance en l'avenir

C'est un salut à la jeunesse algérienne, à sa résilience, en particulier  sur le titre Salam Alikoum, celle qui a arpenté les rues d'Algérie lors du hirak (mouvement en arabe) en 2019 « Je loue  cette révolution du sourire. Ce mouvement populaire a donné beaucoup d'espoir à plein de gens qui se sont dit: « On va rentrer au pays. » Hélas ça n'a pas duré. » L'album a été composé un peu avant et pendant le hirak. «J'avais composé des morceaux pessimistes que j'ai failli ne pas enregistrer. Je me disais que c'était trop décalé par rapport à l'espoir qui était en train de naître. Malheureusement ces morceaux sont redevenus d'actualité ensuite. » Chouf! a été enregistré dans un esprit très rock et brut à l'automne 2019 aux studios Real world à Bath en Angleterre. « Je ne voulais pas de fioritures ou d'arrangements trop recherchés, que ce soit l'énergie qui parle. On l'a enregistré dans des conditions live avec le guitariste Justin Adams qui a travaillé avec Robert Plant, produit Tinariwen et Rachid Taha, et son ingénieur du son Tim Oliver. Il y a eu très peu de deuxième prise, on a juste refait une voix ou deux. »

https://www.youtube.com/watch?v=B53lEa8JdDg

https://www.youtube.com/watch?v=fqPfNB1xKuE

Par ailleurs, la bonne nouvelle c'est qu'un nouvel album de Cheikh Sidi Bémol devrait être lancé en 2024. Parallèlement Hocine Boukella a un projet de poésie amérindienne adaptée en arabe, en kabyle, en français qui doit sortir la même année. Et pour avoir une idée de ce que donne  cette énergie en live, rendez-vous sur les scènes musicales. Un concert est prévu au studio de l'Ermitage le 22 septembre avec Éric Rakotoarivony à la basse, Maamoun Dehane à la batterie et Damien Fleau au saxophone. Ça va swinguer!

Julien Le Gros

Thé ou café

Deux questions à Hocine Boukella

Si vous n'étiez pas musicien qu'auriez-vous fait?

Je serais probablement généticien à compter les caractéristiques des mouches.

Quel rapport entretenez-vous avec la langue?

J'ai toujours baigné dans un univers multilingue, avec trois langues français, arabe et kabyle. À Alger, avec ma mère on parlait kabyle, dans la rue on parlait l'arabe algérois. Quand j'étais l'école primaire, la langue enseignée était le français et ça l'a été longtemps.Mon père qui était enseignant était plus francophone. On parlait souvent en français avec lui. Quand on allait à Bouzeguène tout le monde parlait kabyle.

Pour aller plus loin:

le site officiel de Sidi Bémol 

https://www.sidibemol.com/

La page Facebook

https://www.facebook.com/cheikhsidibemol/

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Article 8

Ismaël Lo : Un parcours exceptionnel au service de la musique africaine

Découvrez Ismaël Lo, le légendaire musicien sénégalais comme jamais !

Dans cette interview fleuve, exclusive accordée à l’autel des artistes sur Panam, l’élégant chanteur révèle les raisons de sa relative discrétion ces dernières années, replonge avec nous dans ses débuts dans la musique, raconte sa passion pour la guitare et l’harmonica depuis son jeune âge, et évoque également ses plus grands succès.

Le musicien aborde aussi les défis auxquels les artistes sont confrontés au Sénégal et en Afrique dans leur combat pour améliorer leurs conditions de vie et exprime son point de vue sur l’évolution de la scène musicale sénégalaise.

Enfin, Ismaël Lo révèle ses talents d’artisan et son amour pour la peinture, affirmant qu’il serait créateur et bricoleur s’il n’était pas musicien. Il conclut en soulignant le talent et la créativité de la génération actuelle d’artistes, tout en soulignant l’importance de faire des choix en fonction de leurs objectifs artistiques. Entretien.

Crédit photo : Festival Jazz à Saint-Louis (Edition 2023)

Bonjour Mr Lo et merci de nous recevoir pour cette interview ; comment allez-vous ?

Bonjour ; par la grâce de Dieu, je me porte à merveille. Comme vous pouvez le constater, je ne boite pas, je ne tousse pas, je suis en pleine forme (rires).

Christiane Calonne Festival Jazz à Saint Louis (Edition 2023)

Je vous remercie d’être là…

Monsieur Lo, vous étiez récemment dans la ville sénégalaise de Saint-Louis pour ouvrir l’édition 2023 du festival international de jazz. Mais avant cela, vous avez quelque peu disparu de la scène et tout le monde se demandait où vous étiez ?

Ismaël Lo est là ! C’est vrai qu’il n’y a pas eu de récente tournée nationale, pas de sortie d’album non plus...

Mais on se remet encore de 2 années de pandémie où tout tournait au ralenti. Il faut un peu de temps pour totalement se remettre. Je comprends donc que le grand public me sente absent.

Je dois aussi avouer que de nature, je suis aussi quelqu’un d’un peu discret et effacé. Je ne fuis pas les médias, mais je ne suis pas forcément friand des sorties en radio, télé ou encore des publications sur les médias sociaux ; tout cela contribue à laisser l’impression que je suis absent.

Je réponds tout de même aux invitations à travers le monde, quand j’en ai l’occasion. Au Sénégal, on peut me reprocher de ne pas assez jouer sur les scènes locales, mais les gens oublient que je l’ai fait avec le Super Diamono dans des club comme le Balafon, le Sahel ou encore le Kilimandjaro. On jouait tous les soir de 23 à 4 heures du matin, avec un seul jour de repos par semaine.

Malgré la discrétion, votre nom résonne à l’échelle continentale. Tout le monde sait qui est Ismaël Lo. Comment cette aventure a-t-elle commencé ?

Je commencerais par rendre grâce à Allah pour cela ! Je dois aussi remercier mon équipe, mes musiciens, ma maison de disque…

Quand tu démarres une carrière, il y a une forte passion et un plaisir immense qui t’habitent, mais il y a aussi l’énergie positive que tous ces gens autour de toi te communiquent pour te donner l’envie d’aller encore plus loin.

Tout a commencé très tôt ; je me suis initié à la guitare dès l’âge de 7 ans et parallèlement, j’ai appris à jouer de l’harmonica, mon jouet favori.

Mon père a été le premier à m’offrir des harmonicas quand j’étais tout jeune et plus tard, je m’en procurerai avec mon propre argent.

Un jour, j’ai eu l’idée de faire de la guitare et de l’harmonica en même temps ; pour y parvenir, j’ai fixé mon harmonica contre le mur à l’aide de 2 clous et entre les mains, j’avais la guitare.

Ce n’était pas très confortable, mais j’ai aimé la combinaison et j’ai fait du mur, mon tout premier public (rire).

Comme je suis quelqu’un de très manuel, je fabriquerai moi-même mon premier support d’harmonica pour avoir plus de confort en jouant des 2 instruments de façon simultanée.

Un jour, un grand-frère du nom de Tidiane Diop, établi à Valence (Espagne), m’offrira mon premier porte-harmonica. C’était sans doute le plus beau cadeau de ma vie…

J’ai commencé à jouer dans les cours, les jardins, à la maison, jusqu’au jour où un autre grand-frère, du nom de Cheikh Baka Guissé, homme de médias, détecte mon talent et décide de me faire passer à la télévision.

J’avais terriblement peur en franchissant le seuil du studio de la Maison de la Radio au boulevard de la République à Dakar, ce jour-là.

Je suis passé sur l’émission télé-variété de Maguette Wade (paix à son âme). C’est un homme qui a beaucoup œuvré pour les musiques sénégalaises et africaines.

Antan, les gens ne suivaient que la télévision nationale et son émission culte était un vrai tremplin pour nous les artistes ; après mon premier passage, il m’a invité bien d’autres fois et j’y allais toujours avec joie.

J’ai commencé à passer à la radio nationale sénégalaise (RTS) et j’y ai rencontré des personnes comme Ahmadou Ba, Demba Dieng qui deviendra mon voisin, Abdel Kader Dioané et tant d’autres…

Je n’étais mu que par ma seule passion en ce temps, et je ne savais même pas que c’était une carrière qui se dessinait. J’ai eu mes premières dates dans des villes comme Kaolack, Thiès, Ziguinchor ou encore Dakar, et j’ai commencé à m’habituer à la scène.

Plus tard je rencontrerai le Super Diamono, grâce à un promoteur commun, Modou Gueye. On jouait en Gambie et je passais sur scène pour 30 minutes pendant les pauses de l’orchestre.

Des fois ils m’accompagnaient pendant mes prestations lors de leurs pauses et une connexion s’est ainsi créée ; j’étais fan du groupe et j’ai commencé à travailler avec eux, même si d’aucuns pensaient que ce n’était pas une bonne idée et que je devais continuer en solo avec ma guitare. En vrai, pour moi c’était une opportunité de gagner en expérience auprès de musiciens talentueux.

On a cheminé 3 à 4 années ensemble et quand je suis revenu à Dakar, j’ai poursuivi ma carrière en solo, encadré par des personnes que je n’oublierai jamais, notamment Mamadou Konté du Festival Africa Fête, qui m’apprendra à être plus vigilent sur les clauses de mes contrats. Il y aussi eu Ibrahima Sylla qui s’occupait de mes albums. J’ai été encadré très tôt.

Voici un peu le récit de mes débuts…

Ismaël Lo, une grande carrière s’est finalement écrite et vous avez enregistré des succès incroyables. Qu’est-ce que ça vous fait de réécouter vos propres tubes, notamment « Tajabone », sans conteste le plus célèbre ?

« Tajabone » m’émeut et me fascine ! Je dois vous avouer que je chéris mes chansons comme mes enfants ; j’en ai écrit beaucoup comme « Ale Lo » ou encore « Fa Diallo ».

Mais à sa parution, « Tajabone » a connu un succès énorme. Le parcours du morceau a été assez unique parce qu’au Sénégal dont la scène était fortement dominée par le mbalakh, le titre n’était apprécié que des connaisseurs au départ. Il a dû faire le tour du monde pour revenir finalement en triomphe ici.

Ce morceau a été une victoire pour la musique folk locale et pour ses tenants qui ont dû résister aux tendances pour continuer de faire vivre le genre ; je pense à des précurseurs comme Seydina Insa Wade (paix à son âme).

« Tajabone » était si demandé que des fois je m’en lassais même. Quand je proposais à mon manager de le retirer de la playlist de certaines de mes performances live, pour lui c’était un crime…

« Tajabone c’est ta carte d’identité », me rappelait-il, et il était tout heureux de me voir interpréter le morceau à chaque fois.

Je ne peux que rendre grâce à Dieu qui a permis que cette composition devienne un tube planétaire. « Tajabone » est mon enfant le plus brillant !

Je suis rempli d’admiration quand je vois toutes ces personnes des 4 coins du globe qui le reprennent. Une fois je suis tombé sur la vidéo d’une asiatique qui l’a brillamment interprété avec une petite mise en scène sympathique et j’ai poussé une joyeuse exclamation. Je ne savais pas que cette œuvre écrite devant le portail de mon humble demeure irait si loin autour du monde.

Mais il y a aussi d’autres titres à succès, notamment « Jammu Africa » que beaucoup appellent souvent « Africa » à cause du refrain. J’ai plusieurs chansons avec le mot « Africa » dans leurs intitulés ; il y a « Sunu Africa » ou encore « Africa Démocratie » dont je n’ai pas réalisé le clip.

Il faut dire qu’ici, le grand public ne suit que les morceaux qui ont des clips ; il est rare de voir des gens acheter un album et le suivre en entier. 60 à 70% des personnes se contentent de ce que la radio diffuse ou quand ils veulent acheter nos musiques, ils prennent des disques piratés à bas prix.

C’est vrai qu’initialement, on n’écrit pas pour l’argent, mais ces mauvaises habitudes des consommateurs ne facilitent pas notre métier.

Aujourd’hui j’écris moins ; avec le temps qui passe, toutes ces heures d’avion et de route cumulées, ces changements de plats, de villes de langues, on se fatigue, on vieillit…

Je comprends ces artistes qui prennent des années sabbatiques pour se refaire. C’est un peu mon cas d’ailleurs. Depuis un moment, je m’impose du repos, même si par moment, je monte sur scène pour me faire plaisir.

Je suis vraiment fier de la collection d’œuvres que j’ai construite et heureux de constater que je suis l’un des artistes africains les plus repris à travers le monde.

Monsieur Lo, vous parliez tout de suite de « Jammu Africa » ; pouvez-vous revenir sur l’histoire de cette chanson qui est quasiment devenue un hymne pour l’Afrique ?

Crédit photo Lionel Flusin

Oui Lamine, « Jammu Africa » est effectivement devenu un hymne pour notre continent !

Je l’ai écrit pour la bande originale d’un film réalisé par Drissa Ouedraogo qui n’est plus de ce monde lui aussi (paix à son âme).

Au cœur de la chanson, dans le refrain plus précisément, j’ai juste mis le mot « Africa » que j’ai chanté très langoureusement, et dans les couplets, j’ai écrit tout ce que le continent m’inspirait en ce temps.

Aujourd’hui la chanson est utilisée dans des reportages au sujet de l’Afrique, on la joue dans des rencontres internationales dédiées au continent ou pour accueillir des invités des 4 coins du monde au Sénégal.

Je rends vraiment grâce à Dieu parce que pour moi, ces succès ne signifient en rien que je suis meilleur que les autres. Nous artistes, avons bien conscience qu’autour de nous, il y a parfois des personnes plus talentueuses encore, mais c’est Dieu qui nous permet d’avoir une position spéciale ou privilégiée. Tout est une question de chance…

Le succès de nos œuvres, nous le devons aux gens qui acceptent de nous écouter, à notre public. Voilà pourquoi je dis qu’il faut toujours leur accorder de l’attention, ne jamais les mépriser car sans eux, on n’aurait jamais de succès.

C’est vrai que des fois c’est difficile de les gérer tous, comme quand ils viennent en masse après les concerts pour les autographes et les photos, et qu’ils t’envahissent (rires) mais tout cela fait plaisir et c’est cela la vie d’artiste.

Pour revenir à « Jammu Africa », il faut dire que la chanson est toujours d’actualité plus de 25 ans après sa sortie. J’y parlais de paix et aujourd’hui encore l’Afrique en a besoin. Vivement que le message passe…

Ismaël Lo, vous avez aussi une grande histoire avec le cinéma. Voulez-vous nous la raconter ?

Parlant de cinéma, hier seulement je suivais un documentaire sur Ousmane Sembène qui aurait eu 100 ans cette année s’il était encore vivant (paix à son âme).

J’étais triste de suivre le programme car c’est quelqu’un que j’ai connu, c’était notre voisin à Yoff et c’est lui qui m’a introduit dans le monde du cinéma.

Il réalisait un film sur l’époque coloniale et il y avait dans son scenario, un personnage dénommé « tirailleur harmonica » ; il fallait pour ce rôle, un joueur d’harmonica. Après des tests peu convaincants avec 2 ou 3 personnes, il m’a fait appel. Il m’a fait écouter une grande joueuse d’harmonica de l’époque coloniale et m’a demandé si je pouvais interpréter ses œuvres.

Je lui ai dit qu’avec un peu de temps, je pouvais reproduire les sons mais dans une autre gamme. Il m’a laissé travailler et j’ai transposé les morceaux dans les gammes qui m’arrangeaient le plus. Quand je lui ai fait la restitution de mon travail, il était aux anges.

Il m’a finalement donné le rôle, mais le plus difficile a été de me convaincre de me raser la tête, parce que j’avais une jolie coupe afro. Pour interpréter le rôle du soldat, j’ai dû raser mes cheveux – malheureusement je n’étais pas encore bien encadré en ce temps, que j’aurais demandé un dédommagement pour cela (rires).

Mais plus sérieusement, j’ai gardé des souvenirs indélébiles de ce moment. J’ai rencontré des personnes spéciales comme l’acteur Sidi Bakaba, ou encore Zao qui est artiste chanteur comme moi. On a aussi bénéficié d’une formation militaire de 10 à 15 jours, je n’oublierai jamais…

Un jour, Ousmane Sembène m’a demandé après un tournage d’aller lui acheter du mouton dans une rôtisserie à côté, j’ai accepté de le faire et quand je lui ai tendu la main pour prendre l’argent de la course, il m’a répliqué que je devais le faire de ma propre poche.

Je l’ai fait 2 fois et on a sympathisé ; pour ce film-là, nous sommes allés en Tunisie et là-bas, il m’a confié la mission de réaliser la bande originale avec une instrumentation bien simple, juste l’harmonica, une trompette et un tambour. C’est ainsi qu’on a réalisé la bande son du film sur le camp de Thiaroye.

Après cette aventure, j’interviendrai sur de nombreux films, notamment Afrique mon Afrique d’Idrissa Ouedraogo, ou encore Tableau Ferraille de Moussa Sène Absa.

Je ne dirais pas pour autant que j’ai eu une carrière de cinéma, quoique j’ai joué des rôles principaux dans 3 films et j’ai assuré la musique de 2 d’entre eux.

À l’international des propositions m’ont également été faites pour des rôles, mais je n’ai jamais adhéré aux scenarios parce qu’il y avait des aspects qui ne m’arrangeaient pas comme jouer nu, faire le méchant ou me faire embrasser.

Monsieur Lo, vous avez identifié plus haut, des problèmes auxquels les musiciens sont confrontés au Sénégal (parlant de piraterie). Dans ce contexte difficile, vous faites tout de même partie de ceux qui ont réussi et vous êtes pour cela, un véritable modèle. Comment y êtes-vous parvenu ?

Il faut de la patience, de la persévérance et du temps ! Vous avez remarqué que le long de cet entretien, j’évoque des noms de personnes toutes disparues.

C’est pour vous signifier que tout ça ne s’est pas construit en un jour. Des années se sont écoulées, j’ai rencontré de nombreuses personnes, j’ai passé plusieurs étapes et Dieu merci, aujourd’hui je vis de mon art, mais pas seulement…

J’investis également dans d’autres domaines, notamment l’éducation. J’ai fondé une école qui est dirigée par Madame Lo, mon épouse.

Ce n’est pas facile pour de nombreux artistes et je sais combien il est difficile d’entretenir une notoriété.

Nous avons un métier qui nous oblige des fois à montrer que tout va bien. Pour cela, on a la tentation de miser sur le paraître : acheter de grosses cylindrées, prendre des gardes du corps, montrer des signes ostentatoires d’opulence. Mais derrière cela, de réelles misères se cachent souvent.

On les découvre quand l’artiste tombe malade et qu’il faut une quête ou une lettre à des autorités pour avoir de quoi le soigner. Tout cela est bien dommage…

Je rends grâce à Dieu si je peux être considéré comme un modèle de réussite dans ce contexte, ce n’est vraiment pas facile. Je ne peux que remercier une nouvelle fois mes fans, parents, amis, voisins, proches et toutes ces personnes qui continuent de nous soutenir encore et encore.

Monsieur Lo, la question du statut de l’artiste est un combat mené depuis quelques années l’Association des Métiers de la Musique au Sénégal (AMS). On ne vous entend quasiment pas en parler, quel est votre point de vue sur ce sujet ?

Je suis pourtant membre de l’AMS et y a bien longtemps déjà, j’ai fait de l’activisme avec Ben Loxo et bien d’autres organisations.

Je soutiens l’AMS parce que le combat qu’elle mène, c’est pour notre bien être à nous, artistes.

Je vous ai évoqué ici, toutes les difficultés que nous connaissons à vivre de nos créations…

Mais il y a quand même une chose qui me gêne ; c’est cette soif de régner qui s’invite bien souvent dans ces organisations et qui les détournent de leur but initial. On est unis au départ pour la même cause, mais un jour les intérêts personnels s’invitent et prennent le dessus. Dernièrement, j’ai suivi Omar Pène qui en parlait encore…

Nous sommes un pays de plus de 17 millions d’habitants et il est inconcevable qu’un artiste ne parvienne pas à écouler au moins 10 000 albums. Pourtant si les choses marchaient bien, nous serions des opérateurs économiques influents car les Beattles ou Mickael Jackson ailleurs, ont contribué de façon très significative à l’économie de leur pays.

Mais ici, ta musique est certes appréciée mais peu achetée, et le plus scandaleux, c’est qu’au bout de la rue, tu as celui qui trafique tes albums et les vend en toute illégalité sans rien craindre du tout. Des fois il vient même te les revendre…

Ce serait bien de s’unir pour cette cause-là, afin que l’on mette sur pieds un mécanisme juridique qui puisse véritablement défendre nos droits.

Mr Lo, si vous n’étiez pas musicien, que feriez-vous ?

Tu vois cet aquarium là-bas ? c’est moi qui l’ai fabriqué ! Il y a dans la cour, des tables et autres meubles que j’ai moi-même faits. Aussi tous ces tableaux que tu vois sur les murs, c’est moi qui les ai peints. Je suis l’architecte de ma maison !

Je suis peintre avant d’être musicien et je sais faire beaucoup d’autres choses de mes mains. Je fais de la plomberie, de la menuiserie, je suis aussi agriculteur à mes heures perdues…

J’envisageais même de faire des expositions de peinture en marge de mes prestations musicales mais ça n’a jamais été évident de les organiser, car la vie de musique exige énormément de temps.

Si je n’étais pas musicien, je serais artisan dans un sens très large du terme – un créateur/bricoleur qui innove et crée des choses utiles pour lui-même et pour les autres.

Enfant, je rêvais aussi d’être douanier. C’était le métier de mon père et je voulais l’embrasser pour lui ressembler.

Pour finir, quel regard portez-vous sur la nouvelle scène sénégalaise ?

C’est une scène en pleine évolution ! Il faut dire que la musique est devenue quelque peu facile maintenant avec tout ce qui est logiciel de traitement rapide et intelligence artificielle.

Tu as quelques petites minutes pour arranger et programmer un morceau, et très vite tu le partages sur les réseaux sociaux qui peuvent t’assurer une grosse visibilité.

Antan, il fallait des jours et des nuits en studio pour la production et il fallait ensuite courir derrière les professionnels des médias pour la promotion.

Il y a tellement de facilités aujourd’hui, mais je conseillerais quand même aux jeunes de ne pas totalement y céder. Il faut aussi être un peu perfectionniste et ne pas toujours emprunter les raccourcis. Il faut prendre le temps nécessaire pour peaufiner sa musique et ses textes.

Après, tout est une question de choix aussi ; il y a ceux qui optent volontairement pour de la musique facile afin de gagner plus rapidement de l’argent et pouvoir se reposer très vite, et je les comprends. Il y a aussi ceux qui se concentrent et prennent leur temps pour produire des œuvres intemporelles, c’est aussi un choix appréciable.

Mais il faudra retenir que nous avons des jeunes très talentueux et créatifs. Dernièrement j’en ai écouté un dont j’ai oublié le nom et dans son clip, j’ai reconnu le saxophoniste Alain Oyono. C’était du très bon travail !

Ils ont tous tendance à s’orienter désormais vers l’afrobeats nigérian ; c’est de la musique facile mais très commerciale et c’est peut-être bien pour leur permettre de vivre de leur art.

Ceux qui veulent faire de la musique de prestige aussi c’est bien, mais c’est sûr que ce ne sera pas immédiatement rentable…

https://www.facebook.com/ismael.lo.777

https://www.madminutemusic.com/artistes/ismael-lo-2/

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Article 7

Un festival à vocation populaire La trente et unième édition de Saint-Louis Jazz se tient du 25 au 29 mai avec en point d'orgue un hommage au pianiste Randy Weston. Birame Seck, programmateur du festival, revient pour l'Autel des artistes de Panam sur cette aventure au long cours.

Pont Faidherbe

Passé le Pont Faidherbe, cet unique point de passage vers l'île de Saint-Louis-du-Sénégal (Ndar en wolof), la ville vous happe par sa langueur portuaire, à l'embouchure du fleuve Sénégal, avec ses maisons coloniales un peu défraichies par le temps. Celles que l'on voit dans le film Coup de torchon de Bertrand Tavernier dont la bande-son signée Philippe Sarde est du jazz New Orleans. Alors, Nouvelle-Orléans, Saint-Louis même combat? Une chose est sûre, il émane de ces deux villes un même charme suranné, et un parfum du passé propices à la musique jazz. À Saint-Louis, à la frontière mauritanienne, l'activité économique est au ralenti depuis longtemps, le poisson se raréfie, les habitants boivent le thé dans la rue et prennent le temps de parler. Tous les ans, le festival de jazz amène aux Saint-Louisiennes et aux Saint-Louisiens un supplément d'âme, entre l'ambiance survoltée d'une ville africaine et l'écoute parfois plus passive des amateurs de jazz. Quand l'aventure Saint-Louis Jazz a démarré Birame Seck n'en était pas puisqu'il était encore élève au lycée. Nous sommes alors au début des années 1990 et plusieurs Saint-Louisiens ont décidé de constituer une association pour promouvoir cette musique alors peu connue du public sénégalais. Les débuts sont forcément modestes avec dans l'équipe de passionnés de musique Abdou Khadre Diallo, Badara Sarr, Aziz Seck, Laye Sarr et Khabane Thiam, figure du jazz à Saint-Louis. Seuls deux groupes sont de l'affiche de la première version qui se tient en 1991 à la Chambre de commerce de Saint-Louis. Deux autres venus de Dakar grossissent les rangs lors de la seconde au Tennis Club de Saint-Louis en 1992. Mais le véritable coup d'envoi sera en 1993 à l'ancien entrepôt de Peyrissac (actuellement occupé par l'entreprise de télécommunication Sonatel) avec des invités prestigieux Roy Haynes et Archie Shepp. Le festival Saint-Louis jazz s'affine avec des partenariats établis avec le Centre culturel français à Saint-Louis, avec le syndicat d'initiative et de tourisme de Saint-Louis. L'association a alors comme présidente Marie-Madeleine Diallo, figure de la ville, actrice, ancienne animatrice de la Radiotélédiffusion sénégalaise (RTS), alors auréolée d''une nationale pour sa prestation dans le téléfilm Bara Yeego.

Archie Shepp

Roy Haynes

Aujourd'hui celle-ci n'est plus associée au festival et est présidente de l'association organisatrice du Fanal, cette procession dans la ville avec des lampions, typique de Saint-Louis qui a lieu tous les ans au mois de décembre et dont les origines remontent au XVIIIème siècle.

Suivi par la musique

Dans les années 1990, le Saint-Louisien Birame Seck part étudier à l'université Cheikh Anta Diop de Dakar « À l'époque Dakar nous faisait rêver, explique t-il, on a déchanté depuis.» Passionné de musique, il dit même que « la musique l'a suivi », le jeune homme ne rate aucune édition du festival à partir de 1994. Petit à petit, il s'investit de plus en plus dans l'organisation de l'événement.À partir de 2006-2007, il est rattaché à la régie financière, c'est-à-dire la gestion des comptes du festival. En 2009, on le « coopte » dans l'équipe qui s'occupe de la programmation artistique. Puis à partir de 2012, il est choisi comme programmateur en titre. Depuis sa création le festival a accueilli plus de 250 artistes dont certains de renom tels que Herbie Hancock, Marcus Miller, Gilberto Gil ou le regretté Manu Dibango qui répondent présents malgré des cachets moindres que sur la plupart des grandes scènes internationales.

Festival international de Jazz de Saint-Louis

La légende dit que l'ex-président Abdou Diouf aurait même prêté son avion pour transporter des artistes et du matériel. Le festival a aussi eu son lot de difficultés. Par exemple, en raison de la pandémie de coronavirus l'édition 2020 avait été annulée. Cette année, parmi les têtes d'affiche dont les Américains TK Blue-alias Talib Kibwe, ancien accompagnateur de Randy Weston-et Liz Mc Comb le Sénégalais Ismaël Lo et le Malien Cheick Tidiane Seck « On essaie aussi de mettre le projecteur sur nos artistes Sénégalais et Africains », souligne Birame Seck. Par son action, il essaie de casser les clichés: « Le jazz est souvent considéré comme élitiste. Ça m'a fait mal de voir un géant comme Pharaoh Sanders jouer en 2010 dans une salle avec très peu de monde. Mais depuis quelques années on a redressé la pente. » L'idée de Birame Seck et de l'équipe du festival a été de sortir le jazz des salons feutrés pour l'exposer au plus grand nombre par un événement en plein air sur la place Baya Ndar (anciennement place Faidherbe) « On essaie de créer une mixité, de montrer que cette musique peut se fondre dans beaucoup de décors. On donne de la valeur aux instruments traditionnels africains, le guembri, le balafon, le ngoni... » Les billets coûtent entre 5 et 10000 francs CFA (l'équivalent de quinze euros) « On pourrait essayer de le rendre gratuit mais la gratuité a aussi un coût.

Manu Dibango

Nous sommes soutenus par l'État sénégalais, le ministère de la Culture, le port autonome de Dakar, l'aéroport Blaise-Diagne, par des partenaires privés... » La collaboration avec les ambassades a permis de faire venir Anne Pacéo (France), Claude Diallo (Suisse), Antonio Lizana (Espagne) et Daniel Migliosi (Luxembourg)

Randy Weston

L'hommage à Randy Weston

Randy Weston, décédé en 2018, est un vieux compagnon de route du festival. Il était naturel que celui-ci lui rende hommage cette année. Ce n'est pas pour rien que son autobiographie éditée par Présence africaine s'intitule African rhythms (Rythmes africains) C'est le nom du club qu'il a ouvert à Tanger de 1967 à 1972. Depuis Randy a fait du gnawa avec Abdellah el Gourd ou partagé la scène avec le percussionniste sénégalais Doudou Ndiaye Rose ou Ablaye Cissoko, habitué du festival. L'avant-dernier projet de Randy s'intitulait et ce n'est pas pour rien The African nubian suite (2017). « C'était quelqu'un d'une spiritualité comme j'en ai rarement vu. Il a sillonné l'Afrique à laquelle il était très lié avec son baton de pèlerin. Il est venu apprendre avec beaucoup d'humilité.» se souvient Birame Seck. « Il était d'une grande générosité artistique et acceptait pour notre festival un cachet en deçà de son niveau.»

Si l'homme a disparu sa musique, qui sera célèbrée à Saint-Louis, reste. Le souhait de Birame pour cette 31ème édition? « Du succès à tous les étages, de la musique à chaque coin de rue. En ce moment le pays traverse des tensions et la musique permet de fédérer les énergies. Pendant cinq jours, on parle la même langue, on prêche l'union, la démocratie, la paix avec des musiciens de toutes nationalités. »

Julien Le Gros

https://www.saintlouisjazz.org/blog/

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ARTICLE 6

L'autel des artistes de Panam

Une initiative de Isaacetjadecompagnieofficiel, poursuit son petit bonhomme de chemin.

Mille fois merci à vous tous pour votre intérêt porté à notre action et pour vos :

Merci Isaac Jade !!!

Deux années après sa création (Octobre .2021) à Paris, l’autel des artistes de Panam s’est fait une place auprès des artistes ,des acteurs de la culture , des lieux qui logent la culture, des promoteurs de spectacles qui excèllent dans le domaine de l'art et du spectacle vivant.

L’autel des artistes de Panam est là pour booster l'action des professionnels et de leurs équipes qui s'occupent d'ailleurs très bien de leurs artistes sans perturber leurs plans de travail (managers,manageuses,community management des artistes ).

Nous faisons la promotion des artistes mais aussi des événements culturels dans le but d'offrir aux intéressés un espace d'échange, de visibilité et d'audience supplémentaire.

Nous ne nous subtitions pas à l'équipe qui supporte et porte haut un artiste.

Notre rôle est clair et bien défini :

promouvoir et soutenir avec efficace, professionnalisme dans la fluidité.

C'est en cela même que constitue notre raison d'être et à la fois notre but c'est à dire notre objectif premier dès la première année de la création de L’autel des artistes de Panam notre rôle est de soutenir les artistes et de promouvoir la culture sans ménager nos efforts.

Au fil des années nous nous sommes spécialisés dans la promotion de la culture dans le circuit de l’événementiel .

Cela fonctionne et nous donne une bonne raison de ne pas passer à côté de ce qui se passe ailleurs.

Par conséquent , nous nous intéressons d'avantage aux événements culturels qui se déroulent très loin de Paris.

Cette année 2023, L'autel des artistes de Panam est invité sur plusieurs festivals en Europe mais aussi sur le continent africain.

Nous ouvrons notre premier reportage sur le STEREO AFRICA FESTIVAL 2023 avec le récit de Lamine BA

Sénégal - SAF 2023 : Dakar en stéréo et en couleurs…

Le Festival Stereo Africa, rare événement des scènes musicales africaines consacré aux musiques actuelles, a pris place du 9 au 13 mai 2023 à Dakar, la capitale sénégalaise.

Ce festival unique en son genre a réuni des artistes renommés tels que Daby TouréCarlou DNoumoucounda CissokoSaintrickEsinam, ainsi que plusieurs groupes de reggae dakarois et des talents émergents. Le festival a également accueilli des panels qui ont réuni de nombreux professionnels du secteur musical au pays de la Teranga et une compétition « Unplugged sessions » qui a vu s’affronter plusieurs talents en herbe issus de Dakar et de ses environs.

Dès le premier jour, les festivaliers ont été accueillis dans une atmosphère vibrante et chaleureuse. Les scènes, installées dans des lieux emblématiques de Dakar, le Clos Normand, l’Institut Français, Pieds Tanqués et l’Agence Trames ont offert des cadres uniques pour les performances musicales et les espaces discussions.

Le festival s’est ouvert avec la prestation de talents nouveaux en showcases ; Sister LBNgatamaareNaya de Nayama, Eesah Yasakue et Wzaa à l’Institut Français, avant de se clôturer avec Daby Touré dans une performance énergique qui a enflammé le public. Son mélange de sonorités afro et acoustique a créé une ambiance festive et entraînante au sein de l’institut, alors que le restaurant Les Pieds Tanqués s’apprêtait à recevoir les deux jeunes artistes Alassane BadBoy et Badou Jawara.

Le deuxième jour, 11 mai 2023 qui coïncidait avec l’anniversaire de la mort de la légende Bob Marley a été la parfaite occasion pour Stereo Africa de mettre en lumière, le reggae sénégalais, genre quelque peu marginalisé au pays de la Teranga. Le festival a réussi à réunir des talents reggae exceptionnels lors de cette soirée mémorable, Daba Makourejah, Jupiter Diagne et le Thimsel Band.

La diversité des styles, des messages et des influences a permis de célébrer la richesse et l'universalité de la musique reggae. Le public, immergé dans une ambiance positive et festive, a dansé, chanté et partagé des moments forts de fraternité, sur des notes engagées.

Ces artistes talentueux ont su créer une belle atmosphère où le reggae a servi de langue universelle pour rassembler les peuples et propager des messages de paix, d'amour et d'espoir.

Malgré l'absence de la star annoncée pour cette seconde édition, Boubacar Traoré, la légende du blues malienne, la troisième soirée a été marquée par sa formation musicale qui avait déjà rejoint la capitale sénégalaise et qui a transporté les spectateurs dans un voyage musical envoûtant, au son des rythmes traditionnels mandingues joués avec maestria.

Leur musique émouvante et leur virtuosité ont captivé le public et créé une atmosphère magique, peut-être l’un des moments les plus incroyables du Stereo Africa 2023, si l’on compte la prestation très aboutie du griot urbain, le sénégalais Noumoucounda accompagné de la chanteuse Mamy Kanouté qui une fois de plus, a su mettre une belle ambiance et faire apprécier sa belle voix.

Avant cela, le public a pu apprécier le talent pur de Kalsoum, les vibes d'Aida Sock, et danser sur les rythmes venus du Fouta (région du Sénégal) avec le groupe Ngendymen, et profiter de la créativité sans limite de Sym Sam.

La dernière soirée du festival a été marquée par Esinam, une DJ Belge de père ghanéen, qui a offert une performance captivante avec sa fusion unique de musiques traditionnelles africaines et de sonorités électroniques modernes. Son énergie sur scène et sa musique ont beaucoup séduit les festivaliers.

Wa Suuxat, un groupe sénégalais qui mélange habilement les genres, en incorporant des éléments de reggae, de jazz et de musiques traditionnelles, a également marqué la soirée finale du Stéréo Africa Festival. Sa performance dynamique et engagée a été saluée par le public.

One Pac et les Fellows, un groupe sénégalo-hispanique a touché le public également avec ses chansons qui fusionnent des éléments de hip-hop, de soul, de jazz et de rnb créant ainsi une expérience auditive captivante.

Ce mariage harmonieux de styles musicaux distincts leur permet de toucher un large public, transcendant les barrières culturelles et générant une connexion avec leurs auditeurs.

Avant Esinam et après One Pac and Fellows, le public métissé du Clos Normand a voyagé au Congo avec Saintrick et sa musique, un mix unique de folk, de rumba alternative et de sonorités tribales, qui donne un assemblage captivant qui mène dans une autre dimension.

La voix charismatique de Saintrick et l'habileté musicale de son groupe se complètent harmonieusement pour donner naissance à un paysage sonore puissant qui a fait danser tout le public, avant que Carlou D ne mette la note finale au Stereo Africa 2023 avec une performance XXL et énergique qui a enflammé définitivement le public. Son mélange de sonorités afro, de reggae et de mbalax a créé une ambiance de soirée sénégalaise, bien appréciée par le public avant l’after-party très attendu d’Electrafrique.

Outre les concerts, les organisateurs du festival Stereo Africa ont également animé un espace de création avec des talents émergents encadrés par Daby Touré et Sahad Sarr, qui se sont ajoutés aux panels proposés et qui ont réuni plusieurs professionnels du secteur musical au Sénégal.

Ces discussions ont abordé des sujets tels que l'industrie musicale africaine, les défis et opportunités pour les artistes locaux. Les discussions ont été une occasion précieuse pour les artistes, les producteurs, les managers et autres acteurs du secteur, de partager leurs expériences et d'échanger des idées.

La première conférence s'est tenue le 10 mai à l'IF, après la séance inaugurale du festival, sur le thème des « difficultés et des avantages de la production musicale en Afrique ». Ce panel a réuni une cohorte de professionnels sénégalais du son. Le matin du 11 mai, un workshop a eu lieu au Clos Normand pour aider les participants à répondre à un appel à candidatures, une équation à laquelle sont confrontés de nombreux artistes et managers.

Le deuxième jour du festival, un panel sur « la musique sénégalaise à l'export : quels défis ? » et un talk sur les « femmes dans les métiers de la musique » ont été organisés.

Le Stereo Africa des professionnels du 12 mai au Clos Normand a été consacré à l'état des lieux du journalisme culturel au Sénégal, suivi d'une conférence sur les talents et les régions du Sénégal.

Le samedi 13 mai, les invités du Stereo Africa se sont retrouvés au Clos Normand pour les ultimes panels sur les thèmes : « droits d'auteurs et structuration » et « le rôle des politiques culturelles dans l'écosystème musical ». Ces échanges ont permis aux professionnels de partager leurs expériences, d'échanger des idées et de trouver des solutions aux défis auxquels ils sont confrontés.

En favorisant ces débats et en encourageant la réflexion sur les enjeux de l'industrie musicale, Stephane Contini et Sahad Sarr contribuent à renforcer la communauté musicale au Sénégal.

Les panels sur des sujets tels que « la production musicale en Afrique », « les femmes dans les métiers de la musique », « les droits d'auteur et les politiques culturelles », pourraient permettre de sensibiliser mais aussi d'engager des actions concrètes pour soutenir le développement de la filière musicale sénégalaise.

Le festival Stereo Africa, qui met en avant des musiques alternatives souvent oubliées dans les festivals les plus populaires du Sénégal, est un événement précieux et unique dans le landerneau musical sénégalais et africain pour la préservation de la diversité musicale. Il permet aussi de réunir des acteurs de la sphère musicale en vue de créer une synergie favorable au développement de la filière.

Le Festival Stero Africa, n’en n’est qu’a sa deuxième édition mais il joue déjà un rôle crucial dans la promotion des musiques actuelles au Sénégal.

Stereo Africa 2023 a non seulement offert une expérience musicale mémorable, mais a également stimulé la réflexion et la collaboration au sein de l'industrie musicale sénégalaise. Grâce à son engagement en faveur des musiques actuelles et de la diversité culturelle, le festival contribue à consolider la place du Sénégal sur la scène musicale internationale. 

Article de Lamine Ba.

Le chanteur Daby Toure sur la scène de l’institut français de Dakar pour l’ouverture du Stéréo Africa Festival 2023 (crédit photo) : Pierre Lrde Mve

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ARTICLE 5

Voici l’article 5 sur Vincent Butcher

Le 10 avril 2023, nous avons été à la rencontre de Vincent Bucher dans le parc de la Villette, aux abords de la Philharmonie de Paris. L'interview a eu lieu près d'une cabane en bois, un décor digne du sud des États-Unis qui a tant inspiré l'artiste. Ce jour-là, cet harmoniste virtuose s'est livré pour la rubrique « Interview news » de la compagnie Isaac et Jade sur L’autel des artistes de Panam.

VINCENT BUCHER, l'harmonica dans la peau.

Depuis l'âge de seize ans, Vincent Bucher s'est pris de passion pour l'harmonica, un instrument qui l'a amené à côtoyer les plus grands, de Louisiana Red à Charlélie Couture en passant par Boubacar Traoré, qu'il a accompagné le 26 mars au New Morning. Portrait d'un grand musicien de l'ombre.

Né le 31 mai 1962, Vincent Bucher a soixante ans et ne les fait pas. Le secret de l'éternelle jeunesse de ce Lensois d'origine, installé à Paris depuis l'enfance, réside peut-être dans ce petit instrument qui tient dans la poche, le sien a été fabriqué par Raymond Brodur, et qu'il manie avec une rare dextérité. « Comme beaucoup d'adolescents, explique t-il j'écoutais beaucoup de rock. Les morceaux qui me touchaient le plus dans ce répertoire étaient des blues. J'ai écouté les originaux. Le premier que j'ai entendu c'était Elmore James qui a été une vraie révélation pour moi. » À partir de là, le jeune homme va rentrer dans l'univers du blues passionnément, «comme on rentre en religion. » Son futur instrument l'harmonica il l'entend pour la première fois avec les disques des Rolling Stones qui passaient sur la platine de ses grands frères. « Les Stones étaient complètement imprégné par le blues. Le premier harmoniciste que j'ai entendu c'était Mick Jagger. Je me rappelle avoir dit à mes frères: « c'est quoi ce truc qu'il joue? » Quand j'ai eu l'occasion d'en jouer je me suis rendu compte que je ne sonnais pas que Mick Jagger. J'en ai acheté un et chaque fois que je soufflais dedans ça donnait le même son. J'ai compris que comme tous les instruments il fallait apprendre et travailler, ce que j'ai fait. »

Des Halles aux États-Unis

Vincent Bucher peaufine alors son art en jouant avec des copains guitaristes. Nous sommes dans le quartier des Halles, peu après l'inauguration du centre Pompidou le 31 janvier 1977. « Le quartier des Halles était encore très vivant. J'ai rencontré un harmoniciste afro-américain, qui est devenu par la suite très connu, Sugar Blue, originaire de New York »https://sugar-blue.com/ Celui-ci prend Vincent sous son aile: « Il m'a dit que je me débrouillais bien. C'est le premier qui m'a fait monter sur scène, qui m'a donné mon premier ampli. À cette époque, j'ai aussi rencontré quelqu'un qui est devenu un partenaire de vie Tao Ravao. » Nous y reviendrons. Vincent Bucher sera aussi en 1981 de l'aventure Hot' Cha avec Yves Torchinsky à la basse Manu Galvin et François Bodin à la guitare, Yves Teslar à la batterie. « On essayait de moderniser le blues de Chicago. C'était peut-être un peu présomptueux mais on avait le mérite d'être un vrai groupe avec un répertoire. Personne ne cherchait à tirer la couverture à soi et on faisait une musique de groupe contemporaine. » Sugar Blue, le mentor, donnera un précieux conseil à Vincent: « Si tu veux comprendre cette musique, il faut aller aux États-Unis et rencontrer des bluesmen. C'est devenu un rêve. Je me rappelle avoir économisé centime après centime. Nous étions à l'aube et des années 1980, le dollar montait et je voyais mon pactole fondre. » Néanmoins Vincent s'arrime à son rêve, se professionnalise en intégrant divers groupes et en 1984 il effectue son premier voyage aux États-Unis, sur la côte ouest, puis à Chicago. Il y retournera très souvent par la suite entre Chicago, San Francisco ou Memphis. « Dans les années 1980 à Chicago il y avait encore des légendes. Muddy Waters est mort en 1983, le grand harmoniciste Big Walter Horton deux ans plus tôt. Mon premier soir à Chicago, j'ai eu l'occasion de faire le boeuf avec le pianiste chanteur Sunnyland Slim avec une rythmique à l'ancienne, Bob Stroger à la basse, qui est toujours vivant, Robert Covington à la batterie, des musiciens dont les noms ne disent rien au grand public mais qui font partie des architectes de ce style. https://www.blues-sessions.com/robertcovington.php

Sur la côte ouest, j'ai aussi accompagné Sonny Rhodes, qui a eu ses heures de gloire dans les années 1950, et qui n'a jamais arrêté de jouer. Ces rencontres ont été des déclencheurs pour moi. J'ai eu une chance incroyable.» Il côtoiera d'autres grands noms tels , Louisiana Red, Melvin Taylor ou Jimmy Johnson.

Aux sources du Delta

Lors de l'entretien qu'il nous a accordé Vincent Bucher a montré avec le regard brillant du mélomane deux disques issus de sa malle aux trésors qui illustrent cette quête aux racines du blues. Le premier a été enregistré par le chanteur guitariste Son House dans les années 1940. « Je me suis tourné vers le blues des origines, en particulier celui du Delta du Mississippi parce que je voulais savoir qui a inspiré ceux que j'écoutais, les Muddy Waters, Elmore James, Robert Johnson. C'est comme ça que je suis tombé sur Son House. » Pour l'harmoniciste français, Son House, né en 1902 à Lyon, Mississippi, représente « la quintessence du chant blues, ce mélange entre quelque chose d'à la fois très physique et très spirituel. C'était le « king » à l'époque. Les oreilles de maintenant doivent s'adapter à ce son mais c'est du concentré d'âme et de blues 100%, avec une ferveur incroyable.» Tombé dans l'oubli, Son House sera redécouvert en 1964 par un groupe de collectionneurs de disques qui lui permettront de refaire des concerts, notamment à l'American folk music revival, d'enregistrer quelques nouveaux disques avant sa disparition en 1988. Le deuxième disque est signé par un maestro de l'harmonica Little Walter, parti trop tôt en 1968 à l'âge de 37 ans . « C'est lui qui a créé l'harmonica blues moderne. » résume Vincent Bucher. Son histoire, est celle d'un jeune homme créole de Rapide Parish en Louisiane qui est parti de chez lui à douze ans. « Il jouait dans les rues de la Nouvelle Orléans, imprégné de blues traditionnel et de polka. Il écoutait du jazz, du swing. » Arrivé en 1946 dans le quartier sud de Chicago Little Walter rencontre Muddy Waters et sera l'un des pionniers de l'électrification de la musique. « Pour moi, c'est le roi absolu », s'enthousiasme Vincent Bucher, j'ai commencé à jouer en l'écoutant. Même encore aujourd'hui, il y a des choses que je redécouvre dans sa musique. Tous les harmonicistes connaissent Little Walter. C'est un peu comme Charlie Parker pour le jazz, il est à mon avis le plus grand improvisateur, tous instruments confondus, dans le blues. »

Tao Ravao, le partenaire de vie.

Pour Vincent, une autre aventure marquante est celle qui l'unit au musicien malgache Tao Ravao. Les deux compères feront leurs premières armes dans le métro, dans la rue. Ensemble ils formeront un duo fusionnel que Tao qualifie d'afro blues et transe malgache. « On crée souvent une musique originale et de particulière quand on ne sait pas faire les choses. Alors on fait autre chose. On essayait de jouer du blues, mais nous ne sommes pas des bluesmen ni des Afro-américains. On savait bien qu'on n'avait pas le même vocabulaire alors on a fait comme on a pu, à notre sauce. C'est comme ça qu'on a développé ce son-là. » décrypte Vincent.

Tout part là aussi de Beaubourg à la fin des années 1970. « J'y traînais, il y avait une effervescence, des musiciens avec un niveau incroyable et à l'époque je n'avais pas d'autre vocation que de jouer dans la rue. Un jour, je vois un harmoniciste américain Andy J Forest, qui tourne toujours et vit aujourd'hui à la Nouvelle Orléans. il était accompagné par un guitariste, c'était Tao Ravao. On a sympathisé et joué ensemble à Odéon, à Montparnasse. »https://www.andyjforest.com/

Le tandem commence par jouer du blues traditionnel. Mais dans les années 1980, émergent des musiciens d'origine africaine et carribéenne (Kassav) « On voyait arriver des bassistes, des batteurs des guitaristes, avec un niveau de fou. Le marché de la musique africaine commençait à percer en Europe ». Au cours de cette décennie, Mory Kanté (Yéké Yéké), Salif Keita, Youssou Ndour, Johnny Clegg, Touré Kunda (Emma)... vont modifier durablement le paysage musical. « À Paris, comme il n'y avait pas une scène blues on se retrouvait avec une rythmique basse batterie qui n'était pas constituée de musiciens de blues. Avec Tao on s'est ouvert à ce que ces musiciens africains et carribéens jouaient. » Franco-Malgache, né en 1956, Tao arrive en France à l'âge de douze ans. À la fin des années 1980, il retourne à Madagascar et redécouvre les instruments de la terre qui l'a vu naître, la valiha, sorte de lyre malgache, la cabosse. « Tao a commencé à jouer avec des musiciens traditionnels malgaches, de mon côté j'ai rencontré des musiciens congolais, ivoiriens. On répétait avec des groupes qui ne montaient jamais sur scène, par exemple métro colonel Fabien, chez Paco Rabanne, à l'époque un des temples de la musique africaine à Paris.» Ce métissage aboutira au premier album du duo Love call en 1993, il y en aura sept dont le dernier Piment bleu en 2021 sur le label Buda musique qui a été primé par l'Académie Charles Cros dans la catégorie Musiques du monde. (Et la liste n'est pas finie!) Sur Piment bleu deux titres Madiba et Sankara, en référence aux leaders Nelson « Madiba » Mandela et Thomas Sankara. « Ce sont des grands personnages de notre époque, même si on ne connaissait pas bien les réalités de l'Afrique du Sud ou du Burkina Faso. On a vu Sankara arriver le 5 août 1983. Mandela c'était déjà un mythe. On a  assisté médiatiquement à sa libération le 11 février 1990. On était forcément sensibles à cette actualité même lointaine parce qu'on rencontrait des Africains qui nous en parlaient. Ça nous a nourri. »

Mali blues

C'est aussi par l'intermédiaire de ce duo avec Tao Ravao en participant à un des nombreux festivals folk de l'été au Canada qu'il fera la rencontre déterminante en 1993 avec un certain Boubacar Traoré. « C'était l'époque où il apparaissait sur la scène internationale. Nous sommes devenus amis. Ensuite Philippe Conrath, fondateur du festival Africolor m'a proposé d'accompagner Lobi Traoré au New Morning. Je suis allé au Mali en 1996 avec Lobi et on a joué à Bamako et au Burkina Faso. J'étais toujours en contact avec Boubacar Traoré qui m'a reproché de jouer avec untel ou untel mais pas avec lui. Je lui ai dit de m'appeler. » En 2004, il participe à l'album Kongo magni, sorti un an plus tard, produit par Christian Mousset, sur lequel on retrouve notamment Kélétigui Diabaté au balafon, Pedro Kouyaté ou Bamba Dembele à la calebasse, Yoro Diallo au kamele ngoni, et en invités le regretté Régis Gizavo à l'accordéon et Émile Biayenda aux percussions. « Début 2005 on a fait des concerts ensemble. Il y a eu le festival Musiques métisses, qui est un de ceux que j'ai le plus écumé, un super festival. Christian Mousset en était à l'époque le directeur. Tao, qui a vécu à Angoulême à son arrivée en France était très ami avec lui. On a joué là-bas avec Tao puis avec Boubacar. Ça ne s'est pas arrêté depuis avec « Kar Kar ». Il participe aussi à l'album Koya d'Abou Diarra, joue avec Adama Namakaro Fomba. On peut aussi l'entendre avec d'autres artistes africains comme la chanteuse érythréenne Faytinga.

https://www.youtube.com/watch?v=A4Z_T5VAX2I&list=PLl5llMCRZN2kQylxCoo18O_CAL0C-5wCI&index=1

https://www.youtube.com/watch?v=SSgBI9v104g

https://www.youtube.com/watch?v=dRYGByQXHDA

Du blues en France

Entre l'Afrique et les États-Unis, Vincent Bucher n'oublie pas de porter le blues en hexagone. « Maintenant, il existe une scène blues en France avec des groupes identifiés. Dans les années 1970-1980 c'était des artistes passionnés de blues, » se souvient-il. « Patrick Verbecke, qui venait du rock, Bill Deraime étaient des pionniers. À leur époque très peu de gens en jouaient. J'ai connu Patrick Verbecke quand j'avais dix-huit ans. Ça a été une longue amitié qui a duré jusqu'à la fin. Deux jours avant sa mort le 22 août 2021 on avait un concert de prévu. Il était trop fatigué pour le faire. Bill Deraime avait dit à Patrick: « j'aime bien ton gars qui fait de l'harmonica » La collaboration durera de 1989 jusqu'à 1994. Les deux hommes joueront ensemble le temps de quelques concerts en 2012. Aujourd'hui Bill Deraime a pris sa retraite. Charlélie Couture a enregistré à Chicago avec un de mes meilleurs amis l'harmoniciste Matthew Skoller pour l'album Casque nu (1997) Celui-ci lui a dit: « Si tu cherches quelqu'un à Paris appelle Vincent. » Vincent Bucher accompagnera donc le Nancéen au timbre singulier pendant une dizaine d'années à partir de la fin des années 1990. Côté solo, Vincent Bucher a enregistré un album de belle facture passé un peu inaperçu Hometown en 2014, sur le label néerlandais Continental blue heaven, dans lequel il chante avec un timbre qui rappelle un peu JJ Cale. Il y est secondé par Jeremie Tepper à la guitare, Christophe Garrot à la basse, Danny Montgomery ou Christophe Gaillot à la batterie.

https://www.youtube.com/watch?v=MyvAHbeDmss

La bonne nouvelle, c'est que Vincent prépare un album dans la même lignée, avec des compositions originales. Pas de date de sortie pour le moment « Il est en fabrication comme on dit. » Un autre disque est prévu, cette fois du côté de l'Afrique avec le trio Soba, enregistré à Angoulême, avec le guitariste burkinabé Moussa Koita et le batteur percussionniste congolais Émile Biayenda, fondateur des Tambours de Brazza.

En attendant, on peut parfois voir Vincent live à la Maison du blues à Châtres-sur-Cher, un musée et salle de concert animé par Jacques et Anne-Marie Garcia. « On a connu Jacques avec Tao dans les années 1990 à l'époque où il avait une agence de booking Rhésus blues. Il nous a appelé pour accompagner le bluesman américain Eddie C Campbell. Ensuite il a créé le label Broadway records qui a produit le premier album de Vincent Bucher et Tao Ravao Love Call. Ce lieu singulier qui paraît au milieu de nulle part entretient la flamme de cette musique et de la ville. C'est vraiment un très bel endroit. » Enfin, en septembre, si la situation politique le permet Vincent jouera au Niger avec son complice de toujours Tao Ravao et le guitariste percussionniste sénégalais Edu Bocandé. Affaire à suivre.

Julien Le Gros

https://www.youtube.com/watch?v=K-n5R_6HcjI

https://www.lamaisondublues.fr/

La biographie de Vincent Bucher

https://vincentbucher.wordpress.com/a-propos-2/

Thé ou café

Trois questions à Vincent Bucher

Selon toi, qu'est-ce qu'une signature musicale?

Quand vous abordez une personne, il y a une aura, une ambiance, une personnalité qui se dégage. Une signature musicale c'est quand on écoute un artiste et qu'on se dit que c'est lui ou elle.

Il y a des particularités partout. Ce que j'ai ressenti en Afrique de l'Ouest et sur le continent en général c'est cette connexion avec le blues. C'est très difficile et diffus de retracer la généalogie africaine du blues parce qu'à travers l'esclavage il y a eu une dispersion totale des familles, des dynasties, des nations. Mais en Afrique de l'Ouest en particulier j'ai entendu des musiques dont je me suis dit que c'était les cousines du blues. Les États-Unis c'est un pays musicalement créole, très jeune, alors qu'en Afrique, comme en Europe il y a ce côté vieux continent. Nos musiques sont empreintes de ça. Les musiques africaines m'ont ramené à mon européanité.

Toi qui est allé des deux côtés-tu as même enregistré avec Boubacar Traoré à Lafayette en Louisiane sur l'album Dounia Tabolo- il y a un vrai pont musical entre le Mali et le Mississippi, pour reprendre le titre du documentaire de Martin Scorsese?

Bien sûr, il y a une réelle connexion, il suffit d'entendre et de voir le cadre de vie des gens. Je peux le dire en tant que témoin. Mais à mon sens, c'est quelque chose qui doit plus être exprimé par des Africains ou des Afro-américains. C'est leur truc, leur histoire. C'est à eux d'avoir ce narratif.

Enfin, si tu n'avais pas été musicien qu'aurais-tu aimé faire?

J'aurai adoré être dessinateur de bande dessinée parce que je lis beaucoup. Les BD c'est de la littérature et du cinéma, avec des dialogues. Mais c'est un travail de dingue, les dessinateurs de BD sont des héros. Mon père m'a dit: « Tu écriras un livre un jour. » Ça me plairait bien mais pour l'instant je n'ai pas encore l'histoire à raconter.

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Article 4

On a pu le voir aux côtés d'Ali Farka Touré ou Ballaké Sissoko. Le grand Boubacar Traoré est l'objet du quatrième article de la rubrique Interview et news.

On a pu le voir aux côtés d'Ali Farka Touré ou Ballaké Sissoko. Le grand Boubacar Traoré est l'objet du quatrième article de la rubrique Interview et news.

Boubacar TRAORÉ . Le dribbleur du blues malien

Le 26 mars, Boubacar Traoré s'est produit au New Morning à Paris. Ce concert mémorable affichait complet. L'occasion pour l'Autel des artistes de Panam de revenir sur la carrière d'un des derniers lions du blues malien.

En langue bamanan on le surnommait « Kari ». « Karkar », le surnom de Boubacar Traoré, signifie « casser, casser ». Ce patronyme, il le doit de ses talents de dribbleur sur les terrains de football de sa jeunesse à la fin des années 1950.

https://www.youtube.com/watch?v=DXZCJz5qHMw

Dans une scène du documentaireJe chanterai pour toi de Jacques Sarrasin (2001) qui porte sur Boubacar Traoré, et dans lequel on croise les regrettés Malick Sidibé, célèbre photographe malien surnommé « l'oeil de Bamako » et Ali Farka Touré, un « Karkar » déjà âgé joue à l'improviste au foot avec des gosses dans la rue. À'image on voit qu'il a de beaux restes avec le ballon rond. À 80 ans révolus, il est né en 1942, le bluesman n'a pas non plus perdu la main à la guitare. Le 26 mars, il était assis avec son instrument, un peu voûté au début du set, mais très vite il s'est animé et s'est redressé fièrement, revigoré par sa complicité avec ses camarades de jeu, Daouda Diarra, imperturbable, à la calebasse et au bara, cette sorte de calebasse ouest-africaine recouverte d'une peau de chèvre, Abdoulaye Dembele dit « Yaro », au kamalen n'goni, à la kora, au dozo n'goni et au bolon, et enfin last but not least Vincent Bucher à l'harmonica. Le public du New Morning ce soir-là est jeune, avec beaucoup de non-Maliens qui fredonnent Mariama en choeur sans comprendre le moindre mot de bambara. Mais là n'est pas l'essentiel, le plus important c'est le pouvoir fédérateur de la musique du maestro. Sur scène comme dans la vie l'homme ne se sépare jamais de sa casquette à la gavroche. Au New Morning, Karkar a parfois revêtu un stetson de cowboy digne des bluesmen du delta du Mississippi auquel les médias le comparent souvent Skip James, Blind Willie Mc Tell ou Robert Johnson. Pour continuer de filer la métaphore du football, ce soir-là Vincent Bucher et « Yoro » se sont fait des passes décisives, en faisant dialoguer avec dextérité leurs instruments, harmonica pour l'un et ngoni pour l'autre, sous l'oeil ravi du kôro (vieux père).

https://www.youtube.com/watch?v=SlWiPpJdv9w

https://hambeproduction.bandcamp.com/album/boubacar-traore-kar-kar

https://information.tv5monde.com/video/boubacar-traore-legende-de-la-musique-malienne

Le vieux méchant

Le dernier album de Boubacar Traoré Tiokoro Ba Diougu  (Le vieux méchant en bambara), sorti en juillet 2022 chez Hambé productions, a été conçu suite à une rencontre avec des musiciens à Ségou, dans un style très épuré et traditionnel issu du folklore malien. « Ce vieux méchant de la chanson explique Boubacar dans une interview diffusée le 28 mars sur TV5 Monde, c'est quelqu'un qui refuse à des jeunes de voir sa fille. Mais ce vieux oublie que quand il était jeune il faisait la même chose! » Sur les neuf titres, on entend Boubacar chanter accompagné par sa guitare, la calebasse, quelques notes de ngoni savamment distillées. Le morceau Sécheresse résonne comme un thème d'actualité à l'heure du réchauffement climatique, une réalité concrète que subissent les paysans maliens. Le père de Boubacar était cultivateur à Kayes et lui-même a son lopin de terre sur les hauteurs de Bamako. Dans une autre chanson Ben bali so, il dit dans une forme de sagesse populaire « Ce monde est mauvais, je me transformerai en grand oiseau. Mais ils ont tué le grand oiseau. Alors j'ai dit: je me transformerai en petit oiseau mais ils l'ont attrapé et l'ont enfermé.»

Pour aller aux sources de l'inspiration de Karkar il faut se rendre à Kayes, à l'ouest du Mali, à près de cinq cent kilomètres de la capitale Bamako. Kayes, entourée de massifs montagneux est surnommée la « cocotte minute » du Mali en raison des températures élevées de sa région. Dans ces montagnes, le blues du vieux lion s'exprime pleinement. Mais pour comprendre le goût de la guitare de « Karkar », il faut remonter en 1958, deux ans avant l'indépendance du pays le 22 septembre 1960. Cette année-là Boubacar se forme à la guitare en autodidacte et en cachette du propriétaire de l'instrument qui n'est autre que son grand-frère Kalilou. Celui-ci, trop tôt disparu, est le cofondateur des Maravillas du Mali, ce groupe mythique de l'époque des Indépendances africaines dans lequel a débuté Boncana Maïga et qui a fait l'objet du documentaire de Richard Minier Africa mia. Kalilou, passera huit ans à Cuba dans le cadre de la politique culturelle initiée par le président Modibo Keita. Mis devant le fait accompli par son frère cadet de cet apprentissage « clandestin » Kalilou ne manquera pas de reconnaître le talent de celui-ci.  « Je jouais de ma guitare comme d'une kora. Or, la kora a 21 cordes, contre 6 pour la guitare. Je jouais donc sur ces 6 comme s'il y en avait 21, on appelle cela une double-gamme. Nous sommes très peu à pouvoir le faire. » a expliqué Boubacar dans une interview accordée en 2016 à notre consoeur du Point Hassina Mechaï.

https://www.youtube.com/watch?v=Ev-CmJ2YuxA

Mali twist

Dans le Mali émergent des années 1960 « Karkar » devient une figure très populaire. Malheureusement, une seule photo en noir et blanc dans lequel il porte un blouson de cuir comme Vince Taylor et surtout Elvis Presley dans le film Jailhouse rock qui a été projeté dans l'un des cinémas bamakois alors très répandus ( ils ont tous fermés depuis) témoigne de cette époque. Son célèbre titre Mali twist enregistré en 1963 sur Radio Mali, l'ancêtre de l'Office nationale de radiotélédiffusion malienne (ORTM) inspirera une exposition de photographies de Malick Sidibé en 2017-2018 à la Fondation Cartier à Paris. Le réalisateur Robert Guédiguian à essayé un peu maladroitement dans son film Twist à Bamako de recréer l'atmosphère de l'époque au Mali sur fond de musique yéyé (Sylvie Vartan, Johnny Halliday...) mais c'est peut-être Boubacar Traoré qui l'illustre mieux avec des morceaux comme Kayes ba ou Chachacha qu'on peut entendre dans l'émission Les auditeurs du dimanche. Sur Mali twist, morceau aussi déhanché que patriotique, Boubacar imite le chant du coq et exhorte le peuple malien à se lever et à construire le pays. Malheureusement le miracle espéré n'est pas arrivé et en 1968 Modibo Keita est renversé par Moussa Traoré. S'ensuit une période sombre pendant laquelle Boubacar, considéré à tort ou à raison, comme trop proche du régime précédent, disparaît de la scène. Pendant des années, il survit d'expédients, tient une petite boutique. L'éclipse durera trente ans. Et puis, à la fin des années 1980 alors que beaucoup le croient morts, un journaliste malien le fait venir à la télévision nationale. Mais il faudra attendre 1990 pour qu'éclose enfin son premier album Mariama grâce à un producteur anglais Andy Kershaw et son label Sterns music. Boubacar est d'abord hésitant puis décroche le téléphone pour prendre rendez-vous ce monsieur qui le cherche. « Vous me reconnaîtrez facilement, je porte une casquette. » lui a t-il indiqué. Suivront les albums Kar kar (1992) et Les enfants de Pierrette (1995), un hommage à la mère de ses enfants Pierrette, morte en couche en 1989, le laissant inconsolable. En 1996, l'écrivaine belge Lieve Joris en fait l'un des héros de son récit Mali blues.

Crédit photo : Boubacar Traoré

Reconnaissance internationale

Mais la véritable consécration viendra en 2005 grâce à Christian Mousset qui produira les albums Kongo Magni et Mali Denhou (Lusafrica, 2010) et lui ouvrira les portes du festival Musiques métisses d'Angoulême dont il est alors directeur. Ce sera aussi la période de la rencontre musicale fusionnelle avec l'harmoniciste Vincent Bucher. Ce dernier, qui joue depuis l'âge de seize ans a côtoyé les plus grands bluesmen américains Louisiana Red, Melvin Taylor, et en France Bill Deraime ou Charlélie Couture. Sur scène, il est indissociable du Malgache Tao Ravao... et bien sûr de Karkar! Emportant dans ses bagages Pedro Kouyaté en vedette américaine Boubacar Traoré sillonnera l'Europe, le Canada-à Toronto il a rencontré Zakiya, la fille de John Lee Hooker, les États-Unis. En 2014, il enregitre Mbalimaou au studio Bogolan de Bamako avec le joueur de kora Ballaké Sissoko. Trois ans plus tard sort Dounia Tabolo un nouveau bel opus gravé à Lafayette en Louisiane avec des invités prestigieux Corey Harris, guitariste que l'on voit dans le documentaire de Martin Scorsese Du Mali au Missisippi, la chanteuse d'origine haïtienne Leyla McCalla et le multi-instrumentiste texan Cedric Watson. Une chose est sûre, Américains, Français ou Maliens, Karkar ne craint personne sur scène. Il l'a prouvé encore une fois aux spectateurs du New Morning, dont Christian Mousset, le 26 mars à qui il a offert un morceau de rappel. Espérons que ce footballeur de vocation continuera à dribbler longtemps sur scène avec sa guitare, pour notre plus grand bonheur...

Julien Le Gros

Crédit photo : L’Autel des Artistes de Panam

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ARTICLE 3

L'autel des artistes de Panam, une initiative de la Compagnie Isaac & Jade. Le 23 Fev2023 nous avons été à la rencontre de Jean Claude Naimro, chez lui à Paris, le mythique clavier de Kassav en interview à domicile pour la rubrique ‘’Interview news ‘’ de à compagnie Isaac et Jade sur L’autel des artistes de Panam.

L'autel des artistes de Panam, une initiative de la Compagnie Isaac & Jade. Le 23 Fev2023 nous avons été à la rencontre de  Jean Claude Naimro, chez lui à Paris, le mythique clavier de Kassav en interview à domicile pour la rubrique ‘’Interview news ‘’ de à compagnie Isaac et Jade sur L’autel des artistes de Panam.

Jean-Claude Naimro, piano solo

Depuis plus de quarante ans, Jean-Claude Naimro est le claviériste, avec un son immédiatement reconnaissable, du groupe Kassav. On a pu l'entendre dans des univers très divers, Sam Fan Thomas, Alain Marlin, Peter Gabriel, Marie-José et Roger Clency... Sans abandonner Kassav, le musicien martiniquais développe son projet solo. L'autel des artistes de Panam l'a rencontré chez lui peu avant son concert au Trianon, à Paris, le 18 mars.  L'occasion de revenir sur une carrière aussi riche que prolifique.

Il est l'un des piliers du son Kassav mais pendant longtemps il est resté un peu caché derrière ses camarades. Aujourd'hui Jean-Claude Naimro sort de l'ombre avec une tournée intitulée « Digital tour ». Le pianiste est né le 4 août 1951, à Saint-Pierre, à la Martinique. Fils d' un professeur de français, qui fut directeur du centre régional de documentation pédagogique de Martinique, et d'une employée de banque au Crédit martiniquais, le petit Jean-Claude n'a pas une vocation particulière pour la musique.  « Aussi loin que remontent mes souvenirs ce n'était pas un objectif pour moi quand j'étais gosse. »  Pourquoi donc a t-il emprunté cette voie? Tout simplement parce qu'il y avait un piano à la maison à Fort-de-France. « Dès huit ans, je me suis assis et je me suis mis à jouer et à aimer ça un peu plus d'année en année. C'est parti comme ça. »  Ainsi, Jean-Claude fera des études de piano classique sous la houlette de mademoiselle Danel et d'Alice Nardal Eda-Pierre, mère de la chanteuse d'opéra Christine Eda-Pierre. Il est scolarisé au lycée Schoelcher à Fort-de-France. Jean-Claude échouera au Baccalauréat mais aura 20/20 en musique, comme il le raconte dans l'émission « Ma parole » sur la chaîne Outre-mer la Première au micro de Cécile Baquey.  Pour l'anecdote, un de ses camarades de promotion au lycée Schoelcher est le futur journaliste Edwy Plenel, dont le père Alain, fut vice-recteur de Martinique de 1955 à 1960 et milita, au prix de sa carrière, contre le colonialisme français aux côtés d'Edouard Glissant et d'Aimé Césaire. Mais c'est une autre histoire. De son côté, Jean-Claude fait ses gammes dans les années 1960 avec des copains musiciens. «J'ai fait partie  d'un premier groupe, puis pendant  trois ou quatre ans un deuxième qui s'appelait les Cocoanuts jusqu'au bac » Les Cocoanuts (ou noix de coco), dont font partie les frères Alpha, Jean-José et Jacky, avaient, selon les mots de Jean-Claude Naimro, un côté « avant-gardiste » dans le sens où « il y avait déjà plusieurs chanteurs comme ce qui se fait maintenant. Les featuring d'artistes n'existaient pas à l'époque. Il y avait un chanteur dont le répertoire était plutôt constitué de biguine et de mazurka, une chanteuse qui assortissait la biguine à la variété française, les chansons d'Édith Piaf et un autre qui reprenait les standards américains. On n'avait que seize ou dix-sept ans mais on était très organisés pour notre âge. Quelqu'un s'occupait de nous décrocher des contrats, un autre gérait le peu d'argent qu'on gagnait. » De cette période d'apprentissage et de découverte musicale Jean-Claude a conservé un disque « collector » le 45 tours daté de 1968 Le vent de mon pays  édité par Sonovox records, quasiment introuvable aujourd'hui. Sur une reprise de Cold sweat de James Brown on peut déjà entendre un solo de piano caractéristique du futur claviériste de Kassav.

https://www.youtube.com/watch?v=QGd6HYjHR1o&embeds_euri=https%3A%2F

Accompagnateur versatile

Un an plus tard, Jean-Claude Naimro s'installe à Paris pour intégrer une école de musique. Il accompagnera nombre de chanteurs et chanteuses « par ci par là au gré des opportunités. Ça ne s'est pas fait d'un claquement de doigts », insiste t-il. Parmi ses premiers engagements professionnels, Eddie Constantine, célèbre acteur et chanteur américain de music-hall, Alan Deloumeaux alias Alan Shelly, chanteur de soul guadeloupéen, un peu oublié aujourd'hui, qui a été accompagné par un certain Manu Dibango ou encore la chanteuse noire américaine vivant à Paris Nancy Holloway, très populaire en France dans les années 1960. Jean-Claude Naimro rencontre aussi le bassiste de Martin Circus Bob Brault, avec lequel il fonde le groupe de jazz-rock Mozaique en 1974. En 1976, il jouera avec Eddie Mitchell, puis partira l'été sur les routes avec la troupe de Michel Fugain, dont le célèbre Big Bazar venait de se dissoudre en 1977. « Tous ces épisodes ont été assez courts, ça a duré un an maximum à chaque fois. C'est comme aujourd'hui, chacun trouvait des jobs. Pour moi, c'était une façon de gagner ma vie. Comme j'étais plutôt doué, j'accompagnais des gens pour survivre. Je n'avais pas en tête de faire carrière dans la musique. Ce qui me passionnait vraiment c'était la course automobile, tout en sachant pertinemment que j'avais une chance sur un million d'y arriver! », nous raconte avec lucidité Jean-Claude Naimro. La période Fugain qui n'a duré que quelques mois lui laissera un très bon souvenir: « C'est quelqu'un d'extrêmement humain et gentil. On avait des caravanes autour d'un chapiteau et on se déplaçait d'une ville à l'autre. Il venait nous voir l'après-midi, on jouait à la pétanque. Nos compagnes allaient au marché, chacun faisait sa petite cuisine et passait dans la caravane de l'autre. »

Jean-Claude a connu « Tonton Manu » Dibango l'année suivante. Celui-ci travaillait déjà avec le futur  batteur de Kassav Claude Vamur. La collaboration avec Manu Dibango a duré trois ou quatre ans. Parallèlement, Jean-Claude joue avec la chanteuse sud-africaine Miriam Makeba. Mais cet entre-deux périlleux entre deux jobs fera long feu. « Est arrivé le jour où les deux avaient un concert important. J'ai choisi de me faire remplacer chez Miriam Makeba. Le lendemain, j'étais viré par Miriam et je suis donc resté un peu plus longtemps chez Manu. » De la période Makeba, il se remémore d'avoir passé un mois chez elle à Conakry où elle vivait comme réfugiée politique ayant fui le régime d'Apartheid en Afrique du Sud et la ségrégation aux Etats-Unis: « Peu d'artistes vous accueillent sous leur toit. Elle n'a pas voulu que j'aille à l'hôtel. Je suis resté une quinzaine de jours chez elle et c'est là que j'ai connu son mari le Black Panther Stokely Carmichael qui s'est fait rebaptiser Kwamé Turé. J'ai aussi rencontré Harry Belafonte à New York lors de son jubilé un an plus tard. À Conakry, on passait nos soirées à écouter les anecdotes de Miriam sur le racisme aux États-Unis. Un  jour, elle est allée dans une piscine d'un grand hôtel et l'eau a été vidée après qu'elle soit sortie. »

https://www.youtube.com/watch?v=9rg8oT81vWE

L'aventure américaine

En 1979, Naimro connaît une parenthèse enchantée et inattendue en restant une année entière dans le quartier de UCLA à Los Angeles, aux États-Unis. La raison? « À l'époque j'accompagnais un chanteur guadeloupéen Harold qui m'a ramené dans ses bagages. Celui-ci a voulu  enregistrer à Los Angeles avec les plus grands musiciens américains de l'époque. Il était sponsorisé par un producteur milliardaire, marié à une comtesse italienne. » Prévu pour durer deux mois le projet s'éternisera car les musiciens, dont certains sont basés dans d'autres villes comme Chicago ou New York ne sont pas libres au même moment. « Au casting, il y avait Wah Wah Watson à la guitare, Gene Page, l'arrangeur de Barry White, à la direction artistique, une équipe de cuivres bien précise... Dans l'intervalle, je suis resté aux frais de la princesse à me dorer la pilule et à voir des concerts. » sourit Jean-Claude Naimro. Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Grâce à une choriste d'Aretha Franklin qui sort à l'époque avec Harold, Jean-Claude se retrouve invité à la boîte de nuit The Roxy pour l'anniversaire de Stevie Wonder, en présence notamment des Jackson Five et Diana Ross. « J'ai aussi été à celui de Mohamed Ali. J'ai pu lui parler cinq minutes. Comme par hasard, ce sont les deux personnes que j'admire le plus au monde, Stevie dans la musique et Mohamed Ali dans le sport.  Ça a été une année fabuleuse. J'ai aussi rencontré le producteur de Donna Summer, c'était l'époque du disco. » Le comble c'est que l'album, certainement somptueux, qui sera finalement gravé à Los Angeles par Jean-Claude Naimro et ses prestigieux pairs musiciens... est resté, pour des raisons obscures, dans les tiroirs.

https://www.youtube.com/watch?v=Ebutthv6Fp4

Du Makossa à Kassav

Au cours de la décennie suivante, Jean-Claude Naimro, qui fait partie avec le bassiste Michel Alibo, des musiciens antillais de studio particulièrement prisés va enregistrer avec la plupart des artistes camerounais sur Paris, Guy Lobé, Moni Bilé, André-Marie Tala (Je vais à Yaoundé), Ben Decca, Dina Bell... « Pour une raison simple, c'est que le piano est un instrument qui coûte cher. Les musiciens camerounais se dirigent plus naturellement vers la batterie, il suffit de petits fûts pour s'entraîner ou la basse.  J'ai  d'abord enregistré avec un ou deux artistes et de fil en aiguille mon nom a circulé. Comme je suis parti à Douala avec Manu Dibango ça m'a donné encore plus de notoriété et on m'a appelé de plus en plus. J'ai pratiquement travaillé avec tous ceux de l'époque au cours de cette décennie. »

Beaucoup de gens l'ignorent mais c'est lors de ces sessions d'enregistrement au studio Johanna à Bagnolet, qui aujourd'hui n'existe plus, que Jean-Claude Naimro a fait une rencontre déterminante pour la suite avec un certain... Jacob Desvarieux. « Jacob travaillait aussi au studio comme arrangeur et guitariste pour des musiciens africains.On ne se connaissait pas du tout. J'ai entendu parler de lui et vice versa. Un jour, il m'a proposé de participer à l'album de Georges Décimus La vie (1983) Pour l'anecdote, sur cet album, Patrick Saint-Eloi, qui n'est alors pas encore célèbre, joue des percussions. Entre Jacob, le requin de studio, le bassiste Georges Décimus (cofondateurs de Kassav avec Pierre-Édouard Décimus en 1979) et Jean-Claude Naimro naîtra une belle alchimie musicale qui se poursuivra avec Kassav. « Ce sont les hasards de la vie, la mayonnaise a bien pris entre nous et l'aventure est partie comme ça. Avec Kassav, les codes de la musique antillaise commençaient à changer. Jusqu'ici, celle-ci se faisait de façon très spontanée au niveau des choeurs, des cuivres... Qu'on le veuille ou non les Américains donnent le ton en matière de musique et comme eux, Kassav a adopté les boîtes à rythme. Forcément, les choeurs et les cuivres étaient plus en place. J'ai trouvé cette manière de bosser portée par Jacob, qui était un précurseur, assez intelligente. On peut programmer sur une boîte à rythme des congas et ensuite faire jouer le percussionniste en live. À l'arrivée, vous obtenez un résultat cent fois plus intéressant que ce qui se pratiquait avant. On avait vraiment un temps d'avance sur le reste des groupes caribéens de l'époque.» 

https://www.youtube.com/watch?v=Gc2XuKcY0sU

Kassav réalise aussi l'union entre les deux îles soeurs la Martinique et la Guadeloupe séparées par trois cent kilomètres, avec des Guadeloupéens, les frères Décimus, Patrick Saint-Eloi, Jacob Desvarieux, le batteur Claude Vamur et des Martiniquais Jocelyne Béroard, Naimro, Jean-Philippe « Pïpo » Marthély. « Cela n'a jamais existé qu'avec nous. La raison première c'est que ça s'est fait à Paris. C'est le fait d'être dans cette ville qui nous a permis de faire un groupe avec des Antillais, Guadeloupéens et Martiniquais, sans calcul aucun. Ce qui importe c'est le talent de la personne et non ses origines. »  En 1986, le disque Gorée, sous le nom du tandem Desvarieux-Décimus, est une étape forte dans le pont entre la Caraïbe et  l'Afrique. Gorée, en référence à cette île du Sénégal d'où partaient les esclaves lors de la traite négrière. « Ce lien avec l'Afrique a touché chacun des membres de Kassav Je ne pense pas qu'avant nous des Martiniquais et des Guadeloupéens aient mis les pieds en Afrique pour jouer de la musique. On a commencé par un premier concert à Abidjan, en Côte d'Ivoire, en 1985, où on a été accueillis comme des dieux vivants. Alors que chez nous on commençait à être connus. Après ça on a été au Cameroun et au Sénégal. Aller à Gorée et voir d'où sont partis les esclaves pour arriver chez nous ça a forcément eu des conséquences sur notre musique. Des choses se sont réveillées en nous. De l'autre côté, rythmiquement, nos musiques antillaises ont aussi parlé aux Africains. Jacob, Georges, Jean-Philippe, Patrick ou moi composons différemment mais avec une consonance qui se retrouvait dans Kassav. C'est ce qui a fait notre force, cette pluralité contenue dans un moule unique.  »

https://www.youtube.com/watch?v=cSN5AzyHP3M

Kolé Séré et Baby Doc 

De ce moule sortira notamment la fameuse composition de Jean-Claude Kolé séré immortalisée dans Siwo de Jocelyne Béroard et qui sera reprise par Philippe Lavil un an plus tard. « C'est un morceau que j'ai composé rapidement mais il n'y a pas de règle. Une idée vient parfois tout de suite, parfois elle prend trois mois. » Ironiquement, l'inspiration  de cette chanson d'amour viendra en Haïti, en plein marasme politique, avec la destitution, sous la pression de l'administration Reagan, du dictateur François Duvalier dit « Baby Doc ». Ce dernier fuira pour la France le 7 février 1986. Et Kassav dans tout ça? « On était  bloqués à l'hôtel en Haïti sans savoir si on pourrait faire un concert prévu le samedi. », se rappelle Jean-Claude Naimro. « Comme je m'ennuyais, j'ai pianoté sur mon petit clavier et cette mélodie est sortie comme ça. Si je pouvais faire dix morceaux comme ça chaque mois j'en serai le plus heureux mais ça ne se passe pas comme ça! Quand on est en tournée en Afrique et qu'on arrive trois jours avant le concert on a le temps de composer. Georges et Jacob, dans leur chambre d'hôtel, avec leur guitariste acoustique, pour moi, avec le clavier c'était plus compliqué, ont beaucoup composé en fixant des idées sur un enregistreur cassette. Ils pouvaient les peaufiner ensuite, au retour à Paris. »

Le miracle Kassav

Plus de quarante ans plus tard, Kassav existe toujours, ce qui relève du miracle, grâce aux personnalités complémentaires de chacun. 

« Au départ, décrypte Jean-Claude Naimro,  Jacob c'est le patron. Au fur et à mesure cette notion s'est estompée dans le sens où chacun a pris ses marques avec une fonction précise, un peu comme dans un gouvernement. Jacob, c'est le studio et les médias, Jocelyne, les médias et la mémoire du groupe et c'est une parolière émérite. Patrick c'était le « cool », il prenait toute son importance sur scène parce qu'il vivait retiré. « Pipo » c'est l'ambianceur, le chef d'orchestre sur scène. Georges aplanit les problèmes, parle aux uns et aux autres. Moi, je fais un travail en coulisses à préparer les répétitions, les mises en scène. » Malgré la disparition de Patrick Saint-Eloi en 2010 et celle de Jacob Desvarieux en 2021 et l'AVC de « Pipo » Marthély, la pandémie, le groupe est toujours là. « Après le décès de Jacob on ne savait pas trop quoi faire.  On a dû trouver une manière de rebondir. Soit on arrêtait tout soit on trouvait une manière de prolonger cette  belle histoire. On le fait sous la forme d'une  

tournée d'hommage à Jacob. Celle-ci commencera le 13 mai au festival de jazz de Sainte-Lucie. La suite de Kassav sera dictée par beaucoup d'éléments que je ne possède pas. »

https://www.youtube.com/watch?v=I4On7vHE09o

En attendant la tournée de Kassav, après un premier concert réussi à l'Atrium en Martinique, avec Pipo en guest, Jean-Claude Naimro sera sur scène au Trianon à Paris le 18 mars. L'artiste n'en est pas à son coup d'essai en solitaire. Jean-Claude a sorti notamment un premier album solo remarqué en 1985 En balaté mais aussi Digital dread en 1996 avec Papa Wemba en invité sur un titre Ou pèd la klé. Sur la scène du Trianon, il a convié Jocelyne Béroard et Georges Décimus, bien sûr, mais aussi Ralph Thamar, Tony Chasseur; Cindy Marthély, fille de Pipo, et Greg'z pour la nouvelle génération: « J'avais envie de monter sur scène pour m'évaluer moi-même, savoir ce que je vaux tout seul sans les autres membres de Kassav. C'est un beau challenge. J'ai hésité. Beaucoup m'ont dit, tu en es capable, ne fut-ce que mon attachée de presse Karine Lagrenade qui est présente lors de cette interview.  Pour moi qui aime ma tranquillité, être en solo me demande des efforts que les gens n'imaginent pas, l'organisation du concert, le travail sur la sonorisation, les lumières, les arrangements, gérer les invitations, la promotion médiatique, un exercice que je n'aime pas.»

https://www.youtube.com/watch?v=oPJ32SJYtMM

Une chose est certaine, Jean-Claude Naimro est loin d'avoir dit son dernier mot: « Ma vie s'est passée à être le pianiste des uns et des autres et c'est de là que je tiens ma force. Chaque artiste amène quelque chose et je m'adapte. Pour éviter d'être has been je dois travailler avec des gens beaucoup plus jeunes.  Quand je jouais du makossa  avec Sam Fan Thomas dans les années 1980 c'était un style frais. Si je trouve quelqu'un qui est nouveau et qui a du talent comme Riddla  avec lequel je suis en duo sur le titre Bel pawol pou an fanm en hommage à Gilles Floro, je suis à sa disposition. » L'appel est lancé.

https://www.youtube.com/watch?v=NwOYdO2pKb0

Le site de l'artiste:

https://www.jeanclaudenaimro.com/

Julien Le Gros

Thé ou café

Deux question à Jean-Claude Naimro

Si vous n'étiez pas musicien qu'auriez-vous fait?

Mon rêve aurait été d'être pilote automobile, et dans un second temps cuisinier parce que j'adore cuisinier. Mais c'est un métier qui demande beaucoup de travail.

Que vous reste t-il de ce que vous avez vu de l'Afrique?

Je reviendrai bientôt en Afrique. J'y suis lié, particulièrement au Cameroun ou quelques personnes ont même choisi de porter mon nom. Je suis aussi lié au Gabon, à la Côte d'Ivoire, à l'Angola. C'est comme ça et ça le sera jusqu'à la fin.

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ARTICLE 2

L’autel des artistes de Panam, une initiative de la compagnie Isaac et Jade, inaugure son deuxième article, avec Madeleine et Salomon, un duo envoûtant entre jazz et pop orientale des années 1960.”

L’autel des artistes de Panam, une initiative de la compagnie Isaac et Jade, inaugure son deuxième article, avec Madeleine et Salomon, un duo envoûtant entre jazz et pop orientale des années 1960."

LE PRINTEMPS DE MADELEINE ET SALOMON

Eastern spring, c'est le nom du deuxième disque de Madeleine & Salomon, une ode à la pop orientale des années 1960-1970. L'autel des artistes de Panam a rencontré ce duo attachant dans le décor cosy et rétro d'Aux petits oignons, un bistrot du XXème arrondissement de Paris. Madeleine & Salomon seront notamment en concert ce 17 mars au Comptoir à Fontenay-sous-Bois et le 1er avril salle Delavaud au Versailles Jazz Festival.

Derrière ce nom de scène de Madeleine & Salomon se cachent les deuxièmes prénoms de Clotilde Rullaud, chanteuse, flûtiste, et Alexandre Saada, pianiste. Les deux compères - qui ont fait vivre leur nouvel album au festival Au fil des voix en février, - l'autel des artistes de Panam y était - se connaissent de longue date. Clotilde a commencé à pratiquer la flûte traversière dès l'âge de cinq ans. À la fin de l'adolescence, elle décide de se professionnaliser, étudie le jazz et les musiques du monde. « J'ai exploré les techniques vocales en allant chercher ailleurs, comment on fait sonner sa voix dans d'autres cultures. C'est venu au cours de voyages par des rencontres avec des musicien.ne.s avec lesquel.le.s j'ai collaboré et avec des maîtres de ces cultures. » Parmi les (belles) collaborations de la vocaliste, citons Chris McCarthy, Olivier Hutman, Alain-Jean Marie, Emmanuel Bex, ou encore Hugo Lippi. Le parcours d'Alexandre présente des similarités avec celui de Clotilde. Il commence le piano à 4 ans et demi, entre au conservatoire de musique à 6 ans , puis à l'adolescence il fait lui aussi ses gammes mais au sein d'un groupe de rock et dans la troupe d'une comédie musicale. Le réel déclic lui vient d’un disque offert par sa tante: « Grâce à  elle j'ai découvert le jazz et les musiques improvisées. Ça m'a permis de découvrir quelque chose de différent, j’étais vraiment issu de la culture classique. L'improvisation m'a ouvert des perspectives. » Le jeune homme quitte son Avignon natal pour Paris en 1999 où il fera de nombreuses rencontres, ce qu'il appelle « les choses de la vie ». Son chemin croisera celui de Philippe Baden-Powell, de la diva de soul Martha Reeves, qu'il accompagne en tournée, ou encore de Malia, chanteuse britannique originaire du Malawi. Il a  aussi signé la bande originale de plusieurs films dont Youssef Salem a du succès de Baya Kasmi.

La rencontre Madeleine & Salomon. En 2014, Clotilde Rullaud est programmée pour une série de concerts pour la fête de la musique à Pékin, en Chine, autour de la francophonie, avec un répertoire de standards de la chanson française. «  Auparavant, on a joué dans un groupe pendant quelques années, Clotilde en tant que flûtiste et moi en tant que pianiste. » raconte Alexandre Saada.  « Un jour, en 2014, elle m'appelle pour remplacer son pianiste au pied levé.  En Chine, on s'est découvert une sensibilité musicale commune. On se connectait facilement, ce qui n'est pas si courant. On a eu envie de faire quelque chose de cette relation qui fonctionne bien ». Un an plus tard, à la demande du Melbourne Recital Center en Australie, le duo se reforme cette fois sur le thème de l'American song book, c'est-à-dire la Bible des standards de la musique américaine. Clotilde avait choisi pour l’explorer, l’axe des « protest singers », des chanteuses engagées. En ressort un premier disque intitulé A woman's journey, paru sur les labels Tzig’Art / Promise land.

A woman's journey. « L'idée,» poursuit Clotilde, « c'était de rendre hommage à ces chanteuses, majoritairement autrices-compositrices, qui faisaient passer des messages à travers leur musique ou qui se sont positionnées durant leur carrière de façon très radicale en faveur d’une cause forte. Nina Simone a sacrifié en partie sa carrière de chanteuse car elle ne voulait pas cesser de défendre les droits des Africains-Américains. C'est une tradition importante aux États-Unis, ces mouvements de lutte pour les droits, portés par les femmes. Par exemple, après l'élection de Donald Trump en janvier 2017, il y a eu la Women's march, le premier mouvement de protestation dans la rue contre le leader du Parti républicain. »

Le tandem a dû s'arrêter sur une liste de chansons et se les approprier en fonction « de notre sensibilité et de notre goût.» complète Alexandre Saada. Behind the wall de Tracy Chapman, cette chanson qui traite des violences conjugales entendues à travers un mur mitoyen aurait pu en faire partie. « On a essayé de la prendre dans tous les sens mais on n'en tirait rien.», avoue Alexandre.

À la question de savoir comment le duo a abordé le poème d'Abel Meeropol Strange fruit mis en musique et interprété par Billie Holiday, qui renvoie au lynchage des Noirs pendant la ségrégation aux États-Unis, Alexandre répond : «Il faut y aller avec humilité. C'est une chanson, un objet d'art qu'on se retraverse. Il y a eu tellement de versions. On a creusé en nous avec notre caractère minimaliste, trois informations qu'on retire de ce poème, quelques notes, la voix. Rester simple. C'est important d'évoquer ces sujets. Les souffrances des Noirs ou des Juifs, puisque Meeropol l'était, n'appartiennent pas qu'à ces peuples. C'est une affaire d'humanité. L’Histoire nous touche et nous concerne tous.»

Parmi ces «cover» (reprises) épurées on trouve le fameux Mercedes Benz de Janis Joplin.Pour Clotilde, le fait de s'être « attaqué » à ces «immenses chanteuses avec une empreinte forte c'était un pari risqué parce que ce n'est pas sûr de pouvoir proposer une version qui ait un intérêt dans l'histoire de cette chanson. Faire en sorte de l'éclairer, que les gens la redécouvrent sous un autre angle. Janis Joplin est un monstre de la chanson. On a essayé de produire quelque chose d'universel et personnel à la fois.»

Étrangement, cet opus féministe est sorti un an avant la vague #Metoo contre les violences sexistes et sexuelles, qui a déferlé suite à l'affaire Weinstein en octobre 2017. «Cela fait des années que la condition féminine interroge. On est imprégné de ça. Ça se sent dans la société.» décrypte Alexandre.

Eastern spring. En 2018, les deux artistes planchent sur un nouveau projet. Tout part de la chanson A swallow song, de Mimi (la sœur de Joan Baez) et son mari Richard Fariña, issue du répertoire ladino, c'est-à-dire judéo-espagnol. «Le fait que cette chanson ait touché les gens nous a donné envie de faire des recherches autour du bassin médittéranéen.» explique Clotilde. «En escale à Abu Dhabi, enchaîne Alexandre, on trouve un «Montreux jazz café». On se pose alors des questions sur les influences orientales et occidentales. Il y avait un sous-bock à bière avec écrit «Pop café». Cela nous a amené à discuter de la pop orientale, à réfléchir sur l'interpénétration de ces deux mondes, les Beatles en Inde avec Ravi Shankar... Comment l'Orient s'inspire aussi de l'Occident.». Dès lors, le tandem va s'envoyer des fichiers partagés, une compilation aux accents Pop Bossa Nova, glanée en Israël pour Alexandre, des accents marocains, avec la musique des frères Megri de Rabat... Clotilde interroge ses ami.e.s artistes venu.e.s de Turquie, d’Iran, du Liban, de Tunisie, qui lui traduisent le sens parfois codé de certains poèmes... De ce travail de collecte, une playlist gigantesque émerge, remplie de pépites. «Il faut alors faire un choix», nous dit Clotilde : «On a écouté ensemble, en se disant, ça on jette, ça on garde. On est passé de deux cent titres à une trentaine sur lesquels on a travaillé. Au final, celles qu'on a gardées avaient toutes des sous-textes forts. Peut-être qu'on l'a ressenti. Dans leur musique, il y a de la densité.» Par exemple, sur Ma fatsh leah, chanson mythique de 1978 du groupe égyptien Al Massrien « On était en résidence à l’auditorium de l'hôpital Bretonneau à Paris. On a tâtonné avec un mini-synthé, une boîte à rythmes. Il y a une ritournelle au synthétiseur dans la version originale qui nous plaisait beaucoup. On en a gardé un élément, un ostinato, une boucle mécanique dans le morceau qui est sa signature et qu'Alex place ailleurs dans son jeu de piano. C'est inconscient, on ne s'en est rendu compte qu'après-coup.» analyse Clotilde.

https://www.youtube.com/watch?v=zHNSAK-iWy0

https://www.youtube.com/watch?v=am_utNHjclk

https://www.youtube.com/watch?v=0nonCuddOac

Parmi les autres moments forts de l'album Eastern spring que l'on peut traduire par « Printemps de l’Orient », figure Matar Naem, une chanson de 1978 (album Oghneya) du groupe libanais Ferkat Al Ard. Le texte de la chanson est un poème engagé et très imagé du Palestinien Mahmoud Darwich. Celui-ci parle à demi-mot de son pays, la Palestine, en train de disparaître. « Je n'attends de toi que le mouchoir de ma mère et une nouvelle raison pour mourir. » dit entre autres ce texte puissant. Mais l'histoire ne s'arrête pas sur cette note dramatique: « Un jour », s'enthousiasme Alexandre, « Jannis Stürtz, du label Habibi Funk, nous dit que Issam Ajali, chanteur et compositeur du groupe a entendu notre version. On a pu échanger avec lui sur le sens de cette chanson, sur cette époque. C'était touchant. »

https://www.youtube.com/watch?v=sJpviDAg4o4

https://www.youtube.com/watch?v=0nonCuddOac

Un message universel. Le couple musical a aussi revisité le rock anatolien de Selda Bağçan. De manière insolite et tragique, l'actualité est entrée en résonance avec ce nouveau projet. En février, un séisme a fait plus de 50000 morts endeuillant la Syrie et la Turquie, et touchant de plein fouet la région anatolienne. La chanson Ince ince Bir Kar Yagar est un cri de révolte d'un habitant d'une petite ville qui interpelle le pouvoir central face à ses carences. Or, en écho, le gouvernement Erdogan s'est révélé défaillant dans la gestion de l'arrivée des secours après le séisme de février 2023. Les textes sont traduits de l'arabe, du turc, de l'hébreu, du grec ou du persan mais c'est l'anglais, l'idiome de la communication mondiale qui ressort dans ce beau disque et fait le lien entre les titres. Au final, comme dans la chanson qui conclut la tracklist, le message universel qui nous est proposé, c'est celui de l'amour. Do you love me? (Est-ce que tu m'aimes?), nous susurre Clotilde Rullaud.

Pour celles et ceux qui les ont raté, pas de panique, Madeleine & Salomon seront notamment en concert ce 17 mars au Comptoir à Fontenay-sous-Bois et le 1er avril salle Delavaud au Versailles Jazz Festival. Le meilleur est à encore à venir. Le duo piano-voix sera en première partie du légendaire guitariste de jazz Pat Metheny le 15 juillet dans le cadre idyllique du Théâtre de la mer de Sète. Qui dit mieux?

Julien Le Gros

Pour aller plus loin:

https://www.facebook.com/madeleineandsalomon/

https://madeleine-salomon.bandcamp.com/

https://alexandresaada.com/smartphones_tablets/

https://clotilde.art/

THÉ OU CAFÉ

CLOTILDE : J'aurai aimé être médecin.

ALEXANDRE : Je me serai sûrement investi dans des missions humanitaires.

Pensez-vous que votre musique va voyager autant que Kankou Moussa, le voyageur?

CLOTILDE : C'est ce qu'on lui souhaite.

ALEXANDRE : Qu'elle se promène!

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ARTICLE 1

L'autel des artistes de Panam était le 30 janvier 2023 au restaurant Chez Céleste, dans le quartier de la Bastille, avec Teofilo Chantre. Cet artiste humble et prolifique a travaillé avec les plus grands Cesaria Evora, bien sûr, mais aussi Bonga, Emir Kusturica, Mariana Ramos... Rencontre.

Les deux amours de Teofilo Chantre

L'autel des artistes de Panam était le 30 janvier 2023 au restaurant Chez Céleste, dans le quartier de la Bastille, avec Teofilo Chantre. Cet artiste humble et prolifique a travaillé avec les plus grands Cesaria Evora, bien sûr, mais aussi Bonga, Emir Kusturica, Mariana Ramos... Rencontre.

Sur le visage apparemment impassible de Teofilo Chantre, 59 ans, on peut deviner une certaine mélancolie. Cette nostalgie (saudade), qu'on peut déceler dans le regard de Teofilo c'est celle de la morna, ce style musical emblématique du Cap-Vert. « C'est beaucoup lié à notre histoire, être entouré par l'Océan Atlantique, voir l'horizon fuyant et être dans cette problématique, présente dans la poésie cap-verdienne, vouloir partir et devoir rester ou devoir partir et vouloir rester. » nous explique Teofilo Chantre. « La  nostalgie dans la morna est liée à ce sentiment de séparation. Se sentir seul au monde et être en même temps relié par ceux qui sont partis et qu'on est obligé de revoir ou d'aller rejoindre. Il y a quelque chose d'universel dans l'ambiance nostalgique des ports. Au Cap-Vert, on en a fait un art qui s'exprime à travers les chansons de morna. D'ailleurs, beaucoup de pêcheurs sont musiciens. Je pense que ce côté chaloupé de la morna vient des vagues, de cette sensation de roulis qu'ont les pêcheurs quand ils sont sur leurs barques. Après, quand ils sont à terre, ils continuent à tanguer avec leur guitare, leur cavaquinho. »

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Avec sept albums à son actif, Teofilo Chantre jouit lui-même d'une solide réputation professionnelle entre la France, où il vit depuis plus de quarante ans, et le Cap-Vert, sa terre natale. Le repaire de Teofilo c'est le restaurant Chez Céleste, un petit bout du Cap-Vert à Paris, tapissé de photos avec la patronne qui témoignent des passages du maestro et de son groupe. Il y a été notamment filmé en 2018 en train de jouer le titre Roda vida (Le chemin de la vie).

https://www.youtube.com/watch?v=KFzQIfU3O78

Le chemin de vie de Teofilo commence le 26 octobre 1963, jour de sa naissance, à Ribeira Brava, le chef lieu de l'île de São Nicolau. Celle-ci fait partie du groupe d'îles Barlavento (les îles au vent), au nord de l'archipel du Cap-Vert  (1) . Teofilo grandit dans une autre île São Vicente, plus précisément à Mindelo, la ville natale de Cesaria Evora.  En 1977, Teofilo a quatorze ans et son destin change quand il part rejoindre sa mère. Celle-ci vit alors à Paris depuis trois ans.

Au moment de cet exil, nous sommes deux ans après l'indépendance du Cap-Vert, proclamée le 5 juillet 1975. «  J'ai passé la majeure partie de mon enfance pendant la colonisation portugaise, pays alors sous le joug du régime dictatorial de Salazar. », analyse Teofilo Chantre. « Il y avait la guerre  contre les indépendantistes dans les colonies africaines du Portugal, l'Angola, le Mozambique, la Guinée-Bissau et le Cap-Vert. »

Une colonie négligée

Le Cap-Vert était l'une des colonies portugaises les plus négligées, en raison de son peu de ressources naturelles, avec comme principal atout sa situation stratégique. « À l'indépendance on partait pratiquement de zéro, décrypte Teofilo « Tout était à faire. Il y avait très peu d'infrastructures. Il y a une anecdote qui en dit long, selon laquelle la Banque du Cap-Vert a été créée avec seulement cinquante mille dollars de capital. C'est la Suède qui aurait prêté cet argent au gouvernement. Nous sommes partis de très loin. Aujourd'hui, quand je vais au Cap-Vert et que je vois l'évolution des choses, je ne peux qu'être heureux, malgré certaines difficultés qui persistent. On a quand même fait un grand pas en quarante ans d'indépendance. »

Dès 1956, des militants indépendantistes ont créé le Parti africain pour l'indépendance de la Guinée-Bissau (celle-ci est obtenue en 1973) et du Cap-Vert. S'ensuit alors une guerre de libération nationale contre le Portugal colonial. « Mon premier contact avec cette lutte contre l'indépendance a eu lieu le 20 janvier 1973, jour où Amilcar Cabral a été assassiné. J'avais dix ans. J'ai vu la tristesse de beaucoup d'adultes et j'ai compris que l'histoire qu'on nous racontait selon laquelle Amilcar Cabral serait un « terroriste qui voulait nous attaquer. » était complètement fausse. Autour de moi, il était considéré comme un libérateur et j'ai commencé par avoir une prise de conscience sur ce que signifiait cette lutte pour l'indépendance. »

Pour Teofilo, l'indépendance de son pays sera une période de découvertes, « le panafricanisme mais aussi la richesse de la culture cap verdienne. Beaucoup de choses ont été occultées à l'époque portugaise. Petit à petit, je me suis senti pleinement cap-verdien, dans le sens où je maîtrisais  mieux ma propre culture. »  Malgré ce contexte particulier de la décolonisation, l'enfance de Teofilo à Mindelo est plutôt heureuse. « Je suis de culture catholique mais j'avais une préférence pour le temple protestant fréquenté par ma mère parce que c'est là qu'on offrait des cadeaux aux enfants à Noël. », sourit-il dans une interview accordée à nos confrères de France culture.

Voix du Cap-Vert

Mais au fait, comment la musique est elle entrée dans la vie de Teofilo?  « Un des premiers concerts auquel j'ai assisté enfant au Cap-Vert c'était Voz de Cabo Verde, un groupe fondé à Rotterdam, aux Pays-Bas en 1966. Voz de Cabo Verde s'est inspiré de la musique cap-verdienne mais aussi des musiques latino-américaines, des Caraïbes. Leur ouverture sur les autres musiques m'a touché. » L'ouverture sur le monde qui caractérise la musique de Teofilo sera aussi alimentée par l'un de ses oncles marin. « Quand il revenait au Cap-Vert il nous faisait écouter des disques de musique américaine, James Brown, les Jackson 5... » L'autre influence prédominante pour Teofilo est celle de la musique brésilienne: « Elle est arrivée chez nous assez tôt, dans les années 1920-1930 à travers le port de Mindelo. Les marins brésiliens y accostaient avec leurs instruments. Ils ne mêlaient aux musiciens locaux. À l'âge de dix ans, j'ai découvert le film Orfeu negro (1959) de Marcel Camus. En dehors de la partie musicale du film, il y avait tout un contexte culturel auquel je pouvais m'identifier. Naturellement, ces influences ont refait surface quand j'ai commencé à faire de la musique »

https://www.youtube.com/watch?v=cZi01WYb0y8&list=OLAK5uy_l2r4BT3kfjFnsqLuZEbevbeYhPFg9RBfY&index=7

Du Cap-Vert à De Funès

Mais revenons à l'année 1977. Élevé par ses grands-parents au Cap-Vert, Teofilo Chantre suit alors le parcours de beaucoup de Cap-Verdiens de la diaspora en rejoignant sa mère en France. « Je m'étais préparé psychologiquement à ce voyage. Le plus dur pour moi, ça a été la séparation avec mes grands-parents qui m'ont élevé depuis l'âge d'un an. Je ne les ai d'ailleurs plus revus puisqu'ils sont décédés deux ans après mon départ. ». Très vite, Teofilo s'est nourri de culture française. Le premier film qu'il voit au cinéma-il le saura plus tard- c'est Le gendarme à New York (1965), avec Louis de Funès. « Au Cap-Vert, les acteurs français Jean Gabin, Alain Delon, Brigitte Bardot, étaient très connus. Donc la France avait à la fois quelque chose pour moi de fantasmé et en même temps j'y allais en connaissance de cause. À l'époque c'était une société beaucoup plus avancée que la mienne d'un point de vue matériel. Ça a donc été un choc pour moi mais dans le bon sens du terme. » La musique française a aussi bercé le jeune Teofilo. « Ma mère était fan de Salvatore Adamo. La chanson Tombe la neige était un grand succès au Cap-Vert parce qu'Adamo l'a reprise en portugais avec le titre E cai a neve. Dans un tout autre registre, je connaissais Je t'aime moi non plus de Serge Gainsbourg qui passait beaucoup à la radio.  Bien sûr, Jacques Brel, Claude Nougaro, Georges Brassens, je les ai découverts une fois arrivé en France, et aussi Bernard Lavilliers en 1980 avec son disque O gringo, dans lequel il  y a des chansons brésiliennes et La Salsa. »

Débuts professionnels

En France, Teofilo fait ses débuts musicaux en se produisant à la guitare avec des copains cap-verdiens pour le compte d'associations communautaires. Mais la plupart de ces musiciens étaient amateurs, vivant d'autres emplois, et Teofilo désire vivre de sa musique. Sur scène et en studio, il va se tourner vers les musiciens de jazz. « Sur mon deuxième disque Di Alma (1997), je suis accompagné par de jeunes musiciens de la scène jazz parisienne Vincent Artaud  ou Sébastien Gastine à la basse, Antoine Banville, Fabrice Thompson à la batterie, Mehdi Bennani au piano, à l'accordéon Jacky Fourniret avec lequel j'ai joué souvent. Ces musiciens n'étaient pas issus de ma culture mais ils avaient la volonté de la comprendre. Je leur ai donné beaucoup de liberté. Ils m'ont apporté aussi. C'est comme ça que s'est fait ce mélange. Je dis souvent que je fais une musique universelle de base cap-verdienne. »

D'ailleurs, les racines cap-verdienne de l'artiste ne sont jamais loin. Son premier succès Caboverdeano imigrante présent sur son premier album Terra e cretcheu  (1994) parle de la condition d'un immigrant cap-verdien:  « C'est une musique que j'ai composée à partir d'un poème en portugais écrit par mon ami Luiz Andrade Silva, une figure du mouvement associatif cap-verdien. Avec cette chanson, j'ai gagné le deuxième prix d'un concours de chanson lusophone. Elle valorise l'apport économique et  tculturel des immigrants pour le Cap-Vert. Le refrain dit: « Frère Cap-verdien, il est temps de rentrer. Tu as fait le tour du monde à New York ou à Paris, avec des boulots difficiles. Tu as été marin, tu as travaillé dans les travaux publics, dans le froid, connu tout ce que les immigrants peuvent endurer. Il faut revenir pour profiter de la vie et aider à construire le pays qui t'a vu naître. »

J'ai deux amours, la France et le Cap-Vert

Ce pays qui l'a vu naître, Teofilo y retourne régulièrement. « J'ai la chance d'y être invité assez souvent pour faire des concerts. Quand on passe son enfance, cette période de découverte, dans son pays natal, on ne peut pas l'oublier. Les racines sont importantes. Au Cap-Vert, je suis considéré comme celui qui est parti. Il y a aussi une partie des gens, parmi les plus jeunes, qui ne me connaissent plus. C'est aussi à moi de leur dire que j'appartiens toujours à ce pays, que je suis avec eux. Un grand poète cap-verdien a dit qu'il ne faut pas rentrer en conquérant mais de façon très humble. Je me suis aussi bien intégré en France. Je me considère comme un Franco-Cap-verdien ou un Cap-verdien Français. J'ai acquis la nationalité française assez vite, vers seize ans, parce que ma mère était en phase de naturalisation. J'ai fait le service militaire en France. Comme dit Joséphine Baker: « J'ai deux amours »

Paradoxalement, c'est aussi en France et non pas au Cap-Vert que Teofilo rencontre Cesaria Evora, avec laquelle il travaillera pendant vingt ans jusqu'à la disparition de la « diva aux pieds nus » en décembre 2011:« Enfant, au Cap-Vert, j'avais entendu parler d'elle, de sa belle voix, sans l'avoir rencontrée. Je l'ai côtoyée pour la première fois à Paris lors d'un concert où elle se produisait et où j'ai été invité à chanter quelques chansons. À l'époque, je lui avais consacré une de mes compositions Dona Morna. Je connaissais son producteur José Da Silva, fondateur du label Lusafrica, parce qu'on a joué dans un groupe ensemble à Paris. Il m'a alors demandé si je n'avais pas des chansons  pour le prochain disque de Cesaria Miss perfumado, sur lequel se trouve le célèbre Sodade. J'en ai proposé trois, qui ont été prises sur l'album Luz dum estrela, Recordai et Tortura. » Comme beaucoup de gens, Teofilo sera irrémédiablement touché par la disparition de Cesaria: «  C'est grâce à elle que que tout le monde s'intéresse à cette musique. Malheureusement je n'ai pas pu aller au Cap-Vert au moment de ses obsèques. » Pour faire vivre le répertoire de la diva, et devant les nombreuses demandes des fans, un groupe le Cesaria Evora orchestra a été formé par José Da Silva avec « cinq chanteurs Lura, Lucibela, Elida Almeida, Nancy Vieira, moi-même et quatre musiciens qui ont accompagné Cesaria sur scène. »,  évoque Teofilo. « Des concerts de ce groupe sont prévus cette année au Cap-Vert, aux États-Unis et en Pologne. Les bénéfices de ces concerts sont reversés à la Fondation Cesaria Evora dont l'objectif est de permettre à de jeunes artistes d'obtenir une bourse pour étudier la musique au Cap-Vert ou à l'étranger. »

https://www.youtube.com/watch?v=LjfELQ57Mz

Teofilo Chantre a lui-même accompagné l'émergence d'autres artistes du Cap-Vert, Mariana Ramos, fille du doyen Toy Ramos, ancien guitariste de Voz de Cabo Verde, mais aussi celle de Lura, Nancy Vieira et, pour les plus jeunes, Mayra Andrade, invitée sur un duo Segunda geraçao, sur l'album Viaja de Teofilo; Lucibela et Elida Almeida. « Il y a beaucoup de jeunes qui me demandent des chansons. Quand je pense à quelque chose qui peut convenir je leur envoie volontiers. Ces nouveaux talents bénéficient de cet engouement pour la musique cap-verdienne. Ils sont conscients qu'il faut avoir un bon niveau et réalisent des productions de qualité. Elida Almeida vient de faire un très bon disque Dilonji, Carmen Souza, qui était récemment au festival Au fil des voix, mélange la tradition cap-verdienne et le jazz. Mariano Ramos prépare un disque. Au Cap-Vert il y a aussi des jeunes artistes qui mélangent le hip hop, la pop et la tradition cap-verdienne. »

https://www.youtube.com/watch?v=koQ5D_b8vKU

Métissage

De son côté, Teofilo a signé un magnifique septième album en 2011 MeStissage, avec des chansons en français et en créole cap-verdien (criolo), sur des arrangements de corde somptueux du violoncelliste Sébastien Giniaux: « Vivant en France et ayant un public majoritairement francophone ça me paraît important d'établir un contact direct avec ce public. Naturellement, j'ai introduit des chansons en français, avec l'aide d'auteurs. Je me suis amusé à les chanter tout en gardant une connotation cap-verdienne dans ma musique. Je ne voulais pas copier la grande chanson française qui existe déjà. Mon ambition c'était que le français sonne aussi sur des rythmes cap-verdiens. » Pari réussi!  Le titre  MeStissage est un néologisme entre le français et le portugais. Métissage s'écrit en portugais « mestiçagem ». Bernard Lavilliers est présent sur le titre Oli me ma bo. « Je le connaissais parce que j'ai écrit les paroles en criolo pour Cesaria Evora sur Elle chante un duo avec Lavilliers pour l'album de ce dernier Carnets de bord (2004).

https://www.youtube.com/watch?v=icf82qWITXE

Depuis douze ans, Teofilo Chantre, qui vit désormais en Auvergne, n'a pas sorti d'album. Mais que les fans se rassurent. Un nouvel opus devrait voir le jour cette année: « J'ai tout un répertoire de prêt. J'attends que les choses se mettent en place. Il est temps de sortir de nouveaux morceaux originaux pour alimenter l'intérêt du public et faire davantage de concerts. » On a hâte!

(1) L'autre partie de cet archipel du Cap-Vert, au sud, c'est Sotavento (les îles sous le vent).

THÉ OU CAFÉ

Trois questions à Teofilo Chantre

Nous avons apporté un disque 33 tours Musica de Cabo Verde (1974), sorti sur le label Alvorada. Qu'est-ce que le paysage sur la pochette vous évoque?

C'est un paysage de mon enfance, qui me parle complètement. Cette aridité emplie de beauté minérale, avec ce ciel bleu. Je crois reconnaître l'île de SãoVicente. Il y a une sensation de chaleur intense et en même temps de vent parce que sur cette île il y a beaucoup de vent. Cette photo date des années 1960. Cela me replonge dans ces années-là. Cela m'évoque des lieux où j'allais jouer petit. C'est un paysage qui fait penser au Far West américain. Je m'amusais à reproduire des scènes de certains westerns que je voyais au cinéma.

Votre musique n'est pas qu'africaine.

Il y a cette base africaine en passant par le Cap-Vert. Mais ma musique est aussi universelle parce que c'est une musique qui raconte l'existence et l'histoire d'êtres humains. Elle passe partout dans le monde. Quand je fais des concerts à l'étranger cette musique est toujours bien accueillie parce qu'elle parle au coeur des Hommes.

Enfin, aviez-vous une autre vocation que la musique?

Enfant, j'aurai voulu être berger au Cap-Vert parce que j'aimais beaucoup les animaux. J'avais un grand-cousin qui était berger lui-même. Sur le plan artistique, j'ai toujours eu une passion pour le cinéma donc j'aurai aussi voulu être acteur et réalisateur.

Julien Le Gros 

Teofilo Chantre :

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Te%C3%B3filo_Chantre

Le label Lusafrica

http://www.lusafrica.com/

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Article IsaacetJade Compagnie Article IsaacetJade Compagnie

Interview

La Compagnie Isaac et Jade ouvre cette fenêtre pour les artistes et les acteurs de la culture.

La Compagnie Isaac et Jade ouvre cette fenêtre pour les artistes et les acteurs de la culture.

Cette parenthèse que nous ouvrons a pour but de donner la parole à nos interlocuteurs pour qu'ils puissent s'exprimer comme ils le souhaitent en toute liberté.
Un espace de rencontre avec les artistes, les acteurs de la culture. 
Une vraie rencontre avec   l'artiste invité. 
Un dialogue au cours duquel il pourra nous ouvrir les coulisses de sa création, de son univers artistique. 
Cette fenêtre est faite pour montrer au public les faces méconnues d'un travail artistique. 
Nous allons faire  un voyage avec les artistes dans le grand bain de leurs créations.
Cette fenêtre dite de "L'interviews & News"
vient s'ajouter à l'un de nos objectifs qui n'est autre que la lecture fluide et simple de l'univers artistique des artistes que nous allons recevoir. 
Nous sommes convaincus de l'intérêt que peut susciter chez tout un chacun certaines vérités, certains aspects de sa création directement expliqués par l’artiste lui-même, permettant une meilleure compréhension de ses œuvres.
Cet intérêt pourrait même faire rêver les esprits qui découvrent leurs univers, les novices, les profanes ou même les amateurs sans oublier les plus petits des milieux scolaires.
C'est pour cette raison que L'éveil Culturel est l'un des objectifs de la Compagnie Isaac et Jade. Nous allons vous donner le meilleur de nos efforts pour vous servir dans ce sens.
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